Le blog de l'amie scolaire : Questions de profs. Ce blog n'est pas un forum de débat entre partisans et adversaires de la pédagogie. Il veut être un lieu de réflexion et d'échanges pédagogiques destiné aux professionnels de l'école et à tous ceux qui s'interrogent, doutent, cherchent, souhaitent une aide à la recherche, à la pratique du métier, sans oublier les parents, bien sûr. Nous répondrons à toute question, non polémique...
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fr2024-03-13T11:09:32+01:00daily12024-03-13T11:09:32+01:00Encourager la lecture ?
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2024-03-13T11:09:32+01:00frEvelineEducation, Ecole et PédagogieIl y a quelques jours, France Culture a diffusé une émission portant ce titre, de toute évidence, plein de bonnes intentions, et qui, pourtant me laisse un goût vaguement amer et une impression lourde d'insuffisance et de platitude, avec une question importante, restée en suspens : "encourager" la lecture ? Vous êtes sûrs que ça suffit ? .
Dès qu'il s'agit de lecture, une porte s'ouvre sur un océan d'affirmations assénées gratuitement, en tête desquelles, en général, celle qui prône l'amour de la lecture : hors de lui, point de salut.
Sauf que personne n'aime sur commande.
Mais ici, France-Culture, avec ses deux invitées lectrices, Clémentine Melois et Régine Archambault, ne parlent point d'amour. Elles se contentent "d'encourager" la lecture.
Curieuse formule : faut-il du courage pour lire ? Est-ce une activité difficile ? Ennuyeuse ? Ou les lecteurs potentiels sont-ils attirés ailleurs ?
Décidément, c'est un conseil qui laisse rêveur, un conseil un peu bancal.
Ce qui manque ici, en fait, souvent chez tous ceux qui parlent de lecture, c'est la notion de "besoin" : on ne lit pas sans lui.
C'est donc le besoin de lire qu'il faut susciter chez les enfants, à condition, évidemment, qu'on les ait dotés les moyens de le faire : mais c'est bien le besoin qui est essentiel : s'il n'y est pas, les encouragements seront inutiles.
Question : comment le créer ?
Et voilà ! On redécouvre les "vides" béants des pratiques d'apprentissage, et de l'image de ce que beaucoup appellent "lire", comme Clémentine Melois, et des invités du "Book-club de France Culture, pour qui, lire égale littérature.
Désolé ! La littérature est loin d'être le seul "objet à lire", et elle est rarement le premier.
C'est ici que le bât se met à blesser.
Il commence à blesser dès les premiers apprentissages, par une erreur de direction : la grande majorité des fameux "manuels" d'apprentissage ne propose que des textes narratifs, plus ou moins mièvres, tous à des kilomètres de ceux qu'ils vont avoir à lire, pour leurs études, dès le CE2.
Autre erreur : présenter la lecture, comme essentiellement un plaisir. Outre que ce n'en est pas un pour tous, ce qu'elle doit être avant tout, et pour tous, c'est une NÉCESSITÉ.
Pourquoi ?
Parce que lire est l'outil essentiel de notre liberté. C'est cela qu'il faut faire découvrir aux enfants : il faut qu'ils aient besoin de lire.
Pour que ce besoin apparaisse, il faut deux conditions :
1- qu'ils soient confrontés à des projets divers, à réaliser, en classe, dont ils sont, seuls ou en petits groupes, responsables, et qu'ils aient appris à utiliser la documentation.
Trop rébarbatif ?
Que nenni ! On s'est rendu compte depuis longtemps que, contrairement à ce qu'on pensait jadis, la notion d'utilité "accroche" beaucoup plus les enfants que celle de "plaisir". Preuve qu'ils sont infiniment moins "infantiles", qu'on ne le croit en général.
2- qu'ils soient aidés dans ce travail.
Oui, mais là, c'est trop facile !
Mais non ! Et tant pis si ce que je dis fait hurler certains de mes collègues : devant un élève en grande difficulté, il vaut mieux lui donner la solution et le faire ensuite réfléchir sur les moyens qui lui auraient permis de le trouver tout seul, que choisir comme on le fait habituellement,
* soit le laisser patauger sur un texte qu'il n'arrive pas à lire — et l'en culpabiliser, pour le dégoûter définitivement de cette activité.
* soit lui proposer des écrits faciles qui ne lui apportent rien.
Ni l'un, ni l'autre de ces choix n'est aidant pour l'enfant.
Au contraire, aider les élèves à entrer dans les écrits, par le travail de groupe et par des moments d'analyse de l'activité, sur du difficile et du riche, cela les rassure et les rend capables de se passer d'aide ensuite.
C'est pourquoi il faut être, à la fois, ambitieux et bienveillants pour les élèves : c'est ce qui les fait grandir.
Or, pour la lecture, l'ambition réside dans la variété et l'authenticité des lectures : pas d'écrits inventés dans les manuels, mais des lectures immédiatement nécessaires et libératrices, celles de la vie sociale, absolument indispensables, car sans elles, chacun est livré, pieds et poings liés, à toutes les manipulations sociales possibles.
Il faut aussi qu'une continuité existe entre l'école et la maison, et qu'ils retrouvent en classe des lectures vécues chez eux.
Encourager la lecture, c'est une formule vide : ou bien ils sont à l'aise dans cette activité, ou bien, il faut les aider à l'être, en éclairant au maximum ce qui la facilite.
Mais, surtout, commençons par éviter de les en détourner, avec un enseignement mal conçu, autoritaire, et des activités sans intérêt pour eux, syllabes et autres bricoles inutiles, si loin de leurs goûts, dans cet objet sans âme, qu'est un manuel de lecture.
C'est, au contraire, par une belle plongée dans de vrais écrits, appartenant à l'univers des enfants : chansons, entendues à la radio ou la télé, écrits de presse, contes et nouvelles qui leur parlent, infos de toutes sortes, qu'ils entendent chez eux, et dont ils parlent en classe.
Un large et précoce bain d'écrits divers, voilà ce qu'il leur faut, pour qu'ils puissent se heurter à des difficultés, s'entraider pour les résoudre, patauger dedans, et s'en imprégner, et découvrir comment c'est fait et comment ça fonctionne.
Rien à voir avec un "encouragement", qui ne saurait convaincre celui qui, n'ayant que peu de contacts, n'en éprouve nullement le besoin.
Quand on a laissé un enfant vivre sans vraie lecture, seul un miracle peut la lui faire découvrir.
Et il vaut mieux ne pas trop compter sur les miracles...]]>Enseigner, ça veut dire quoi ?
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2024-02-19T17:12:27+01:00frEvelineEducation, Ecole et PédagogieOn va, sans doute, m'accuser de faire de la provocation avec une telle question. Pourtant, il semble plus que jamais urgent de la poser : nos dirigeants actuels semblent bien l'avoir oubliée.Ce n'est pas d'hier, qu'on se désole, en découvrant que, jour après jour, et quoi qu'on fasse, les enfants n'apprennent pas tous, ce que nous leur enseignons.
Pourtant, Philipe Meirieu affirme, et depuis longtemps, qu'il faut être convaincu de "l'éducabilité" de chaque élève.
Encore faut-il que le travail d'enseignement ait été convenablement dirigé sur elle.
Comment faire pour que notre enseignement atteigne l'éducabilité des élèves ?
Il faudrait change beaucoup de choses. Mais les propositions officielles nous laissent sur la faim : elles proposent de créer des groupes dits "de niveaux", mettant ensemble ceux qui ont un "niveau de réussite et d'échec" proche.
Proposition que rien ne justifie :
1- comment définir ce fameux "niveaux", autrement que de façon pifométrique ? S'ils sont définis à partir des résultats obtenus, on reste dans le "pif", comme l'ont prouvé les innombrables travaux de docimologie, et de recherches en pédagogie et en didactique.
2- De toute façon, et quelle que soit la manière de les organiser, ils ne peuvent être définis qu'à partir d'un jugement sur les possibilités de chaque élève, donc ils ont pour effet de poser sur chacun d'eux une étiquette, qui ne peut être que catastrophique pour eux.
3- La seule réponse intéressante consisterait à poser la question aux élèves eux-mêmes, justifiée par un constat solide qui est que, même très jeune, un enfant sait très bien où il en est de ses apprentissages, et de ses progrès et il sait aussi avec qui il a envie de travailler.
Problème : il faudrait une classe particulière, donc une école différente, où les élèves ont droit à la parole et sont écoutés, et où existent des instances de régulation, collectives et régulières.
Or, justement, on en voit peu dans le monde de l'école actuelle.
C'est que, pour cela, il faudrait modifier beaucoup de choses :
Première erreur à bannir : précisément cette notion de "niveaux", réellement scandaleuse quand il s'agit d'humain : une non-notion, un terme inadéquat, renvoyant à l'idée que le savoir serait une couche de connaissances, dont on pourrait mesurer la hauteur. On devrait avoir honte de l'utiliser.
Donc, mettons les niveaux à la poubelle, et cessons de vouloir "grouper les élèves" : laissons-les se grouper eux-mêmes !
Dans un fonctionnement démocratique, cela peut se faire aisément : lors des réunions de régulation, trimestrielles, du travail, où le groupe classe, intégrant évidemment l'enseignant, organise, programme officiel en main, le travail des trois mois à venir.
Permettre aux élèves d'apprendre, cela signifie précisément leur donner la main sur leur travail, organisé avec eux, en cessant surtout de les infantiliser et de tout faire à leur place.
C'est aussi leur permettre de se situer par rapport aux injonctions officielles, car une injonction, même ministérielle, ne peut jamais être un ordre : la démocratie propose, c'est tout ce qu'elle a à faire. Et c'est sur cette (ou ces) proposition(s), que les instances existantes (syndicats, associations, groupements divers, responsables de l'exécutif du métier) ont à débattre.
Il faut le rappeler, car cela me semble bien oublié souvent.
Quant à savoir où l'on en est, pour éviter les évaluations, toujours bancales et blessantes, des régulations régulières sont infiniment préférables. Elles peuvent se faire tous les trois mois : une réunion de toute la classe, enseignant compris, où, ensemble, on réfléchit sur le travail accompli, pour préparer celui qui reste à faire.
C'est cela qu'on peut nommer une "école de la confiance", et non celle qu'un ministre passé avait affublée de ce nom.
Composante fondamentale de la démocratie, la confiance ne saurait apparaître ailleurs que dans une telle école : sur quoi se reposerait-elle ?
Où l'on voit que les mots sont souvent utilisés à vide, dans leurs usages officiels, y compris par des ministres...
Celui de "démocratie", en tête, dont le sens, édulcoré à loisir, est oublié si totalement, qu'il est nécessaire de le rappeler:
Rappelons ce qu'en dit Montesquieu, celui qui en a donné la meilleure définition : une organisation démocratique est celle où :
1- celui qui dirige (le ministre) propose, sans jamais donner d'ordres, et ne fait rien d'autre : prière de le rappeler à Gabriel Attal ou à sa remplaçante...
2- ceux qui exécutent, les enseignants, réunis en associations et syndicats, débattent de ce qu'on leur propose, et de ce qu'ils observent, et, à l'aune de leur expérience, construisent des pratiques à partir de ces propositions,
3- tandis que ceux qui peuvent juger (les élèves et le public), parce qu'ils l'utilisent, peuvent analyser les projets, et proposer des améliorations, propositions que les politiques se doivent d'étudier et d'utiliser.
C'est ce qu'un grand monsieur de l'histoire de l'école, Louis Legrand, le directeur des recherches à l'Institut Pédagogique de Paris, dans les années 70, appelait : "Une École pour la justice et la démocratie".
Alors, quand on voit les ministres actuels n'avoir d'autres projets que celui d'instaurer des groupes de niveau dans les classes, il importe de s'en indigner et de tout faire pour les en empêcher.
Et comme nos responsables de l'Education Nationale ignorent tout de l'histoire de l'école française, il est nécessaire de leur faire connaître ce que certains ont su mettre en place jadis : peut-être sauront-ils y puiser des idées pour faire disparaître cette école triste et morne, ignorante de son propre passé, qui émerge des propos de nos ministres actuels.
"Une école de la justice et de la démocratie". Voilà ce qu'il faut installer et défendre, pour éviter que notre école ne s'embourbe dans cette gadoue de banalité, plate, froide et sans âme, qu'on nous promet aujourd'hui.]]>Encore et toujours : la lecture et son apprentissage.
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2024-01-29T16:55:00+01:00frEvelineEducation, Ecole et PédagogieA la longue, ça énerve ! Reviennent régulièrement les mêmes questions, les "méthodes" à choisir (globale ou syllabique ?), la "querelle" prétendue sur ce sujet, et autres balivernes, qui occupent sans rien apporter, comme cette proposition faite par la Commission d'Information sur l'Apprentissage de la Lecture, pour qui la meilleure solution consiste à mener "une véritable politique des manuels d’apprentissage"...
Oui, ça énerve vraiment.
Enfin comment peut-on encore penser que l'efficacité de l'apprentissage de la lecture, repose sur les manuels d'apprentissage choisis ?
Un manuel pour apprendre à lire !
Mais enfin ! On n'en a aucun besoin : de l'écrit, il y en a partout autour de nous, et autour de l'école : impossible de se promener en ville, sans avoir à lire des tas de choses autour de soi.
Et puis, chacun sait qu'en pédagogie, il est nécessaire de s'appuyer sur ce que les élèves connaissent. Or, même s'ils ne savent pas les lire, ils connaissent toutes sortes d'écrits, ils savent ce que sont les affiches dans la rue, et à quoi elles servent ; comment on trouve le noms des rues sur les plaques collées sur le mur. ; ils reconnaissent les enseignes des magasins, les écrits qui se trouvent sur les murs de l'école, et sur les portes des classes, etc.
Et, chose étonnante, on se rend compte que, d'emblée, les enfants trouvent naturellement que ces écrits-là ont une fonction, apporter des informations qui servent à ceux qui les lisent. C'est, tout simplement, parce qu'ils sont dans du vrai et pas dans du scolaire...
En leur permettant de commencer leur apprentissage de la lecture par de tels écrits bien connus d'eux, on leur permet d'y entrer en douceur, d'aborder plus facilement les écrits textuels, en évitant les petites histoires, plus ou moins mièvres, qu'on se sent obligé de choisir au début, et qui faussent d'emblée la signification du lire.
C'est donc avec les écrits de la rue, et ceux de la vie quotidienne, ceux de la maison, que les enfants vont pouvoir intégrer tout naturellement l'idée que les écrits servent à aider la plupart des activités de la vie, sans oublier le courrier, qui arrive dans les boîtes aux lettres de la maison.
Cela permet aussi une entrée dans la lecture par son utilité et non par le prétendu plaisir qu'elle est censée apporter, comme le croient trop de personnes pleines de bonnes intentions, qui oublient que le plaisir d'une activité ne dépend pas de l'activité elle-même, mais du degré de maîtrise qu'on en a.
C'est pourquoi, il ne peut pas être question de vouloir provoquer le plaisir de lire tout de suite. Mais on peut prendre appui sur son intérêt, et son utilité, qu'on perçoit facilement. C'est, en tout cas, une erreur monumentale, de vouloir commencer par des lectures de plaisir.
Surtout si l'on pense que la lecture du manuel peut en être une !
Et c'est pour moi le moment d'enfourcher un "dada" qui m'est cher, et qui me permet de creuser un peu la question : ce n'est pas avec du prétendu plaisir que l'on motive les enfants à apprendre. Il faut avoir une image bien plate d'eux, pour imaginer une telle explication.
Trop longtemps on a assimilé les enfants, aux ânes qu'on attire avec une carotte : ça ne marche plus — et heureusement ! On leur doit du vrai et du sérieux. Il faut qu'ils sentent qu'on les prend au sérieux, pour qu'ils soient convaincus de nous suivre et de nous écouter dans ce que nous proposons.
Du vrai et du sérieux, c'est incompatible avec un manuel de lecture, faux livre, qui ne sert à rien et qui n'enseigne rien. La fameuse politique des manuels d'apprentissage, qu'elle soit véritable ou non, est une ânerie de plus de notre ministre.
C'est dans les écrits effectifs, les livres, la presse, les BD, les courriers reçus, les règles de jeu et les lettres d'amour qu'on apprend à lire, et non dans ces machins sans intérêt et sans âme !
Problème : oublierais-je que ces manuels sont la source la plus riche de profits pour les libraires ?
Surtout, il est une autre raison qui justifie leur succès : un public, qui sait tout lire, est bien gênant pour les dirigeants et les nantis. Pas besoin de longues réflexions pour découvrir qu'en fait, ces manuels, qui enseignent un faux savoir lire, sont là aussi pour empêcher que tous les élèves ne deviennent lecteurs : seuls le deviennent vraiment ceux qui l'étaient déjà avant d'arriver à l'école.
Et cela me rappelle un petit texte, ancien, datant de 1876, que l'on doit à un vénérable personnage, le Père Art, que voici :
L'instruction rend l'ouvrier orgueilleux ; elle lui permet de fausser ses idées dans des livres pervers et de dépraver son cœur dans la lecture des romans. Elle le dégoûte du métier, elle lui inspire la haine des supériorités et le pousse dans toutes les aventures.
C'était en 1876,
Ça date.
Tant que ça, vous êtes sûrs ? ]]>Ecole : quand la liberté se trompe de route...
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2024-01-17T10:22:50+01:00frEvelineEducation, Ecole et PédagogieEt voilà ! Un débat, vieux comme la république, qui repart une fois de plus, et en pleine lumière, avec télé et tout le reste : faut-il préférer l'école, dite "libre", à l'école publique, qui ne le serait donc pas ? J'ai l'impression de revivre, au grand jour, des conflits que, du haut de mon "grand âge", je croyais résolus depuis longtemps, les ayant déjà vécus dans mon enfance, de façon à la fois difficile et douloureuse.
Un débat, qui me touche personnellement donc, et que de récents événements ont remis en lumière, avec des conflits, que j'ai connus, enfant, dans le village tourangeau, où j'étais, "à l'abri des bombes" pendant la guerre (affirmation devenue discutable par la suite)...
A l'abri des bombes, mais pas à l'abri d'autres types de conflits : dans ce village, l'institutrice, qui tenait l'école, avait intérêt à être accompagnée d'un homme chaque fois qu'elle sortait de son école, car ceux de l'école privée catholique du village, ignorant la charité chrétienne, ne se privaient pas du plaisir de l'agresser sous diverses formes, agressions auxquelles elle résistait avec un calme admirable... Elle se nommait "Madame Besnault" et j'avais pour elle une grande admiration.
Du reste, il fallait du courage, pour aller à l'école publique, dans ce village : et du haut de mon jeune âge — en 1940, j'avais huit ans — j'en étais parfaitement consciente, et elle était pour moi un modèle.
Quand on a vécu cela, la question de la liberté pour l'école, se pose autrement. On découvre que l'idée de liberté est souvent triturée et déformée pour satisfaire des intérêts peu républicains, notamment sur l'école, et ceux qui y enseignent.
Personnellement, je n'ai jamais pu imaginer la liberté de l'école, comme étant, dans le village, celle de l'école catholique de cette époque, qui trônait en maître...
Très vite, j'ai eu la conviction que l'école la plus libre, c'est l'école publique, celle qui rend libres les enfants qu'elle "nourrit", l'école de la république, de la laïcité, qui fait de la religion un choix personnel, extérieur à l'école, et qui doit surtout le rester, comme les choix politiciens qui n'ont rien à voir avec elle.
Qu'elle ne soit actuellement pas parfaite, c'est une évidence : d'abord, elle se trouve soumise aux bons vouloirs de ceux qui dirigent le pays, et dont les églises ne sont pas toujours celles de la République...
Mais je suis sûre que lui offrir des rivales, payante par dessus le marché, reste une très mauvaise idée. Loin de renforcer les apports de l'école aux enfants, en les rendant différents et pluriels, elle les fragilise.
Et puis, c'est une caricature de liberté : jamais la liberté n'a consisté à faire "bande à part", à considérer certains enfants, comme plus méritant que les autres, ce qui est, du reste, une bien mauvaise manière de les élever.
Enfin, il est évident que les écoles "libres" ne peuvent pas être considérées comme démocratiques, elles n'ont pas leur place dans le système, dont elles constituent une sorte de défaut, avec des relents d'anciens privilèges, incompatibles avec ce que doit être l'école. Leur existence, loin d'être une preuve de liberté, n'est qu'un vieux débris d'une époque révolue, mais coriace.
Alors, même si mes propos vont susciter des accusations de partialité inexcusable (que j'assume !), je maintiens que la seule école possible dans une société démocratique, c'est l'école publique, l'école pour tous les enfants, quels qu'ils soient, l'école de la réalité, où peuvent s'oublier les différences de fortune des parents, l'école de la république, une et indivisible, gratuite et obligatoire, la même pour tous.
Dans la devise de la république, le mot "liberté" est suivi de deux mots magnifiques : égalité et fraternité, incompatibles l'un et l'autre, avec toute notion de supériorité, notamment de richesse.
Si l'on a des reproches à faire à l'école de la république, — et c'est le cas ! — nous pouvons agir pour y remédier, et nous le devons, car c'est possible, si l'on utilise les vrais moyens : obtenir du ministre qui la dirige, avec ceux qui l'accompagnent, la défendent bec et ongles, contre les attaques, qu'ils lui donnent les moyens d'agir, de profiter des travaux des chercheurs, qu'ils la libèrent, au maximum, des routines et des contraintes institutionnelles, et qu'ils fournissent aux enseignants, une formation solide et ambitieuse, avec un équipement théorique, psychologique et pédagogique costaud... On aimerait aussi qu'ils soutiennent des recherches intéressantes (comme celles de Freinet, entre autres, ou celles de l'INRP jadis), qu'ils leur facilitent l'accès à des expérimentations.
Mais surtout, surtout, que ce ministre évite de donner le mauvais exemple : il est assez fâcheux que lui qui dirige le fonctionnement de l'école publique ait été formé à l'Ecole Alsacienne, qu'une autre ministre mette ses enfants à l'école Stanislas, et en soit fière. Ces contradictions font vraiment désordre dans l'école de la République. Quand on est au pouvoir, l'usage veut qu'on soit en accord avec la loi, mais aussi avec les valeurs du pays.
On aimerait donc que ces dirigeants "contrevenants", s'en excusent, en admettant ouvertement que, si le besoin de liberté rend possible qu'existe d'autres types d'école, l'école publique soit toujours considérée, y compris à leurs yeux, et dans leurs choix, comme la seule légitime dans une démocratie, et qu'elle dispose toujours des moyens nécessaires pour rivaliser avec ces écoles "autres", puisqu'elles existent...
Si cela paraît difficile, voire impossible, c'est que nos dirigeants ne sont pas démocratiques dans un pays qui a vocation à l'être...
Alors, il faudra rappeler Condorcet, Jaurès, Jean Zay, au secours : on aura grand besoin d'eux... Comme d'habitude !]]>L'école : en progrès ou en marche arrière ?
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2023-12-21T09:44:16+01:00frEvelineEducation, Ecole et PédagogieJe viens de relire un ouvrage passionnant, de presque trente ans d'âge, au titre éloquent : "L'école : en progrès, mais pourrait mieux faire". Son auteur : Jean-Paul Julliand, ex-prof de gym, agrégé de cette discipline, auteur et réalisateur de films sur l'école — et pas que. Et surtout, un fameux pédagogue. Ce bouquin, intelligent, revigorant, laisse à la lecture un goût doux-amer et fait couler une larme de nostalgie, dès qu'on pense à l'école d'aujourd'hui, avec son ineffable ministre : il est vrai que cet ouvrage fut écrit en 1996 : probablement introuvable aujourd'hui, c'est une sorte d'OVNI : il décrit un tout autre monde que le nôtre...
Du reste, un ouvrage, ayant ce titre est chose impensable de nos jours : il serait totalement incompris. Notamment, le "pourrait mieux faire" ne susciterait, à l'heure actuelle, qu'un pâle sourire : les propos du ministre sont si loin de la notion de progrès, que le mot ne viendrait même pas à l'esprit. Comme on sait, la pédagogie du ministre n'a pas à être discutée, et encore moins améliorée : elle a à être suivie. Point barre.
Tiens ! Il paraît que nous sommes en démocratie : serait-ce oublié ?
En tout cas, il semble bien que des progrès ne sont guère faciles à concevoir : il faudrait pour cela qu'il y ait déjà quelque chose, comme un début intéressant, une bonne base à analyser pour aller plus loin.
On n'en est, hélas, pas là du tout.
Ce ne sont donc pas des progrès qu'il faut espérer, mais une révolution, qui reprenne tout à zéro...
Attention, il n'est pas question de suivre ici l'hymne des révolutions : "Du passé faisons table rase". Quoique amie des révolutions, j'ai toujours détesté ce credo, très mauvais pour diverses raisons : la première, c'est qu'on construit toujours sur du donné, et non sur du rasé, et la seconde, qui n'est autre que la conséquence de celle-ci, à savoir que construire, c'est toujours transformer un modèle précédent.
La révolution attendue est à chercher plutôt du côté du Ministre et de sa façon d'agir : en démocratie, système politique pourtant affirmé et réaffirmé en haut lieu, sur le fonctionnement de l'école, les décisions ne devraient jamais être prises de façon personnelle par un ministre qui dit "je". En démocratie, elles sont prises par une commission, où il siège, bien évidemment, mais qui doit contenir, parmi ses membres, des enseignants du terrain. Les enseignants étant des êtres humains, on ne décide pas de leur sort en dehors d'eux : c'est un principe fondamental.
Utopie, direz-vous ?
Permettez-moi de citer ici la définition que Jean-Paul donne de ce mot dans son ouvrage:
"L'utopie n'est pas l'illusion. Elle est un déclencheur, un moteur de l'activité humaine, qui permet de penser demain à partir de l'impossible provisoire d'aujourd'hui."
Cette affirmation a trente ans d'âge. Elle est, pour nous, d'une actualité brûlante.
Alors, arrive la question évidente et les réponses qu'elle appelle : ne laissons pas faire ce qui se met en place. Protestons, exigeons que la démocratie s'exprime, en refusant les décisions verticales qui s'installent sournoisement et nous conduisent, sans qu'on s'en rende compte, vers la disparition de tous les progrès effectués dans les années 70...
Souvenez-vous, ou, si vous n'étiez pas encore là, renseignez-vous : ce qui semble un rêve impossible a pu être installé : le travail par cycles de trois ans, a été mis en place, dont la nécessité avait été mise en évidence, par les travaux indiscutables des chercheurs de cette époque, notamment de Jean-Pierre Changeux. C'est lui qui a insisté sur le fait que l'année est une durée beaucoup trop courte, pour que que tous enfants puissent atteindre les objectifs visés. Une organisation annuelle est d'avance une source d'échec pour une bonne partie des enfants ; et, contrairement à ce qu'on recommence à croire, et notamment notre inculte ministre, la cause en est la différence des rythmes de travail des enfants. C'est une donnée essentielle, qui n'a aucun rapport avec les "niveaux", notions floues dépourvues de signification rigoureuse, ramenés à la surface, par le ministre, avec leurs vieux relents nauséabonds. Ce sont ces différences de rythme qui rendent indispensable une organisation pluri-annuelle : trois années étaient apparues, dans les années 70, l'unité nécessaire pour prendre en compte ces variations.
L'ignorance totale de ces données, en haut lieu, confirme s'il en était nécessaire, l'inculture généralisée au sein du ministère.
A la question du titre de ce billet, la réponse est évidente, hélas : la marche arrière est enclenchée, et chacun regarde ailleurs.
L'utopie, si bien décrite par l'ami Jean-Paul, est très loin. A nous de la rappeler et d'en éclairer, aujourd'hui, la nécessité, plus criante que jamais...]]>Le manuel de lecture : objet saugrenu et dangereux...
https://charmeux.fr/blog/index.php?2023/11/29/551-un-manuel-de-lecture-pourquoi-faire
2023-11-29T09:22:12+01:00frEvelineEducation, Ecole et PédagogieCe titre va faire bouger les lecteurs, au moment où, en haut lieu on vient juste d'apprendre qu'il est question, de "labelliser", officiellement ces objets scolaires incontournables, et qui se vendent si bien qu'il sont une des plus importantes sources de bénéfices pour les libraires
Personnellement, tous ces constats me semblent à la fois navrants, et très inquiétants, quant à l'idée qu'elle éclaire de ce que signifie "apprendre à lire"...
Personnellement, tous ces constats me semblent à la fois navrants, et très inquiétants, quant à l'idée qu'elle éclaire de ce que signifie "apprendre à lire"...
Comment pourrait-il être envisageable de "labelliser" des manuels de lecture ? Sur quels critères s'appuyer ? Si l'on veut faire un travail sérieux, il faudrait définir des critères efficaces de caractéristiques d'un "bon" manuel, et des années d'expérimentation approfondie de chacun de ceux qui existent.
Mais surtout, il faudrait, avant tout autre travail, avoir démontré la nécessité des manuels d'apprentissage de la lecture.
Comment dans un monde où l'écrit est omniprésent, dans la rue, sur tous les murs, dans la maison, sur la table des repas, à la télé, dans les courriers reçus, chez les commerçants, sur les jouets des enfants, sur les produits ménagers, enfin partout où passent les enfants, peut-on penser encore qu'un manuel de lecture est nécessaire, pour découvrir la lecture ?
Avec son statut particulier de principal outil d'émancipation, la lecture est depuis toujours jugée dangereuse, et à ne pas mettre entre toutes les mains, donc sa porte ne s'ouvre pas facilement. Très vite, on a trouvé un outil précieux qui trompe son ouverture : le "manuel de lecture", objet bien artificiel, mais qui a l'avantage de faire grincer la porte pendant l'apprentissage, n'ayant que peu à voir avec les vrais objets à lire.
C'est aussi un objet bizarre : ce n'est ni un livre, ni un journal, ni un recueil de nouvelles ou de poèmes, et, de fait, on ne le lit jamais : on s'en sert pour apprendre à lire ! Comme paradoxe, il est difficile de faire mieux.
En voici un exemple célèbre, encore fréquemment utilisé dans les classes :
Vous me direz que ce n'est pas très nouveau : rassurez-vous, les nouveaux ne sont pas mieux, même si on observe un effort de présentation :
Par exemple cet "escalier" de la lecture, et ses huit marches qu'on peut trouver sur Internet :
1- je sais manipuler un livre correctement. Bon ! D'accord !
2- Je sais qu'il y a des « choses » à lire dans les livresidem
3- Je sais lire quelques petits mots (le, la etc.). Quel intérêt ? Et pourquoi commencer par eux ?
4- Je déchiffre les mots inconnu.Où est le sens ici ? Et où est l'intérêt de les "déchiffrer, si on ne les comprends pas ?
5- je lis de façon fluide. Donc à haute voix : et le sens alors ?
6- Je fais les liaisons. Lire ne s'effectue pas à haute voix, mais avec les yeux seuls.
7- je mets le ton. même remarque que précédemment, sauf que, dite ainsi, cette formule n'a aucun sens.
8- Je suis un très bon lecteur. C'est sûrement trop vite dit !
Dans cette énumération(qui n'est en rien une progression !!) il manque tout ! Il est clair que l'objectif ici n'est pas la compréhension ; il ne s'agit que d'une lecture à voix haute, qui ne va servir à rien (c'est quoi, le "ton", correspondant à quoi ? ?) Formule absurde !
On ne peut qu'être navré de voir de si énormes contresens, tant de gâchis, avec ces inventions absurdes.
Rien de tout cela ne permet d'atteindre une maîtrise de la lecture, la vraie, celle des plaisirs de lire et celle qui permet d'apprendre et de savoir.
Que faut-il pour pouvoir vraiment apprendre à lire ?
D'abord, chose totalement oubliée depuis que cet apprentissage existe, être bien convaincu que, puisque l'écrit n'est accessible qu'avec les yeux, apprendre à lire, c'est apprendre à se servir de ces yeux. L'oral n'y a pas sa place : lire, c'est transformer des signes écrits, en images mentales, en pensées, en opinions, en croyances, toutes choses qui peuvent créer des échanges oraux, mais jamais directement : que ce soit chez soi ou en classe, lire s'effectue à partir d'une perception visuelle, évidemment silencieuse. Et ce qu'on appelle" la lecture à haute voix", n'est pas de la lecture, mais une communication orale de celle-ci, fort difficile à maîtriser, car elle demande un apprentissage spécifique approfondi, qui ne peut apparaître qu'une fois la lecture des yeux, bien installée.
Alors, pourquoi fait-on lire les élèves à haute voix en classe ?
Parce que, ignorant — ou refusant d'admettre — que la lecture à haute voix n'est pas de la lecture, l'enseignant trouve plus commode cette lecture sonore, infiniment plus économique à vérifier qu'une lecture des yeux... Et voilà pourquoi, mélangeant tout, on ne fait rien de bien : on ne vérifie pas la lecture, la vraie, et on trompe les élèves — et même les ministres ! — en leur faisant croire que tout ça, c'est la même chose.
Mais enfin, quand aura-t-on fini d'aller chercher midi à quatorze heures ? Quand aura-t-on compris qu'en classe le vrai manuel de lecture, c'est l'écrit qui nous entoure, point barre !?
Et quand se décidera-t-on à admettre qu'il faut s'appuyer, pour tout apprentissage, sur ce que les enfants connaissent, tout ce qui appartient à leur vécu, où fleurissent de nombreux écrits de toutes sortes : depuis les courriers reçus à la maison, jusqu'aux ouvrages du CDI, en passant par toutes les choses écrites de la vie quotidienne, les journaux, les programmes télé, les publicités, les graffitis de la rue, et les petits mots que les élèves se font passer en douce pendant la classe... Ils sont là, les vrais "manuels".
Les seuls objets à éviter, absolument, ce sont les manuels de lecture, objets faux, et qui faussent les connaissances des enfants sur ces sujets : sur ces objets, en effet, il est impossible de lire, puisqu'ils n'apportent aucune information : chacun sait que lire, c'est découvrir des idées, des événements, des savoirs, en prise directe avec la vie que connaissent les enfants.
Labellisés ou pas, les manuels de lecture sont à éviter.
Et ce n'est pas une gloire pour notre ministre que de lire ses propos ministériels, sur un sujet dont, de toute évidence, il ignore tout : si ce n'était pas le cas, jamais, il ne dirait une sottise pareille.]]>Tiens ! Le redoublement redouble encore...
https://charmeux.fr/blog/index.php?2023/11/24/550-recommencer-oui-mais-autrement
2023-11-24T09:44:53+01:00frEvelineEducation, Ecole et PédagogieNotre distingué ministre de l'Education souhaite revenir sur "le tabou du redoublement". Cette formule a comme un relent de déjà entendu : on n'en finira donc jamais de répéter les mêmes choses, comme si on redécouvrait périodiquement l'eau chaude ?
C'était en l'an 2012, et votre servante avait écrit ceci : Redoubler, s'il le faut, d'accord, mais autrement !
Quand on analyse le redoublement scolaire, on découvre vite que cet adverbe y est parfaitement absent. Même la proposition, pourtant simplette, de faire redoubler, au moins, dans une classe parallèle pour que ça change un peu, vient rarement à l'esprit de ceux qui le décident. En fait, l'enfant repart pour un tour, rigoureusement le même. Et qui plus est, sans pouvoir bénéficier du seul avantage que lui apporterait ce second tour, celui d'être déjà au courant et de pouvoir enfin briller un peu en sachant répondre aux questions. Presque toujours, en effet, après avoir posé ses questions, l'enseignant se hâte d'ajouter en direction des "redoublants" : "Vous, vous vous taisez ! Vous laissez parler les autres !".
On pourrait appeler cela appliquer la "double peine".
Même si l'on peut me répondre qu'aujourd'hui, une telle scène est moins probable qu'à l'époque — bien que douze années soient un délai bien trop court pour faire changer l'école ! — elle n'en reste pas moins plausible : je suis sûre que certains lecteurs vont la reconnaître, pour l'avoir vécue, ou y avoir assisté.
Et puis, on sait bien que, même encore maintenant, certains collègues ressortent chaque année, les préparations de l'année précédente, certains poussant même jusqu'à refaire les mêmes plaisanteries, aux mêmes endroits, chaque fois ! C'est là chose que j'admire, étant personnellement incapable de refaire de la même manière ce que j'ai déjà fait, notamment d'utiliser le canevas d'une précédente intervention, pour préparer la prochaine : les élèves, même redoublants, ont un regard très percutant sur leur enseignant, et reconnaissent, non sans un soupçon de moquerie, ces redites, qui décrédibilisent gravement l'enseignant à leurs yeux.
Enfin, nombreux sont ceux qui, dans leurs souvenirs, ont, comme moi, un "A refaire", inscrit d'une plume plus ou moins rageuse, dans la marge de quelques-unes de leurs copies-souvenirs.
Comment l'enseignant pouvait-il ne pas se rendre compte que cet ordre est quasi impossible à satisfaire ?
A refaire ? D'accord, mais comment ? Quels sont les aspects qu'il faut retravailler, et dans quelles directions : si l'on ne précise pas tous ces points, l'élève ne peut rien faire.
J'espère qu'aujourd'hui le progrès, sur ce point, est réel, mais c'est à vérifier !
Cette remarque nous renvoie également aux "informations", placées par l'enseignant, dans la marge des copies : les "discutable", "faible", "à préciser", cette dernière notation étant moins mauvaise que les précédentes, mais qui reste tout de même insuffisante pour l'élève : préciser en quoi ? Et pourquoi ?
De façon générale, ces remarques ne sont qu'à peine lues — sauf si elles sont élogieuses — et, pour l'élève, ne font l'objet d'aucun travail personnel.
C'est pourquoi, j'ai toujours conseillé à mes collègues de prévoir, un temps important de débat autour des copies rendues, sur ce que les élèves en lisent et en comprennent. Réunis en petits groupes, ils en discutent et préparent un questionnaire pour la mise en commun qui va suivre.
A ceux qui vont rétorquer que "tout ça consomme beaucoup de temps, et qu'on n'en a pas..." je réponds sans vergogne, que, loin d'être inutilement perdu, ce sont des moments indispensables : tout ce qui explicite les choses pour les élèves est absolument nécessaire.
C'est là chose bien connue : un enfant sur trois (et je suis optimiste !) n'a pas entendu ce que vient de dire l'enseignant. C'est ici que le travail de groupe est précieux. Je suis de plus en plus convaincue que le travail individuel en classe est inutile et même contreproductif. Tout a intérêt, en classe, à se faire en groupes : l'ambiance de travail est là et, en plus, ils savent qu'ils sont là pour ça. C'est à la maison qu'ils travaillent seuls.
Outre tous les avantages d'une telle forme de travail, celle-ci va permettre d'éviter la question du "refaire" : on ne "refait" pas un travail effectué en groupe, on oublie cette notion finalement assez bête. On va retravailler, discuter sur le texte produit, rectifier certains points de désaccord, mais on ne "refait" rien.
On le sait donc : à l'école, comme à la maison, tout travail d'écriture et de production ne saurait se borner à un premier jet. Quel que soit l'âge de celui ou celle qui souhaite produire un écrit, lon ne garde jamais ce qu'on a écrit en premier : écrire, c'est réécrire — souvent un nombre de fois considérable. Et l'école a eu longtemps le grand tort de faire croire aux élèves qu'il fallait écrire "bien" du premier coup.
Oui, dira-t-on, mais il ne faut pas oublier que l'école a inventé la fameuse théorie du "brouillon", qui ouvre la porte aux réécritures... En fait, c'est une erreur : presque toujours, on recopie le brouillon. Du reste, celui-ci n'a ouvert aucune porte, car on n'écrit jamais pour produire un "brouillon". Ce qu'on produit, c'est un écrit, qui sera sûrement le point de départ de réécritures plurielles, c'est notablement différent. Mais on est — on doit être — d'emblée dans le projet d'un écrit définitif, dont les réécritures font partie intégrante. Il est donc essentiel que les enfants le vivent ainsi. C'est une posture d'écriture adulte, que les enfants doivent acquérir très vite.
On le voit, redoubler est chose constante, dans la vie, comme en classe : sans cesse on a à recommencer, refaire — mais toujours autrement. Loin d'être la trace d'une faiblesse et d'une erreur, c'est le symbole même de notre vie. Sisyphe : nous sommes, tous, celui qui remonte inlassablement sa pierre en haut de la montagne, mais en cherchant toujours d'autres moyens plus efficaces. C'est normal et c'est bien.
Comme me l'a murmuré, en mourant, quelqu'un qui m'était plus que cher : "continue la vie", je sais maintenant que vivre, c'est ne pas céder à la facilité du renoncement, c'est poursuivre et refaire, mais autrement, pour que les suivants prennent d'autres relais, sur de meilleures bases.
Non les redoublants ne sont pas inférieurs : ils ont le courage de continuer, si nous avons l'intelligence de les aider à ne pas faire pareil. C'est en ce sens qu'il faut les aider : redoubler est un mauvais verbe : rien ne doit être repris tel quel.
Quand je recommence, je deviens autre, sinon je bégaie.]]>Un ministre sans vergogne... et sans culture...
https://charmeux.fr/blog/index.php?2023/11/17/549-un-ministre-sans-vergogne
2023-11-17T09:28:55+01:00frEvelineEducation, Ecole et PédagogieEt pourtant, de la vergogne — et de la culture, pédagogique — quand on est ministre de l'Ecole, il lui en faudrait pour éviter le ridicule : affirmer comme si c'était une découverte récente, ce qui a été dénoncé comme une erreur, depuis plus de cinquante ans, ne saurait être un atout, pour personne, mais cela frôle la honte quand c'est un ministre qui tient ce genre de discours.
Tentons de lui offrir quelques miettes, de cette culture qui lui manque...
Comme le rappelle Sylvain Connac, qui s'appuie sur les travaux de la sociologue Marie Duru-Bellat, pour qui l'organisation de groupes dits "de niveau" produit un effet d'accélération des inégalités qui séparent les élèves, et de confirmation de celles-ci, incompatible avec des objectifs démocratiques pour l'école, la proposition du ministre est assez catastrophique.
On voit mal comment le fait de "séparer le bon grain de l'ivraie", parmi les élèves, favoriserait une réussite égale pour tous. Même si — ne soyons pas "bisounours" — cette pratique reste le vœu secret (ou à demi avoué !) de plus d'un enseignant, l'objectif officiel reste bien de faire réussir tout le monde, et d'apporter un "plus" à chacun des élèves.
Faut-il être ignorant pour voir dans l'installation de groupes de niveau une solution évidente à la réussite de tous les élèves, et avoir un raisonnement bancal, pour penser qu'une organisation dont les faits prouvent qu'elle accentue ouvertement les inégalités entre les élèves, pourrait permettre d'atteindre cet objectif !
Comment expliquer un tel aveuglement, de la part d'un ministre ?
Il est vrai qu'un ministre qui sort de l'Ecole Alsacienne, ne peut avoir de l'école primaire qu'une vision sommaire, surtout quand tout ce qu'il dit prouve une ignorance complète de l'histoire de l'école primaire française.
Or, quand un nouveau PDG est nommé à la tête d'une entreprise, en général, il commence par s'intéresser à son histoire. Ce n'est pas l'idée de monsieur Attal, qui préfère partir de zéro et prétend avoir des ambitions pour l'améliorer. La question alors se pose immédiatement : comment peut-on améliorer une entreprise, si on ne connaît rien de son passé ?
Quelqu'un ne pourrait-il pas le prévenir que la question des groupes de niveau a fait l'objet de tout un travail collectif, à une époque où la recherche pédagogique méritait vraiment cet adjectif, ainsi que celui de "démocratique"?
Il est vrai que c'était "avant" : la recherche ne se faisait pas en laboratoire, mais sur l'ensemble des écoles primaires de France, qui avaient accepté d'y participer : plus de cent groupes scolaires y étaient engagés. J'ai participé à des colloques sur la pédagogie du français présidés par les plus importants chercheurs de l'époque, où étaient présents, sur deux, voire trois semaines, plusieurs centaines de collègues.
Précisons qu'il y en avait autant pour les maths et les autres disciplines.
C'était surtout un travail collectif approfondi : on travaillait sur ds hypothèses proposées par des scientifiques : on organisait des séances destinées à mettre au point des expérimentations durant quelques semaines dans les classes concernées, puis on se retrouvait pour discuter des premiers constats et rectifier le travail pour les semaines à venir, avant de nouvelles rencontres.
Chaque directeur de recherche rédigeait des rapports, bases de travail pour les semaines suivantes. C'était une organisation véritablement démocratique... On était loin des décisions personnelles d'un ministre dont l'unique souci est de se faire valoir, à qui le souci d'aider les collègues enseignants est loin d'être une priorité.
Les ministres de l'époque, qui nous ont soutenus ont été successivement Olivier Guichard qui a vraiment aidé le démarrage de ces recherches, puis quatre ministres, dont Alain Savary, qui a tout fait pour les défendre. Les autres l'ont plus ou moins tolérée, jusqu'à ce que Jean-Pierre Chevènement annonce "la fin de la récré" (la formule est de lui !!) : plus de "recherche", mais du sérieux, car, maintenant : on sait !!
C'était les années 70...
L'âge d'or de la recherche en pédagogie était terminé... Qui pour le relancer ?
Gabriel Attal ?]]>Mais non ! Les élèves n'ont pas de "niveau"...
https://charmeux.fr/blog/index.php?2023/10/24/547-mais-non-les-eleves-n-ont-pas-de-niveau
2023-10-24T11:26:45+02:00frEvelineEducation, Ecole et PédagogieLe "niveau baisse" à l'école.
Depuis plus de soixante-cinq ans que je suis enseignante, j'entends dire qu'il n'a pas cessé de baisser. Il doit avoir rejoint le fond des catacombes depuis longtemps.
Et depuis la même durée du temps, on rend responsables les mêmes données, la disparition (?!) de la méthode syllabique pour apprendre à lire, et le laxisme généralisé de l'école.
Il est clair qu'on a tout faux.
D'abord, c'est quoi le "niveau" des élèves ?
Depuis plus de soixante-cinq ans que je suis enseignante, j'entends dire qu'il n'a pas cessé de baisser. Il doit avoir rejoint le fond des catacombes depuis longtemps.
Et depuis la même durée du temps, on rend responsables les mêmes données, la disparition (?!) de la méthode syllabique pour apprendre à lire, et le laxisme généralisé de l'école.
Il est clair qu'on a tout faux.
D'abord, c'est quoi le "niveau" des élèves ?
C'est là un sujet maintes fois traité partout, y compris sur ce blog. Mais, disait André Gide :"Tout est dit, mais comme personne n'écoute, il faut toujours recommencer !"
Recommençons donc.
Personnellement, je suis toujours admirative — et septique — devant ceux et celles qui osent, à la lumière de leur petite chandelle personnelle, affirmer avec tant d'assurance qu'ils savent où en sont leurs élèves.
En fait, on n'en sait généralement rien du tout, parce que c'est impossible à savoir. Et ce ne sont pas les évaluations officielles, ou non, qui peuvent modifier la chose.
On oublie, trop facilement, que, pour les savoirs scolaires, c'est dans l'humain qu'on se trouve, lequel n'a jamais fait bon ménage avec la rigueur mathématique.
Et pourtant, on s'obstine à mesurer quand même, si bien que le résultat est qu'on trompe tout le monde avec des données qui n'en sont pas, et qui bousillent la pensée de tous, ceux qui les lisent, et ceux qui les subissent.
Le "niveau" des élèves, est-ce important ?
Question qui en entraîne d'autres.
1- Est-il si nécessaire que cela de prévoir ces moments dits "d'évaluation", qui gâchent l'ambiance de travail sans apporter d'informations indispensables ?
La réponse, généralement fournie, est double :
* on a besoin d'avoir un retour sur le travail fourni, pour s'assurer qu'il a bien été utile ;
* on a besoin de pouvoir repérer en quoi on peut ou doit l'améliorer.
Problème : il est rare que l'évaluation en question apporte clairement ces informations, que l'on peut obtenir bien plus clairement par des régulations et des entretiens avec les élèves.
Alors à quoi servent-elles ?
L'ami Laurent répondra sûrement, comme il l'a fait à maintes reprises, que c'est essentiellement pour trier les élèves, en feignant d'ignorer que les différences de réussite sont liées beaucoup plus aux différences de classes sociales, qu'à celles de moyens intellectuels. Il a sûrement raison.
Quoi qu'il en soit, il est sage de ne leur accorder aucune valeur, de cesser de perdre du temps à les imposer aux élèves, et d'imposer leur corrections aux collègues, en même temps, pour travailler à convaincre les collègues et les autorités d'en faire autant.
Vœu pieux, dérisoire, mais qui n'est pas inutile : à force de le répéter, cela finira bien par être entendu un jour ...
En revanche un certain nombre de constats s'imposent, qui jettent une lumière bien complémentaire sur cette question, et qu'il faut diffuser partout.
1- Il faut que chacun admette qu'on ne saura jamais tout de nos élèves, notamment ce qu'ils savent et ce qu'ils ignorent : les seuls à le savoir, c'est eux, et encore, pas toujours et pas tous...
Il est donc inutile de concevoir des moyens variés de le savoir, des "évaluations", nationales ou non, activités dont le seul résultat est de faire perdre un temps précieux, pendant lequel on ne travaille pas à apprendre.
2- Sans perdre du temps, donc, à essayer de savoir, ce que nous ne saurons jamais, nous avons, au moins, le devoir de leur apporter le maximum, et ce, sans relâche, et SURTOUT, sans vouloir savoir ce qu'ils en font.
3- En revanche, nous avons à prévoir une organisation de la classe, qui leur donne la parole et permettent leurs questions.
4- Nous devons aussi être convaincus que les différences qui séparent les enfants ne sont jamais des différences de valeur, même si certaines semblent parfois handicaper la réussite scolaire. Il ne faut jamais oublier que les disciplines, dites fondamentales, sont loin d'être plus importantes que les autres : à rappeler souvent, car peu d'enseignants en sont convaincus.
Plus les années passent sur moi, plus je réfléchis à tous ces problèmes, et plus je suis persuadée qu'on se fourvoie de deux manières : vouloir, à tout prix savoir où en sont nos élèves, et chercher ce qui serait le plus important à leur apprendre : tout est important et capital, quoique différemment selon les enfants.
Aussi faut-il donner tout à tout le monde, enfin tout ce qu'on peut, avec les moyens du bord. Quant aux programmes imposés officiellement, ils sont si évidents à l'école primaire, qu'ils ne peuvent guère gêner les collègues : c'est au collège et au lycée, qu'ils sont contraignants
Puisque nous ne saurons jamais exactement où en sont les élèves, ni ce qu'ils font de ce que nous leur enseignons, force est d'admettre que la notion de niveau des élèves est en train de se déliter totalement, et qu'on perd du temps à vouloir la cerner, ou (ce qui est encore plus bête), à vouloir la mesurer.
En fait, le niveau des élèves est une notion vide, sans intérêt, pour personne, ni les élèves ni l'enseignant, mais qui, malheureusement, fait image.
Une image redoutable.
Une image qui fausse le regard et dérange la pensée.
C'est aussi une image absurde et doublement erronée : le terme de "niveau" évoque une hauteur, liée à la coriace croyance que apprendre ce serait empiler des savoirs.
Il n'en est rien : apprendre, c'est grandir et se transformer. Et ça, ça ne se voit pas bien de l'extérieur.
Mais c'est comme ça !
Elle est là, l'erreur de notre conception de l'évaluation : de l'extérieur, nous ne voyons rien de ce qui se passe chez les élèves : le temps consommé à vouloir le voir est donc inutilement perdu, puisque, comme nous l'avons dit plus haut, ils sont seuls à savoir ce qu'ils savent.
Il s'ensuit que nous avons besoin d'eux pour pouvoir les aider !
Sans chercher à savoir où ils en sont, nous avons donc uniquement à travailler avec nos élèves, tels qu'ils sont, en partant du principe qu'ils sont tous capables d'apprendre, et à échanger avec eux, par le biais notamment de régulations trimestrielles, au cours desquelles, les difficultés variables, d'un élève à l'autre, sont mises en commun par le travail de groupe. Ce qui va les aider, ce sont des mises au point du vécu des élèves, avec les rectifications que leur ressenti demande.
Impossible de s'en passer.
De toute façon, dans un pays, qui clame volontiers sa fierté d'être une démocratie — même s'il a des progrès à faire en ce sens — les décideurs, logiquement, ne peuvent que préconiser une école démocratique, et ce, au nom d'un principe évident, celui de la cohérence indispensable entre un pays et son école.
Contradictoire avec celle de démocratie, la notion de "niveau des élèves" — le mot et la chose — doit donc disparaître du vocabulaire de l'éducation.
Parce qu'il semble que l'évidence de ce constat ait du mal à s'installer dans l'esprit de nos décideurs, comme, hélas, dans celui d'une part importante de nos collègues, il nous revient la tâche de continuer à travailler pour et avec les élèves, tout en fredonnant cette ritournelle, à l'écrire partout, et la chanter sur tous les tons, et avec toutes les musiques :
Non, non et non, le niveau des élèves ne baisse pas, et ne peut pas baisser... Pourquoi ?
Tout simplement, parce que le niveau des élèves, ça n'existe pas.]]>C'est à cela qu'un prof doit être formé.
https://charmeux.fr/blog/index.php?2023/10/17/546-c-est-a-cela-qu-un-prof-doit-etre-forme
2023-10-17T10:25:29+02:00frEvelineEducation, Ecole et PédagogieDans un texte très fort, dont ce titre est une des conclusions, Philippe Meirieu, développe ainsi le "cela" :
L’accès à une pensée exigeante et le refus de toute forme d’emprise, la lutte contre tous les slogans et toutes les théories du complot, l’effort pour ne jamais s’en tenir aux fausse évidences et la volonté de permettre à chacun et à chacune de « penser par lui-même » sans jamais renoncer à « construire du commun ».
Impossible de résister au besoin d'explorer les richesses de cette formule, contradictoire, et provocatrice.L’accès à une pensée exigeante et le refus de toute forme d’emprise, la lutte contre tous les slogans et toutes les théories du complot, l’effort pour ne jamais s’en tenir aux fausse évidences et la volonté de permettre à chacun et à chacune de « penser par lui-même » sans jamais renoncer à « construire du commun ».
Impossible de résister au besoin d'explorer les richesses de cette formule, contradictoire, et provocatrice.
Assurément, aucun auteur de programmes scolaires n'a su, avec une telle pertinence, et une telle force, définir l'objectif majeur du métier d'enseignant, et présenter de tels contenus.
Avec les événements récents qui projettent une lumière dramatique sur un domaine, considéré, depuis toujours, comme une sorte de sanctuaire à part, qu'il faudrait protéger des miasmes et agitations de la vie extérieure, il faut se rendre à l'évidence : l'Ecole semble bien avoir quitté ce sanctuaire. Elle est même maintenant en première ligne.
C'est donc sur le front, à la merci des diverses formes de mitraille qui menacent de toutes part, qu'elle doit assumer sa tâche, en se protégeant, sans ignorer le danger, maintenant permanent.
Pour cela, la formule proposée par Philippe me semble un excellent fil conducteur d'une réflexion indispensable ici : on y trouve la définition d'une certaine manière de penser, et celle d'une conduite, chère à lui, maintes fois développée, dont la difficulté réside dans une contradiction interne, qui bouleverse quelque peu les objectifs traditionnels de l'école, celle de "penser par soi-même", et, en même temps, de "construire du commun", dans un monde qui s'oppose en tous points, aussi bien au premier qu'au second.
1- Construire du commun.
Notion moins facile qu'on croit à concrétiser : quel commun, à quel niveau ? Et pour en faire quoi ?
Certes, en classe, c'est bien ensemble que les choses doivent évoluer, se clarifier, pour améliorer la vie de chacun : les élèves sont là, avec leurs problèmes personnels divers, et les apprentissages prévus, les mêmes pour tous. Le "commun" semble donc, à première vue, facile à construire dans la classe, puisqu'on y est ensemble pour travailler sur la même chose, apprendre ce que le maître enseigne à tous, ce qui fait le commun de chacune des diversités d'élèves, que représente une classe.
Ce n'est pourtant qu'une illusion, une illusion d'ailleurs complexe : la classe est rarement un véritable "groupe" ; le plus souvent, elle n'est qu'un ensemble de plusieurs élèves, chacun étant plus ou moins seul, au milieu des vingt-cinq ou trente autres.
Pour qu'elle soit un groupe, il faut que celui-ci ait été construit ouvertement, tous ensemble, et qu'il fonctionne en tant que tel, avec une organisation et des règles adaptées, adoptées aussi, par chacun des membres du groupe, et une régulation rigoureuse et régulière. Faute de quoi, l'ensemble est bancal et retourne immanquablement à l'autoritarisme habituel.
En fait, le "commun", c'est la démocratie dans la classe. Sans elle, il ne peut pas exister, et les enfants ne peuvent l'apprendre.
Sans elle, surtout, le premier point posé par Philippe, penser par soi-même, est impossible à envisager : si l'organisation n'est pas démocratique, les élèves ne seront jamais en situation de pouvoir penser par eux-mêmes, trop occupés à effectuer les activités demandées par l'enseignant et à le suivre.
2- Penser par soi même.
C'est, en effet, le point le plus difficile : chacun des enfants est, de toute part, inondé d'affirmations, de savoirs plus ou moins nouveaux, de menaces diverses, plus ou moins scientifiques, déversées quotidiennement sur les réseaux sociaux, installant de manière subreptice des croyances et des peurs, qui perturbent la pensée au point de la paralyser parfois ?
Certes, il y a les cours donnés en classe, mais sont-ils conçus pour conduire les élèves à penser par eux-mêmes ? Pas toujours, c'est évident. Du reste, c'est une activité qui ne se fait pas bien sur commande. Dans notre société où la tradition est d'abord, la soumission, je dirais qu'en classe, penser par soi-même ne semble pas l'objectif auquel on pense en premier, celui-ci étant d'abord d'engranger des connaissances : les évaluations officielles, comme celles que l'on effectue en classe en sont la preuve.
Quand, les enfants vont-ils alors apprendre à penser par eux-mêmes ?
Il manque, c'est vrai, dans les emplois du temps, des moments pour cela, qui ne fait guère partie des programmes officiels. Or, il faut qu'ils soient officiellement prévus : les enfants en ont besoin, et, parodiant la célèbre phrase, on peut dire qu'il faut donner du temps à leur temps, pour réfléchir ensemble, échanger entre eux, sur des documents qui les interpellent, qui les sortent de leur confort de pensée ; bannir, bien plus tôt que cela se fait en général, les "petits textes", et la petite réflexion à laquelle ils invitent : Alain disait : "Il faut donner aux enfants de vraies graines et non du sable".
Les enfants d'aujourd'hui sont au courant de tout ce qui se passe, mais ils n'ont pas toujours la capacité de les comprendre et encore moins les moyens de les aborder "en distance". C'est donc en classe qu'il faut en parler, en leur donnant droit à la parole, pour dire ce manque de confort et le partager — le droit, mais du temps, justement, aussi pour cela. Et c'est plus important que la règle d'accord des participes !
C'est ce qu'on nomme "avoir un fonctionnement démocratique", de plain-pied dans la réalité extérieure à l'école.
On le voit, cette formule, à travers son innocence apparente — que l'on va sans doute, en haut lieu, tenter d'édulcorer jusqu'à l'épuisement, en démontrant que c'est ce que font les "bons" enseignants. — est une proposition véritablement politique.
Nous évoquions, en début de billet, les obstacles, récemment aggravés, qui viennent alourdir la tâche de chaque enseignant : le sanctuaire protégé qu'était l'école jadis (sans du reste n'avoir jamais pu l'être vraiment !) n'existe évidemment plus. Et heureusement : à quoi servirait l'école sinon à mieux comprendre ce qui se passe dans l'entourage des élèves ?
C'est ainsi qu'apparaît, dans toute son ampleur, ce qu'un tel objectif exige, en matière de formation des futurs enseignants. Si les objectifs pédagogiques sont toujours aussi nécessaires, l'ancrage de cette pédagogie dans l'actualité politique, économique et sociale, devient une condition incontournable des contenus de formation.
La frilosité bien connue des formateurs sur ce point, doit être secouée. La douce tiédeur des habitudes tranquilles a disparu. La pédagogie n'est plus un refuge. Plongée dans l'actualité brûlante, elle a mal et elle fait mal : plus d'abri pour personne, et, pour l'école, le sanctuaire, c'est fini (pour autant qu'il ait existé réellement...). L'école est au front et en première ligne.
C'est en soldats de première ligne, qu'il faut maintenant former les enseignants.]]>