C'est le précédent Ministre de l'Education Nationale qui a eu l'honneur d'en parler le premier — sans vraiment maîtriser la notion, ce qui eut pour effet d'installer un joli contresens, reproduit à l'infini chez les enseignants et le public.
Ce qui est vrai, c'est que la vitesse de lecture, la "fluence" donc, est largement responsable de la compréhension du lecteur. Mais où le contresens a eu loisir de s'installer et de faire des ravages, c'est dans la confusion, constante dans l'opinion, entre lecture et lecture à haute voix. Cette dernière étant quasiment la seule pratiquée en classe, c'est sur elle que, dans de nombreuses classes, la notion de vitesse de lecture, fut comprise, et interprétée comme une accélération de celle-ci. Or, chacun sait si l'on doit lire très vite à haute voix un texte que l'on n'a pas lu des yeux auparavant, les bafouillages seront nombreux, et la compréhension quasi nulle. On débouche alors sur des scènes ubuesques, réellement vues en classe, d'enfants lisant leurs textes à haute voix, à toute allure, souvent chronométrée, des textes dont, parfois, ils ne peuvent pas comprendre le premier mot.
Ridicule et navrant.

Un tel contresens est le triste résultat des ignorances, incroyables, de ceux qui dirigent cette partie de l'Éducation Nationale. Comment celui qui est chargé de diriger l'ensemble de ceux qui enseignent la lecture, peut-il être à ce point ignorant de l'état des connaissances dans ce domaine ? Il paraît qu'un ministre est aidé par des "cabinets" de spécialistes chargés de soutenir ses connaissances, lui-même n'en étant pas un lui-même, en général : apparemment ceux-ci doivent dormir pendant que le Ministre prépare ses consignes aux enseignants...

Qu'en est-il donc de cette fluence en réalité ?

Pour répondre, il faut savoir que la lecture étant une activité visuelle, est fondamentalement différente de la lecture à haute voix, et qu'elle est entièrement tributaire du fonctionnement de l'œil dont on en sait beaucoup plus aujourd'hui et depuis pas mal de temps déjà, grâce aux travaux de François Richaudeau et de son équipe.
Contrairement à ce qu'on a cru longtemps, la perception visuelle d'un texte ne s'effectue pas linéairement, détails par détails.
Elle procède par bonds, sur des parties du texte, appelées points de fixation, d'un endroit à l'autre du texte, si bien que ce qui permet une lecture rapide, n'est pas une accélération de celle-ci, mais la taille de ces points de fixation : on comprend aisément, que, plus la surface couverte par ces points d'arrêt de l'œil, est importante, moins il en faut, pour couvrir une page entière. Cette surface couverte à chaque point de fixation de l'œil, se nomme "empan visuel". Pour être un bon lecteur, rapide et performant, il faut avoir un empan visuel aussi large que possible.
C'est cela, le vrai sens du mot "fluence" en lecture, qui, ne concernant que la lecture des yeux, sans rapport aucun, ni avec la lecture à haute voix, ni avec une accélération de l'exploration du texte, n'est autre que l'ensemble des moyens offerts, en lecture, par un empan visuel étendu.

Question évidente : comment agrandir son empan visuel ?
En étendant sa "vision périphérique".
Et on fait comment ?

Où il apparaît que le corps tout entier réapparaît souvent là où on le croit hors sujet, pour venir seconder les activités intellectuelles : ce sont des activités physiques qui vont permettre d'élargir la vision périphérique de chacun. La première de celles-ci, ce sont les sports collectifs, qui apprennent à voir devant soi et en même temps à droite, à gauche, et même derrière.
D'autres jeux peuvent être imaginés qui permettent de s'entraîner : il suffit pour cela qu'ils nécessitent d'utiliser la vision périphérique : sans quitter des yeux la pièce centrale d'une collection d'objets, être capable de repérer celle qu'on vient de retirer subrepticement à droite ou à gauche, etc.
On peut ainsi organiser des petits groupes de joueurs, avec des observateurs-arbitres notant les progrès des performances de chacun de leurs membres, tout ceci, dans un esprit joyeux de compétition libre, dont le seul but est de voir chacun progresser.

Et, qui l'eût cru ? C'est aussi en lecture qu'on a travaillé.

Peut-être finira-t-on un jour par comprendre la nécessité de décloisonner les activités d'apprentissage en classe, et de permettre aux élèves de voir enfin clairement les liens qui unissent entre eux, les divers types de travaux qu'on leur demande d'y effectuer...