Il faut lire la proposition de monsieur Copé dans sa formulation même : «Je veux défendre une idée forte : l'entrée au collège ne doit se faire que pour l'enfant qui maîtrise totalement les savoirs fondamentaux (...) Ce serait un examen de passage en 6e. On réorganiserait complètement le programme du primaire dans cette perspective, et les élèves qui échoueraient à cet examen redoubleraient leur CM2.».
Tout est à prendre ici et comme chantait le grand Georges "il n'y a rien à jeter", ou plutôt rien à garder !
La raison, d'abord, de cette idée lumineuse : le fait que trop d'enfants arrivent en 6ème sans avoir les "savoirs fondamentaux" qu'il appelle aussi "connaissances de base", que sont lire, écrire et compter.
Observons au passage une erreur coriace, agaçante : si on laisse de côté le troisième, "compter", sur lequel, n'étant pas spécialiste, je pourrais dire des sottises, lire et écrire ne sont point des "connaissances de base" — ce ne sont, du reste, nullement des "connaissances", ni des "savoirs" ; ce sont, avec la prise de parole (qu'il ne faudrait pas oublier), des "outils" pour acquérir des connaissances. Ils ne sont donc pas "de base", ils sont "avant" l'acquisition des connaissances. D'autre part, ils ne sont pas davantage "fondamentaux".
Quant à la notion de "connaissances de base", elle est largement contestée depuis longtemps. Le savoir n'a rien d'un mur, et il n'a besoin d'aucune "fondations" : prenant appui sur ce que les élèves savaient avant d'apprendre, le savoir se construit par des entrées diverses, et les connaissances de base sont celles que chaque élève a construites dans son expérience, que le travail d'apprentissage doit prendre en compte, si éloignées qu'elles soient des programmes, pour les faire évoluer vers ceux-ci.

Mais revenons à la phrase de monsieur Copé.
La première chose qui frappe dans cette proposition, c'est le type de remède choisi à une situation désastreuse : une barrière pour empêcher les plus mauvais de passer. Pas vraiment neuf comme remède, mais efficace quant au confort de ceux qui reçoivent les lauréats. On pourrait du reste étendre cette proposition à d'autres domaines : un examen de passage à l'entrée dans l'hôpital permettrait de ne laisser passer que les malades susceptibles de guérir. Cela ferait faire des économies, et ferait monter la moyenne des réussites, au palmarès des meilleurs établissements hospitaliers.
Trêve de plaisanteries : la chose est surtout désolante.
Bien entendu, on retrouve, sous-jacente dans ces propos, l'idée selon laquelle les savoirs seraient acquis — empilés —dans un certain ordre, immuable et le même pour tous, idée dont l'erreur est démontrée depuis des lustres.
Mais il y a pire : On réorganiserait complètement le programme du primaire dans cette perspective.
Comme disait ma grand-mère : "Ça, c'est le pompon !".
Est-il, ce monsieur, à ce point ignorant des objectifs de l'Ecole Primaire, pour faire une proposition aussi catastrophique ? On irait à l'école primaire pour préparer l'examen d'entrée au collège ? Il est vrai que ce serait autrement plus reposant que d'avoir des objectifs de maîtrise de notions et de concepts, maîtrise du fonctionnement linguistique et social de la communication, du fameux "vivre ensemble" des nouveaux programmes : tout ça c'est bien trop ambitieux.
Bachotons et rebachotons sur les annales, pour dresser ces petits à la réussite des épreuves prévues. Du dressage, c'est facile à installer, ça va vite, il suffit d'avoir des batteries d'exercices, et des règles à savoir par cœur... Nul besoin de préparer sa classe : on prend le manuel dans l'ordre, on corrige les exos et on fait réciter les règles.
Il est vrai que parfois celles-ci se retournent contre ceux qui les utilisent : "Après tu il y a toujours un S. Répétez après moi, disait la maîtresse : après TU, il y a toujours un S." C'est comme ça que l'on vit fleurir, dans les cahiers, de charmants "TUS"... qu'il fut bien difficile à faire déloger par la suite.
Si donc, il y a une chose qu'il faut éviter à tout prix, c'est bien de réorganiser le programme du primaire en vue de l'examen.

Reste enfin la question du redoublement.
Combien faudra-t-il d'études pour qu'on arrive à admettre le nombre pharamineux d'erreurs que contient cette idée de faire redoubler quand il y a échec ?
Il est vrai que la sagesse (?) populaire affirme qu'il faut recommencer quand on n'a pas réussi. Ce qu'oublie la sagesse populaire — ou ceux qui s'en font les porte-parole — c'est que si l'on recommence de la même manière, on recommencera le même échec.
Quand on recommence après un échec, c'est pour s'y prendre autrement, avec d'autres hypothèses et d'autres moyens. Le remède, n'est pas dans le verbe "recommencer", mais dans l'adverbe "autrement".
D'autre part, ce "recommencement autre" n'a de chances d'être un peu efficace, que s'il est voulu par celui qui a échoué. C'est ce qui explique que certains redoublements plus tard, en seconde ou en terminale, puissent être bénéfiques, quand ils sont le projet de l'élève lui-même.
Mais à l'école primaire, il est présenté comme une punition, légitime, d'un travail insuffisant. Et après un examen manqué, redoubler, c'est en quelque sorte, la double peine : l'année n'a pas été réussie, et l'examen est raté. Si l'élève n'est pas convaincu de sa propre nullité, c'est qu'il a la confiance en lui chevillée au corps.
A cela s'ajoute un autre effet pervers du redoublement, celui de ne permettre quasiment jamais à l'élève, de profiter de l'avance que pourrait lui procurer ce redoublement. On connaît l'avertissement habituel et sévère, de l'enseignant qui vient de poser une question à la classe : "Toi, le redoublant, tu te tais !". Autrement dit, ce qui pourrait, peut-être lui apporter un peu de réussite et donc un peu de confiance en lui, lui est interdit. Pour moi, cela s'appelle "taper sur la tête de quelqu'un qui se noie".

Une cerise sur le gâteau, pour un peu de douceur dans ce monde d'ignorances démagogiques, une cerise joliment posée par Claude Lelièvre : "L'idée de monsieur Copé va même à contre-courant de la loi d'orientation (dite "loi Fillon'") de 2005 qui a inscrit pour la première fois "le collège" (avec "le primaire") dans une même entité : "l'école obligatoire".
S'ils se mettent à marcher sur les plates-bandes les uns des autres...
Ennuyeux, tout de même de voir où en sont ceux qui nous dirigent... !

On peut se reporter au site de Médiapart, qui rappelle les références des travaux démontrant l'inefficacité du redoublement, cette pratique typiquement française : rapports de la Direction de l'évaluation et de la prospective (Dep) en 2003, puis de Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin de l'Institut de recherche sur l'éducation (Iredu-CNRS) en 2004, d'Agnès Florin, professeur de psychologie à l'université de Nantes, en 2006, de Bruno Suchaut, directeur de l'Iredu-CNRS, en 2007, de l'institut Montaigne en avril 2010 et de la Cour des comptes en mai 2010..

http://www.mediapart.fr/journal/france/251010/cope-veut-retablir-lexamen-de-passage-en-sixieme-supprime-en-1959#