On le sait depuis longtemps : vouloir savoir exactement ce que les enfants savent, est une sorte de maladie chronique, très ancienne, qui, en classe, menace périodiquement de prendre la place du travail d'apprentissage, parce que c'est (en apparence) plus facile et plus reposant... C'est donc, à la fois indispensable et un réel danger.
Précisons qu'elle reçoit l'aimable soutien des ministres de l'Education Nationale, toutes époques confondues, qui adorent les évaluations Nationales — de préférence "surprises", qui leur donnent le sentiment de diriger l'ensemble du Corps Enseignant. C'est ainsi qu'ils croient affirmer leur supériorité de ministres, avec les fameuses "évaluations Nationales" imposées chaque année par les ministres successifs, et dénoncées depuis 2007, par une majorité d'enseignants, et sur ce blog, sans parvenir à faire cesser cette sottise installée depuis dix-sept ans.

Une manie, ce désir irrépressible, d'arrêter, à tout bout de champ, ce qu'on est en train de faire, pour savoir où l'on en est. Un véritable virus qui, hébergé chez un Ministre de l'Education Nationale, en 2007, a contaminé son entourage, puis tous ceux qui l'ont suivi, installant une véritable épidémie, un trouble obsessionnel compulsif, que rien ne semble capable d'arrêter.
Depuis cette date, sous prétexte d'avoir l'air sérieux et rigoureux, des évaluations nationales sont périodiquement imposées à toutes les écoles. C'est impressionnant.
Mais elles vont servir à quoi ?
A faire beaucoup de mal, sans apporter la moindre information utile.
Alors, il faut les éviter, et, en tout cas, largement diminuer leur fréquence, et réfléchir sur la manière de les mener, pour éviter les traumatismes inutiles qu'elles engendrent.

Il y a dix-sept ans, en décembre 2007, ce blog rappelait, selon la formule chère à l'ami Pierre Frakowiak, "quelques vérités incontournables". Cette fois-ci, nous les empruntons à un grand monsieur de l'EPS, Jean Eisenbeis :
L'école a pour mission de permettre aux élèves de construire les savoirs indispensable à une vie d'adulte libre. Elle a donc une mission annexe, qui est de vérifier que ces savoirs sont bien acquis. C'est ce qu'on appelle "l'évaluation". Un mot pas mal galvaudé, dont la signification n'est pas toujours claire
Comment le comprendre ?

Evaluer, c'est mesurer ; et mesurer, c'est comparer. Toute la question réside donc dans le complément que l'on ajoute à ces deux verbes :
* mesurer quoi ?
* comparer quoi à quoi ?
Ensuite, il faudra ajouter un complément supplémentaire : "pour en faire quoi ?"

Une fois de plus il s'agit de l'incapacité de pas mal d'adultes, à distinguer ce qui relève de l'opinion — laquelle comme on sait, gère des valeurs toujours relatives — et ce qui relève des faits.
Evaluer, c'est une action qui porte obligatoirement sur des faits ; et, comme il s'agit d'une comparaison, les éléments comparés doivent être explicités. En classe, il s'agit donc de comparer une consigne donnée par l'enseignant, à une réponse, orale ou écrite, donnée par l'élève, dont on attend qu'elle révèle les savoirs acquis de l'élève en question.
On mesure ici la complexité de ce problème, qui met en jeu des humains, pas si faciles à manipuler : quelles données faut-il comparer ?

Comme souvent, c'est du côté de l'Education Physique, que l'on trouve les analyses et les solutions les plus pertinentes : deux collègues, de cette discipline, grands spécialises de l'évaluation, Jean Eisenbeis, déjà cité, et son ami Bernard Maccario ont, dans les années 70-85, donné les réponses les plus claires, même si elles sont aujourd'hui bien oubliées, en ces temps d'inculture et de mémoire en panne. Alors rappelons-les.
Selon eux, évaluer consiste à effectuer trois comparaisons :

a) Comparer l'objectif (le résultat attendu) avec la situation initiale de l'élève. On mesure ainsi le degré d'adéquation du choix de l'objectif : si l'écart est trop grand entre les deux et si l'objectif est trop au-dessus de la "zone proximale" de l'élève, l'apprentissage risque de se faire mal ou pas du tout.

b) Comparer le résultat obtenu avec le résultat attendu (l'objectif du travail), il s'agit alors de mesurer l'efficacité du travail pédagogique effectué : si le résultat attendu n'est pas obtenu, c'est que le travail proposé était inadéquat, c'est-à-dire trop loin des savoirs déjà-là des enfants...

c) Comparer ce que savait l'élève avant le travail et ce qu'il sait après (situation initiale et situation finale) : on mesure alors les progrès de l'élève, que cette activité a provoqués, ce qui est notre mission d'enseignant.

Or cela n'est possible que s'il y a eu une évaluation de départ, et si les deux évaluations, de départ et d'arrivée, portent rigoureusement sur le même contexte et les mêmes conditions, faute de quoi, il est plus difficile d'interpréter les résultats... (Force est de reconnaître que cette remarque rend fort discutables, voire absurde, toute comparaison de performances entre jadis et aujourd'hui, entre ici et ailleurs, dont on nous rebat périodiquement les oreilles).
Surtout, cela invite à être humble devant cette activité, sans lui conférer une importance qu'elle ne mérite jamais.

On remarquera que si la première comparaison aboutit à des constats décevants, la cause peut toujours en être recherchée dans les deux autres (et non dans la paresse des élèves !), ce qui constitue un excellent feed-back du travail de classe.

Et c'est ici qu'apparaît la troisième question : "pour en faire quoi, de ces évaluations ?" Pour distribuer des médailles ? C'est là que se joue le caractère démocratique, ou non, du travail scolaire.
Non ! Non et non, pas de médailles : elles sont anti démocratiques et infantilisantes.
Les évaluations n'ont d'autre but que d'aider à se connaître, surtout sans se comparer aux autres, pour chercher le meilleur. Comme le dit si bien Albert Jacquart, le but, c'est de devenir chaque jour meilleur que la veille. On prend ici conscience de tout ce qui manque à l'école pour que l'évaluation mérite ce nom : qui évalue ainsi ? Et qui se pose la troisième question ?

On doit donc en conclure que les évaluations habituelles, scolaires ne méritent ni ce nom, ni d'être prises au sérieux : poser des questions aux élèves, sur ce qu'ils devraient savoir, ne permet en rien de vérifier leurs acquis, car elles donnent des indications trop vagues et trop incertaines, trop intimidantes, pour apporter des informations sur ce qu'ils savent. Seule, la manière dont ils se servent de ce qu'ils ont appris, permettrait de le vérifier, tout au long de l'année... Mais les professeurs ne sont pas du tout formés à cela.
En fait, si l'on veut qu'elles soient un peu précises et qu'elles aient du sens pour les élèves, elles doivent être cherchées dans une conception démocratique du travail en classe : une évaluation par et avec les élèves eux-mêmes, lors d'une séance de régulation du travail. Ainsi serait évitées ces prétendues "évaluations" balancées d'en haut, et sans leur avis, ou, pire, ces notes attribuées, sans négociation, à chaque productions de chaque élève, en ignorant l'importance du travail préparatoire et des brouillons.
Comme je l'ai souvent rappelé sur ce blog, on n'évalue pas un être humain, de l'extérieur et sans lui.
Avantage : cela permettrait d'éviter la lourdeur des "corrections de copies", qui gâchent les soirées de tant de profs, sans la moindre utilité pour les élèves, qui ne les lisent pas. Surtout, l'évaluation, ainsi conçue, devient une aide pour les élèves, un moyen de prendre conscience d'eux-mêmes, et de trouver à quoi peut leur servir d'apprendre.

Une évaluation menée avec les intéressés, cela commence à s'imposer dans le monde du travail, non sans peine, mais, hélas, toujours largement ignorée dans les classes... où l'autoritarisme (parfois "gentil", voire "bienveillant", mais toujours autoritaire) reste roi : elle est loin, la démocratie !
On attend quoi pour que ça change, dans la bonne direction ?
La révolution ?
Alors, il faut la faire — au moins à l'école — et vite !