Ma réponse à la question posée est nette :
Rien ne peut être plus nocif pour les élèves, qu'une pédagogie de transmission des savoirs, fût-elle rustique et rigoureuse !
Même si le "rustique" peut avoir du charme en certains domaines (pas tous !!), en pédagogie, on voit mal ce qu'il pourrait apporter...
Et comment une démarche qui n'est légitimée par aucune recherche pédagogique, qui n'a d'autres référents qu'une tradition ancestrale ayant maintes et maintes fois démontré ses insuffisances, pourrait-elle être rigoureuse ?
La théorie du "mieux qui peut devenir l'ennemi du bien" n'est intéressante qu'en apparence, et dans de très rares cas.
Quant au principe de précaution, il a, en général, intérêt à conduire vers le mieux, plutôt que maintenir dans un immobilisme frileux, toujours générateur d'injustices insupportables, et qui n'a jamais vraiment cessé d'être de mise.

Examinons les présupposés du raisonnement proposé ici
Il s'appuie sur cette idée que le cours magistral, qui répond à des questions qu'aucun enfant, en général, ne s'est posées et dont le plus souvent, il n'a même pas l'idée, aurait une efficacité plus grande qu'une démarche qui les met en situation de recherche, lorsque celle-ci est maladroitement conduite.
Il paraît pourtant évident que des enfants, même "démunis", qui cherchent, en groupes, à résoudre un problème, quand bien même ce serait mal organisé, auront plus de chances d'apprendre quelque chose, que ceux qui doivent écouter et rester passifs — C'est encore plus évident, s'il s'agit de groupes hétérogènes.
Soyons honnêtes, plus qu'à la démarche, on sait bien que c'est à la grammaire que pense Christian et aux concepts qualifiés de "nouveaux" (ils n'ont que quarante ans : c'est jeune, en effet !), dont nos adversaires se gaussent (parce qu'ils les ignorent) et qu'ils jugent fort dangereux...
(Petite parenthèse : quand j'entends les ricanements sur la grammaire et son prétendu jargon, je ne peux m'empêcher de songer à Galilée et aux attaques dont il fut l'objet têtu... Décidément, l'histoire bégaie !!)
Je veux bien que quelques enseignants mélangent un peu tout et fassent des cours de grammaire fort peu cohérents. Mais, de toute façon, ils ne peuvent dépasser en incohérence celle de la grammaire "rustique" !
Donc, si mal maîtrisé que ce soit, il y a peu de risques que ce soit pire. Et, au moins, le vocabulaire différent a-t-il une petite chance d'éviter des amalgames et des contre-sens gravissimes entraînés par les termes dits "simples", (en réalité totalement confus, de par leur polysémie) de la terminologie classique.

Nous avons un métier, magnifique, mais dont la particularité est que son efficacité n'existe que par une constante remise en question des contenus et des démarches. Le pire, pour lui, c'est le moment où "ça marche bien", où l'on a enfin l'impression de "savoir faire" : dès qu'on ne cherche plus, dès qu'on ne remet plus en question, on devient mauvais et inefficace.
J'ai souvent expliqué dans des conférences pour les parents, qui sont volontiers en extase devant un enseignant qui "fait le CP depuis 30 ans", que je vois là une raison majeure de méfiance. Et, pour ma part, j'ai toujours considéré qu'un débutant qui cherche fait moins de mal qu'un chevronné plein de certitudes.

Quant au prétendu danger des collègues qui feraient n'importe quoi par enthousiasme excessif, j'attends encore, après 52 ans de métier, d'en voir de près. Le milieu enseignant est volontiers frileux et ne s'expose guère : on l'a formé comme cela. Il a tellement été mis en garde contre toutes les innovations, au nom de sa responsabilité vis à vis des enfants, qu'il faut être très persuasif pour obtenir que des collègues consentent à essayer de faire "autrement".
Et pourtant, cet "autrement" est légitimé par des travaux sur la psychologie des enfants, sur ce qui se passe quand on apprend, sur le fonctionnement de la langue, contrairement au "comme on a toujours fait" qui ne l'est en rien. Mais la peur du nouveau est plus forte que leur intelligence...

Et puis, n'oublions pas que notre sagesse vient de notre expérience et que notre expérience vient de nos erreurs. Or, en pédagogie, des erreurs, ce n'est pas grave, si elles sont le fait d'une recherche et d'une volonté d'améliorer les choses.
Il faut bien savoir que les enfants ne "reçoivent" pas vraiment les savoirs que nous leur transmettons; ils reçoivent, en revanche, très bien, les sentiments dans lesquels nous les transmettons.
Un de mes anciens professeurs avait coutume de nous dire : "Ce que je dis, cela glisse sur les élèves comme l'eau sur les plumes d'un canard ; en revanche, ce que les élèves reçoivent et gardent en eux, ce sont nos agacements, nos enthousiasmes, nos mauvaises humeurs, et nos bonnes volontés."
Ce qui est vécu en classe est toujours reçu affectivement et les enfants ressentent la tendresse et la volonté de les aider quand elles animent le travail de l'enseignant, même si c'est très maladroit et mal maîtrisé.
C'est ce qui explique que tant d'enseignants aient pu pratiquer une pédagogie discutable et avoir, auprès de certains élèves, des résultats positifs : l'intelligence affective qui a animé leurs façons de faire, a pu l'emporter sur des contenus erronés.
Ceci dit, il va de soi que la tâche des formateurs est de faire en sorte que tout cela soit compris et maîtrisé.
C'est pourquoi, il serait bon qu'on se préoccupe un peu de ce que deviendra la formation pédagogique des enseignants quand les IUFM auront disparu, phagocités par les universités...
Rappelons-nous ce que disait Lelau dans le billet précédent :
Pour oser la complexité dans une classe
1- il faut croire en l'intelligence des enfants (en principe, l'adulte qui n'est pas devenu aveugle et sourd pendant ses années de formation devrait le constater avec évidence et non le croire),
2- il faut leur faire et se faire confiance (très audacieux).
Beaucoup de conditions, donc, pour des gens qui sortent de l'école, formatés aux idées reçues.
Et j'ajoute, "plus encore, quand il n'y aura même plus ni école, ni formation, ni formatage... et qu'il ne restera plus que les idées reçues, n'ayant plus aucun obstacle pour s'imposer !"