Par exemple, pour lutter contre l'absentéisme des élèves, on supprime les allocations familiales aux parents... Comme si c'était une solution : dans la plupart des cas, les parents n'y sont pas pour grand-chose ou du moins ils n'ont guère les moyens d'y être pour quelque chose !!
Et j'avoue que la question finement venimeuse de J.J. Hazan, interviewé ce midi au JT, m'a redonné une miette de sourire : "Pour que les élèves viennent en classe, ne pourrait-on pas chercher des moyens de les intéresser...?" Bizarre que personne en haut lieu ne se pose cette question.
Mais la goutte d'eau qui a fait déborder le vase en question, c'est ce fait, rapporté par la presse ce matin : une école primaire a installé dans la cour un "carré d'isolement", un petit espace de 2 m sur 2, tracé à la craie dans un coin de la cour, où les élèves perturbateurs doivent rester durant TOUTES les récréations de la semaine. Les élèves qui y sont envoyés n'ont pas le droit de parler à qui que ce soit, et les autres élèves sont également interdits de leur adresser la parole. On imagine le regard que ceux-ci peuvent porter sur les malheureux condamnés.
Qu'un conseil de maîtres d'une école ait pu adhérer à un projet pareil fait frémir, et ce qui aggrave encore la chose, c'est que sur le site du journal qui rapporte l'événement, une majorité de commentaires applaudit, l'un d'eux rappelant que "être mis au coin", dans la classe, comme ce fut le cas jadis, c'est pareil et on n'en meurt pas"...
Je pense que le commentateur ici cumule avec un rare bonheur, les "qualités" à la mode : raisonnement par amalgame et cruauté tranquille à l'égard des jeunes.

Contrairement à ce que dit ce monsieur, le célèbre "coin" de la classe, d'où le "puni" faisait le pitre derrière le dos de l'enseignant, n'était pas vraiment humiliant. Ce n'était, certes, pas une bonne solution, mais ça ne durait pas très longtemps en général..
Admettons qu'il en était autrement à l'époque du bonnet d'âne — heureusement disparu depuis.
Mais même ce bonnet d'âne était moins grave, moins dangereux, que le "carré d'isolement". D'abord, même si, amalgame déjà, on assimilait ainsi l'ignorance à la bêtise, on en restait au niveau de l'ignorance, laquelle, comme on sait, est parfaitement légitime pour quelqu'un qui est à l'école : s'il savait tout, il n'aurait pas besoin d'y être !
Et puis, les ânes sont si sympa...

Ce qui est effrayant, dans cette organisation, et totalement différent du "coin", c'est que tout y renvoie à la prison pour adultes (on sait que nos chers dirigeants rêvent de pouvoir mettre les enfants dans de "vraies" prisons) : le nom, la coupure totale d'avec les autres : nous sommes au "mitard" !!
Pire même, car cet isolement est en même temps une exhibition des punis devant toute l'école... On pense avec horreur au pilori du Moyen-âge.

Mais, bon sang ! Ces gens-là ont donc oublié leur enfance ? Même si Jean Ferrat affirme que "nul ne guérit de son enfance", on a la preuve que, pour certains, elle a été évacuée de leur mémoire...
Ils devraient pourtant se souvenir de la manière dont un enfant réagit à ce genre de sanctions : exactement comme les prisonniers au mitard, il rumine des vengeances, et à tout le moins accumule des rancunes qu'il n'oubliera pas.
Quant à ceux qui, devenus adultes, prétendent remercier ceux qui les ont punis ainsi dans leur enfance, ils révèlent surtout l'état de délabrement moral où ces punitions les ont laissés, reproduisant sur d'autres enfants les souffrances qu'ils ont éprouvées. Les enfants battus font souvent des parents qui battent, et les élèves punis font des enseignants qui punissent. Et c'est bien la pire des violences que celle que le violenté approuve et défend...
Où est l'éducation là-dedans ?

C'est pourtant vrai que la tendresse a déserté les écoles ! Elle remonte à quand la dernière fois où l'on a vu un enseignant se pencher sur un gros chagrin d'enfant et tenter de le consoler ? Personnellement, j'en ai connu beaucoup qui agissaient ainsi... mais il y a longtemps qu'ils sont à la retraite... et pas tous remplacés !
Il paraît qu'on a lancé une grande campagne pour la gentillesse... Je n'en vois guère les effets dans les cours d'école, ou dans la rue.
Il est vrai que la notion de "gentillesse" n'a rien de bien emballant. Personnellement, je préfèrerais qu'on parle de respect MUTUEL et de COURTOISIE. Mais il faudrait aussi que les émotions aient droit de cité dans les classes : qu'on puisse rire, sourire, être ému, admirer, être enthousiasmé, être passionné, et qu'on en discute...
Il y a aujourd'hui beaucoup trop de classes où règne un ennui terrifiant, où les activités ont, aux yeux des élèves, de moins en moins de sens, et où nul ne peut dire à quoi sert ce qu'on est en train de faire, sinon que c'est exigé par les programmes. Quand des enfants sont insupportables, il y a forcément des raisons... On pourrait peut-être les chercher, en équipes de collègues, surtout ailleurs que dans leurs gènes, et s'informer auprès des mouvements pédagogiques : la littérature pédagogique contient des réponses à pratiquement tous les problèmes que les enseignants peuvent rencontrer dans leurs classes... Il n'y a qu'à lire, et en discuter ensemble.

Mais, au fait, a-t-on suffisamment bien appris à lire pour agir ainsi ?