Je connais bien cette théorie de Michel Fayol. J'ai même eu l'occasion à plusieurs reprises d'en débattre avec lui.
Elle me paraît discutable sur plusieurs points.

1- D'abord, en ce qui concerne les enfants qui, mauvais décodeurs se révèlent mauvais lecteurs, tandis que les bons décodeurs sont en même temps bons lecteurs, je rappellerai que l'immense majorité des classes enseignant le déchiffrage d'abord, ceux qui ne l'ont pas acquis avec cette démarche n'ont pu rien acquérir d'autre... Pas étonnant donc qu'ils soient mauvais lecteurs !

2- Ensuite, je suis plus que réservée sur cette phrase :
C’est la médiation phonologique qui permet la reconnaissance des mots qui n’appartiennent pas au lexique du lecteur (les mots inconnus),
Contrairement à ce qui se dit ici, ce n'est pas du tout par le déchiffrage que les mots inconnus sont identifiés. En fait, devant un mot diffcile à identifier, l'opération mise en jeu est un essai de reconnaissance, ce qui est notablement différent.
Prenons un exemple. Soit le mot suivant :

DIETHYLAMINOETHYLTHEOPHYLLINE

Que mes lecteurs fassent l'expérience de sa lecture. S'ils observent ce qui se passe dans leur tête, ils verront que la première opération cognitive qu'ils ont effectuée (même sans s'en rendre compte !), n'a pas été d'assembler des lettres, mais d'identifier le type d'écrits auquel ce mot appartient.
Ayant reconnu un mot, comme on dit, de pharmacie, de chimie, ou quelque chose de ce genre, ils ont alors puisé dans leur répertoire personnel de ce domaine, ce qui ressemble au mot en question. Pour les uns, qui ont des asthmatiques dans leur entourage, le mot "théophylline" a été repéré d'emblée ; pour d'autre ce sera "amino" ou "éthyl". Et ce n'est qu'après que le mot tout entier a pu être reconstruit comme un puzzle.
Ils se sont servi, certes, des lettres qui composent ce mot, mais en fonction de leurs connaissances antérieures et non en les assemblant, ce qui serait impossible ici, tant que le mot n'a pas été reconnu : comment grouper les premières lettres ? Doit-on dire "dié...", comme dans "diésel", ou "di..", comme dans "diencéphale" ? On sait bien qu'il faut avoir reconnu le mot tout entier pour pouvoir déchiffrer : "moine" et "moins", comment pouvez-vous déchiffrer sans être allés jusqu'au bout des mots ?
De fait, lire, c'est toujours reconnaître. C'est ce qui explique que l'on commette tant d'erreurs d'interprétation quand on lit : on lit ce que l'on croit connaître.

3- Enfin il me paraît fort hasardeux de parler de "stades de lecture". La reconnaissance prétendument globale de quelques mots (en fait, elle n'a rien de global : ce sont des détails qui sont perçus et reconnus et non les mots entiers) n'est en rien un stade infantile de la lecture.
C'est en réalité une des composantes du comportement de lecteur, correspondant à ce que nous appelons les "compétences sémiotiques" : le fait de repérer des indices pour formuler des hypothèses qu'une observation plus approfondie permettrait de valider. C'est ce mouvement de recherche d'une validation que l'enfant n'a pas encore — c'est ce qu'on appelle la "démarche scientifique", ou le "doute méthodique" — et que le travail d'apprentissage, notamment de la combinatoire, va lui permettre d'acquérir.
C'est pourquoi, il importe absolument de prendre appui sur ces "reconnaissances", afin d'en approfondir l'observation, vers la construction des notions indispensables à la maîtrise véritable du savoir lire.

4- Quant à l'apprentissage de la compréhension, qui repose essentiellement sur des opérations de mises en relation et de raisonnement, on voit mal comment une "automatisation" — apparemment confondue ici avec un "mécanisme" — pourrait favoriser ces opérations. Un mécanisme, qui est "un comportement fonctionnant sans le sujet", — dont le sujet est donc prisonnier, et sur lequel il n'a aucune prise — empêche, de ce fait, toute activité de raisonnement.
C'est précisément parce qu'on a monté des mécanismes en eux, que les enfants ne comprennent pas ce qu'ils lisent.
Si l'on ajoute que raisonnement et doute méthodique sont loin d'être innés, — et encore plus loin d'être faciles — il s'ensuit que tout doit être mis en œuvre pour que tous les enfants acquièrent le plus tôt possible une attitude d'intelligence face à la chose écrite.

Ce ne sera pas facile avec Léo et Léa...