Bon ! On va observer des classes... Et alors ? On va voir quoi ? Du principe alphabétique à haute dose, des syllabes frappées à tour de bras, du grapho-phonétique veux-tu en voilà, de la conscience phonique arrachée au forceps chez les petits (impossible de l'obtenir autrement, vu qu'un phonème n'a rien à voir avec ce qui est entendu).... C'est ce qui est exigé en classe depuis dix ans et plus : comment pourrait-on y voir autre chose ?
Où est la lecture dans tout ça ?

Et si l'on se mettait enfin à réfléchir (au lieu d'observer, surtout quand on sait à l'avance ce qu'on va trouver), sur le résultat réel qu'on attend à long terme (en pédagogie, les résultats attendus ne peuvent être qu'à long terme, tout de suite : un objectif est une direction, pas une arrivée) et sur les moyens de l'obtenir, compte tenu de ce qu'on sait des enfants de six ans et des processus de l'apprentissage ?
Ce qui me désespère dans la réponse de R. Goigoux, c'est qu'il répond sur le terrain des méthodes ceci ou cela... Mais, nom d'un petit bonhomme en bois ! Quand comprendra-t-on enfin que c'est la méthode toute faite (quels qu'en soient les présupposés) qui est cause des échecs ? Surtout quand, en plus, elle enseigne autre chose que la lecture !
Quand admettra-t-on enfin que la lecture, comme n'importe quel autre apprentissage, ne peut se faire qu'en situation et sur du vrai ?
Quant aux propos de Stanislas D, ils sont si aberrants pour un scientifique, que, scandalisée par ce qu'il dit, je préfère laisser la parole à un autre scandalisé, notre ami Laurent Carle, qui a fort bien exprimé son indignation.

LE SCANDALE SCIENTISTE par Laurent Carle
Dans « Le Monde » du 20 décembre 2013, un article de Stanislas Dehaene, intitulé « Enseigner est une science », nous rappelle que les gardiens du temple et les docteurs de l’idéologie dominante restent vigilants afin d’intervenir en urgence au cas où quelque maitre de CP s’égarerait hors du troupeau du conformisme, du traditionalisme et du conservatisme scolaires. Il y « révèle » deux « scandales », le « libéralisme pédagogique » de l’éducation nationale (sans préciser outre mesure qui est « l’éducation nationale ») et la « globale ». En 1959, Célestin Freinet dénonçait déjà cette forme de fascisme intellectuel qui consiste à pointer le doigt sur un « coupable », l’éternel bouc-émissaire, la « globale ». Il écrivait, il y a plus de 50 ans :
« La méthode globale est aujourd’hui responsable de tous les maux dont souffre l’école. Si les enfants lisent moins bien qu’autrefois c’est la faute de la méthode globale. »
La lecture scolaire, telle qu’on la pratique en France aujourd’hui à l’identique d’autrefois, posait déjà problème alors. Les conservateurs de l’époque - époque décrite et encensée comme l’âge d’or par les conservateurs d’aujourd’hui - déploraient déjà les dégâts provoqués par de supposés « pédagogistes ». Aujourd’hui, comme en 1959, qui connait encore Freinet, qui connait la « globale », cette Arlésienne que personne n’a jamais vue mais dont tous dénoncent la nocivité ? Qui sait ce que lire signifie vraiment et comment on apprend hors de la doctrine des méthodes scolaires et sans elles ? Surement pas monsieur Dehaene qui écrit :
« Recenser les stratégies éducatives des enseignants, répertorier les manuels qu'ils choisissent d'utiliser, et évaluer l'impact de ces manuels sur les capacités de lecture des élèves en fin de CP.
Premier scandale. Pourquoi l'éducation nationale refuse-t-elle encore de recommander à ses enseignants les meilleurs manuels ?
»

Le vrai premier SCANDALE, le voici :
Pourquoi un « scientifique pédagogue » persiste-t-il à croire qu’il faille un manuel pour apprendre à lire ? Croire, est-ce une démarche scientifique ? Et pourquoi un « scientifique pédagogue » persiste-t-il à croire en 2013 qu’un manuel d’enseignement du déchiffrage, nommé méthode, est en soi un manuel d’apprentissage de lecture ?

Deuxième SCANDALE :
« Deuxième scandale dévoilé par l'enquête Deauvieau : nous sommes en 2013, et 77 % des enseignants des zones défavorisées choisissent toujours un manuel de lecture inapproprié, qui fait appel à une méthode mixte, c'est-à-dire où l'enfant passe un temps considérable à des exercices de lecture globale et de devinettes de mots qu'il n'a jamais appris à décoder. Seuls 4 % adoptent une méthode syllabique, qui propose un enseignement systématique et structuré des correspondances entre les lettres et les sons. »

Rappelons que « le temps considérable passé à des « exercices » de lecture globale » dépasse rarement une semaine, celle de la rentrée de septembre. Observons que les exercices ne sont pas une situation, donc une activité véritable, de lecture. Qui dit exercice parle de lecture scolaire déconnectée de toute réalité.

Troisième SCANDALE :
Pourquoi un « scientifique pédagogue » persiste-t-il à confondre la langue française orthographique avec une langue phonographique ? Pourquoi un « scientifique pédagogue » persiste-t-il à croire que la langue écrite n’est que la transcription graphique des sons de la langue parlée ?

« En 2000, par exemple, une vaste méta-analyse américaine montre que les enfants à qui on enseigne ces principes parviennent plus vite, non seulement à lire à haute voix, mais également à comprendre le sens de ce qu'ils lisent. Ce n'est guère étonnant : l'invention de l'alphabet a demandé plusieurs siècles, comment imaginer que l'enfant le découvre seul ? Le principe alphabétique ne va pas de soi. Il faut en enseigner explicitement tous les détails : la correspondance de chaque son du langage avec une lettre ou un groupe de lettres ; et la relation entre la position de chaque lettre dans le mot écrit et l'ordre de chacun des phonèmes dans le mot parlé. Les recherches de mon laboratoire, fondées sur l'imagerie cérébrale, le confirment : tous les enfants apprennent à lire avec le même réseau d'aires cérébrales, qui met en liaison l'analyse visuelle de la chaîne de lettres avec le code phonologique. Entraîner le décodage graphème-phonème est la manière la plus rapide de développer ce réseau – y compris pour les enfants défavorisés ou dyslexiques. »

Allons bon ! Oraliser un mot en faisant le bruit des lettres avec la bouche, serait un acte de lecture à lui seul et le « comprendre » serait la récompense de ce labeur ? Il faut être rudement savant pour, après des siècles de recherche, en être parvenu à cette découverte majeure : faire b a ba permet de lire à haute voix et de « comprendre » ce qu’on s’entend prononcer.

Quatrième SCANDALE :
Pourquoi un « scientifique pédagogue » persiste-t-il à proclamer que la lecture est la sonorisation vocale des lettres de l’alphabet et que cette sonorisation précède la compréhension, alors que lire c’est comprendre ? En français, peu de lettres se prononcent et ce sont les muettes (l’orthographe) qui portent le sens des mots. C’est pourquoi les vrais lecteurs, attentifs à l’orthographe, lisent sans son, avec les yeux. Les sourds-muets le font très bien. C’est le sens qui permet à ceux qui ne sont pas muets de lire à haute voix. Le son est donc le produit du sens. Encore que, le son (l’accent) change d’une région de France à l’autre et d’un pays francophone à l’autre. Pourtant, nous écrivons et lisons tous la même langue dans la même orthographe. Que vient faire le son dans ce concert graphologique national et international ? Les élèves qui n’ont pas la chance de lire avec les yeux, en dehors de, avant et malgré l’école, ne savent que (mal) déchiffrer et ne seront jamais lecteurs.

Cinquième SCANDALE :
Pourquoi un « scientifique pédagogue » persiste-t-il à promouvoir une lecture par LES OREILLES ? Si les oreilles peuvent comprendre le sens de l’écrit, en retour, les yeux devraient pouvoir saisir le discours magistral.

Sixième SCANDALE :
Pourquoi un « scientifique pédagogue » persiste-t-il à s’inventer des fables telles que le « principe alphabétique », le « code phonologique », la « médiation phonologique » et la « méthode globale », alors que les vrais lecteurs font l’économie de ces inventions scientistes en lisant avec LES YEUX ?

Septième SCANDALE :
Se sentant surveillé par la hiérarchie, par les familles et les collègues, un maitre forcé d’enseigner la lecture sans formation pédagogique de base, comme le sont tous les enseignants de France, excepté ceux qui se sont donné une vraie formation auprès des mouvements pédagogiques, se sent en sécurité intellectuelle et professionnelle à faire jouer les enfants au petit train en accrochant les wagons-voyelles aux locomotives-consonnes à l’aide d’une « méthode » conforme à la liturgie, narrant des histoires insipides, quitte à n’apprendre à lire à personne mais avec l’approbation de l’institution, plutôt qu’à prendre le risque de lire avec ses élèves dans de vrais livres et de vrais journaux pour apprendre à lire, sans béquilles. Avec une « méthode », on n’apprend rien qu’à déchiffrer mais c’est garanti par les éditeurs et validé par les idéologues. Ceux qui savaient lire n’en déchiffreront que mieux. Les autres ânonneront sans enthousiasme et bafouilleront sans intelligence. Sans méthode, on peut apprendre à lire à quelques-uns des enfants de familles défavorisées, mais on s’expose à la désapprobation des collègues et à la réprobation des « autorités scientifiques ». C’est moralement intenable.

Huitième SCANDALE :
« Combien de fois m'a-t-on dit : " La méthode globale ne fait pas de mal, je l'emploie depuis des années, et la plupart de mes élèves savent lire. " Mais 5 ou 6 enfants par classe en échec, c'est précisément ce que crient les statistiques : 20 % des élèves n'apprennent pas à lire, et ce sont ceux de bas niveau socio-économique ; les autres réussissent parce que leur famille compense, tant bien que mal, les déficiences de l'école. »

Pourquoi un « scientifique pédagogue » qui n’a jamais mis les pieds dans une classe, persiste-t-il à mettre sur le dos de la globale, l’Arlésienne, qui n’est pas commercialisée en manuel de « lecture », les dégâts provoqués par l’enseignement de la graphophonologie et du « code de correspondance » ? Personne ne dit jamais : " La méthode globale ne fait pas de mal, je l'emploie depuis des années, et la plupart de mes élèves savent lire. " Car personne ne l’utilise. Celui qui prétend l’avoir entendu n’a ouï que des sons descendus du ciel et des rumeurs. Avez-vous remarqué que le « ouï » qui s’entend comme « oui » s’en différencie par le sens et que cette différence de sens est signalée par un signe visuel insonore ? S’il avait mis les pieds quelque part dans une école française, SD saurait que, comme 95 % de ses collègues, chaque maitre de CP utilise une méthode commerciale (un manuel d’enseignement du déchiffrage, un syllabaire) qui enseigne la « médiation phonologique » et le « code de correspondance », code qui ne correspond à rien dans la réalité. Il saurait qu’intellectuellement et statistiquement il est absurde d’imputer aux 5 % de maitres qui n’utilisent pas de « méthode » (parce qu’ils font apprendre à lire en lisant, tandis que les méthodes imposent aux enfants d’apprendre à « lire » avant de lire), les 25 % d’élèves que les 95 % de méthodistes ne savent pas instruire en lecture.
Si les écoles de France adoptaient les conseils de Stanislas Dehaene, un élève sur quatre quitterait l’école primaire sans savoir lire. Or, un élève sur quatre, entrant en 6e, ne sait pas lire. C’est donc que les enseignants de France n’ont pas attendu ses conseils pour « enseigner explicitement dans les détails la correspondance de chaque son du langage avec une lettre ou un groupe de lettres », le bruit des lettres. C’est, hélas, l’enseignement dominant depuis deux siècles. Comme tous les méthodistes phonistes, SD confond les sons, éléments du langage oral, avec des unités de lecture. C’est pourquoi il recommande la « lecture » d’atomes de langue, lettres et syllabes, prétendument porteuses de sons, eux-mêmes fournisseurs de sens, dit-il. Mais comment un humain pourrait-il percevoir la réalité en la fragmentant en unités élémentaires pour les assembler ensuite dans toute leur complexité, quand cette réalité se présente intégralement à ses yeux ? Ce que les méthodes et SD préconisent est absurde. Pire, c’est un traquenard qui handicape à vie les enfants qui s’y laissent prendre. La syllabation, comme technique de lecture, a été inventée, sous l’ancien régime, par des maitres désireux d’instruire mais soucieux de ne pas déplaire à leur maitre et seigneur. Céder au peuple l’outil de base de la démocratie, l’accès aux textes, n’est pas concordant avec les principes monarchistes. Ni oligarchiques, d’ailleurs. La lecture émancipe, la syllabation soumet et fait barrage à l’intelligence. Pas besoin de contremaitre, les déchiffreurs obéissent sans objecter au « code » qui les empêche d’accéder au sens. L’illusion remplace le bâton. Pour ne pas afficher ouvertement leur intention d’empêcher les enfants du peuple d’apprendre à lire, les gardiens du temple modernes la nomment « code phonologique ». Ce n’est pas de la science, mais ça en a les apparences. La majorité des Français, enseignants et profanes, s’y laissent abuser. Les enfants, eux, sont victimes de cet abus didactique sur mineur.

Alain, qui n’avait rien à vendre, écrivait en 1930 :
« Je reconnais un mot comme un visage. Si j’avais coutume de regarder un visage par parties, le menton, le nez, les yeux, jamais je ne reconnaîtrais un visage. Si la règle de nos pensées était d’aller du détail à l’ensemble, nous ne penserions jamais, car tout détail se divise et cela sans fin. L’esprit d’ensemble, c’est l’esprit. Ainsi, il se peut bien qu’épeler soit un très mauvais départ… Une syllabe n’a point de sens, même un mot n’en a guère. C’est la phrase qui explique le mot.… »

Neuvième SCANDALE :
SD sort de son domaine de compétence, les aires corticales, pour énoncer de fausses vérités, des lieux communs bâtis sur des légendes, à propos de pratiques didactiques qu’il ne connait pas, l’enseignement scolaire de la lecture. C’est quoi une attitude scientifique ? Les religions, comme les superstitions, enseignent des certitudes, les sciences enseignent le doute. Dans l’histoire des sciences, on sait les tourments infligés par le Saint-Office aux penseurs, chercheurs et inventeurs des disciplines scientifiques dont les travaux détruisaient les dogmes de la religion. Celui qui fait de ses croyances et préjugés une connaissance savante, une doctrine ne souffrant aucune exception, est-il scientifique ou clerc, ou religieux dogmatique ? Jusqu’au XIXe siècle, les inquisiteurs ont surveillé les publications pour y débusquer les blasphèmes et les hérésies. En ce XXIe, auraient-ils légué leurs charges et leurs buchers aux scientifiques de l’éducation ?

La prédication, l’inquisition et l’excommunication ne sont pas des sciences. Ce sont les armes de l’obscurantisme. Laurent Carle

Merci Laurent !