Ce qui me semble le plus effrayant dans de telles horreurs, c'est qu'elles puissent être présentées, notamment dans les medias, comme de simples faits-divers, à peine plus importants que d'autres. Or, ce sont des événements d'une tout autre nature, et qui devraient être traités tout autrement, dans l'opinion publique, comme dans l'établissement concerné. Et l'on peut dire que le type de réponse généralement donné par l'établissement, réponse sécuritaire, destinée à protéger le "bon grain" de l'affreuse "ivraie", présente plusieurs erreurs majeures.

1- La première, qui est d'en banaliser la gravité en les "sanctionnant" comme d'autres faits-divers, simplement placés un peu plus haut dans l'échelle des "fautes" habituellement commises.

2- la deuxième, qui est d'oublier que des sanctions, même importantes (surtout importantes ?) ont pour effet d'accroître, chez leurs auteurs, le plaisir qu'ils éprouvent à commettre ces forfaits...
Dès qu'on essaie de comprendre un peu, on s'aperçoit que rien n'est plus normal : les élèves s'ennuient énormément au collège et souvent déjà à l'école primaire : les cours, les interro, les exercices et tout le reste sont pour eux autant de contraintes absurdes, mâtinées d'injustices et d'arbitraire, dont l'utilité leur échappe complètement, et ce, d'autant plus que, sauf exception, on ne la fait nullement apparaître, même quand elle est réelle, — et elle l'est rarement. Hormis les cours d'EPS et de musique ou de dessin, — quand ils existent !— où les élèves agissent et font autre chose que d'écouter — dans les autres disciplines, c'est de l'anti-apprentissage à l'état pur, autour d'activités dont la plupart n'ont ni intérêt, ni justification autre que d'être ce qu'on a toujours fait.
Impossible de justifier des pratiques comme l'interrogation au tableau, les exercices d'application, la plupart des autres exercices (on n'apprend rien avec des exercices), la dictée, toutes activités qui n'apportent rien à personne, qui n'aident en rien la maîtrise des savoirs, qui ne sont ni une évaluation, ni un moyen de mieux comprendre ce qui a été appris et qui consomment en pure perte un temps précieux et difficile à trouver.
Donc les élèves s'ennuient
Alors, ils cherchent désespérément de l'adrénaline, et ils en trouvent facilement dans l'alcool, la drogue et la violence de la provocation, surtout celle qui renverse les valeurs "sacrées" de l'école : oser peloter les fesses d'une jeune prof, mignonne de surcroît, il faut reconnaître que ça doit être assez satisfaisant comme exploit pour un élève, et si, en plus, la victime proteste ou résiste, alors, la jouissance est à son comble (voir les tirades littéraires à ce sujet, de Dom Juan et autres !).
Quant au petit inconvénient que sont les réprimandes, le conseil de discipline ou l'exclusion, ce n'est que peu de choses au regard de cette jouissance : du reste, c'est un inconvénient qui n'est pas dépourvu d'avantages : être exclu, cela veut dire que le terrain de jeux va changer, un plaisir de plus.

3- La troisième, qui est de prévoir ces sanctions à titre personnel. Contrairement aux apparences, de tels faits ne sont pas le résultat des tares de leurs auteurs, ils sont la marque d'un dysfonctionnement de l'établissement tout entier, lui-même subissant le dysfonctionnement profond de notre société. Les coupables, c'est nous tous.

Aussi, devant des faits d'une telle gravité, il apparaît indispensable d'avoir un comportement à la hauteur de cette gravité. On ne continue pas dans de telles conditions, comme si ce n'était que peu de choses. Et un renvoi est trop courant pour avoir valeur de réveil.
Dès la première affaire de ce style (et même, bien avant qu'elle ne se produise : à mon avis cela devrait se passer dès la rentrée.), il faudrait tout arrêter, les cours, les emplois du temps et le reste...
Précisons bien qu'il ne saurait s'agir d'un "droit de retrait", ou d'autre forme de grève. On ne résout pas des problèmes en stoppant le travail. Au contraire, si l'on arrête les cours, c'est pour se mettre à travailler justement.
TOUS ensemble, parents y compris.
Quand une situation atteint ce degré d'inadmissible, il y a beaucoup à faire.

Travailler à quoi ?
A réfléchir, à lire et à écrire.
Il s'agirait d'organiser un énorme panel de deux semaines au moins dans tout l'établissement, destiné à sortir des routines de comportements immédiats, pour prendre la distance nécessaire à une autre approche des événements. Une organisation style "congrès", avec des ateliers sur thèmes dont la mission serait de préparer, sur une question donnée, un rapport à présenter au grand groupe la deuxième semaine.
Quels thèmes d'ateliers ?

* Faire l'inventaire de ce qui ne va pas. Occasion d'évoquer les "cahiers de doléances" avec un travail historique sur ce qu'ils ont été en 1789, et rédiger celui du collège.
* Des thèmes de fond :
"Les filles sont-elles des "hommes" comme les autres ?",
"Civilisation contre barbarie : que signifie la violence physique et ses aspects sexuels, comment gérer les conflits ?",
"Politesse, courtoisie, respect, qu'est-ce que c'est et à quoi ça sert ?"
.
* Des thèmes concernant directement l'école : "Pourquoi aller à l'école et pour apprendre quoi ?"
* Ce que devrait contenir le "règlement" d'un établissement : "comment font les autres collèges ? Quelles expériences existent ?"
* "Certaines disciplines scolaires sont-elles plus importantes que d'autres ?"
etc.
Tout ceci à partir de documentation importante, explorée avec l'aide des professeurs et de la documentaliste du collège, documentation historique, philosophique, articles de presse, ouvrages de fond, documents administratifs ou textes de lois, .
Comme il faut déboucher sur quelque chose de concret et de tangible, pour qu'un débat ait sens et efficacité, l'objectif d'ensemble serait de produire, à partir des comptes-rendus oraux et écrits de ces ateliers, la charte du collège.

Une charte, et non un "règlement". La différence n'est pas négligeable.
Même si les deux mots ont des significations historiques proches, la manière dont ils sont perçus dans l'usage permet de les distinguer : contrairement au "règlement", qui évoque surtout des interdits avec leurs conséquences (notamment les règlements d'établissements scolaires qui apparaissent très souvent comme une liste de "défense de..." assortie de punitions...), la charte implique l'explicitation d'un fonctionnement social, avec les droits, parfois les privilèges, de ceux qui sont concernés, ce qui confère au texte un aspect positif et sécurisant.

Certaines journées pourraient être réservées à l'emploi du temps habituel, pour étudier, par discipline, et avec les professeurs concernés, les programmes dans leur entier, comprendre comment ils ont été conçus, à quoi ils servent, ce qu'ils représentent : occasion pour les professeurs de repérer ce que les élèves en savent déjà, et poser avec eux la question de la manière de les aborder : les élèves peuvent très bien avoir des idées intéressantes sur la manière d'aborder les programmes. Eux, au moins, ne sont pas encore tous abîmés par les habitudes scolaires... !

Les parents seraient évidemment invités à participer à ces panels, et, comme il est très possible qu'ils ne viennent pas en foule, les comptes-rendus des travaux leur seraient envoyés et leurs avis fortement sollicités. On peut même imaginer qu'au fur et à mesure des journées, les parents réticents à venir ne finissent par arriver petit à petit.
Qui sait ? Ce travail peut devenir contagieux, et gagner d'autres établissements...

Il est vrai qu'un tel projet demande un énorme travail (je le sais pour avoir participé, dans les années 70, à ce genre d'organisation) mais si tout le personnel s'en occupe, cela devient possible... et très payant.
Le temps apparemment perdu est loin de l'être : les lectures, les discussions sur ces lectures, et les productions écrites avec les enseignants, outre qu'elles modifient de façon spectaculaire les relations élèves/enseignants, sont des activités de culture autrement plus efficaces que les exercices prévus dans les manuels.
De plus, tout ceci est un vécu de vraie démocratie, parfaitement en phase avec le programme d'éducation civique et de morale.
Donc, on ne manque pas d'arguments pour justifier ce projet aux yeux des autorités supérieures.

Depuis longtemps j'ai la conviction que c'est ainsi que devrait débuter l'année scolaire dans tous les établissements, au moins du second degré... (à l'école primaire, pour des raisons d'âge des élèves, les choses sont un peu différentes, mais d'assez peu en fait). Il est toujours plus aisé de changer de cap, quand on le fait au départ, que d'avoir à négocier un virage en milieu d'année.
Et, bien sûr, ceci est à recommencer chaque année : même si la charte a semblé très satisfaisante l'an dernier, rien ne dit qu'elle le soit encore cette année : mille choses peuvent avoir changé depuis.
Et à supposer qu'il soit seulement décidé de reconduire la charte existante, le fait que cette décision soit celle du panel de cette année est loin d'être chose anodine : c'est le travail d'analyse qui la rend crédible.

Tout ceci n'est assurément ni facile à mettre en œuvre, ni une solution miracle. mais c'est une direction de recherches et de tâtonnements, dont la première vertu est d'être "autre chose"...
Autre chose, faire AUTREMENT, l'adverbe auquel on pense le moins dans l'école (sauf exceptions !)... C'est pourtant l'adverbe le plus important.