Ces documents font état de l’enseignement actuel de la lecture par les professeurs des écoles – jugé parfois sévèrement par le CSEN – et proposent des pistes pour gagner en efficacité.
La note d’alerte présente notamment les résultats d’une enquête, menée actuellement auprès d’un échantillon représentatif de plus de seize mille enseignants.
Une enquête qui permet plusieurs constats : les méthodes les plus efficaces pour l’apprentissage de la lecture seraient les « stratégies pédagogiques à dominance phonique, fondées sur l’apprentissage rapide et systématique des correspondances graphème/phonème. Mais ces méthodes continueraient d’être peu utilisées par les enseignants, qui leur préfèreraient des méthodes à l’approche « globale » et s’appuyant parfois sur des textes «indéchiffrables. »

Le conditionnel ici s'impose, sur tout ce qui précède : il est clair que cette enquête, telle qu'elle est rapportée, mélange tout, en frôlant le n'importe quoi, et comme d'habitude, de nos jours, sans fournir la moindre justification de ce qui est affirmé. C'est elle, et avec elle, le CSEN, qui méritent ce jugement sévère, eux qui affirment sans justifier le moins du monde leurs affirmations.

Réfléchissons un peu, pour aller plus loin dans la notion de "pédagogie acceptable" : quel résultat attend-on ?
On notera, au passage, que cette question n'est nullement posée, ce qui est un peu fort de café pour un Conseil Scientifique de l'Education Nationale : comment peut-on définir une stratégie si on ne définit pas le résultat attendu ?
Mais nous, nous savons ce que nous souhaitons obtenir, avec notre travail d'enseignants de français : un lecteur performant, capable de lire des yeux rapidement, en ayant évidemment compris ce qu'il vient de lire, c'est-à-dire devenu capable de réagir à sa lecture, en affirmant son accord ou non avec le propos — évidemment sans avoir besoin d'oraliser, ce qu'il a compris.

Comment pourrait-on obtenir ce résultat, avec l'apprentissage d'une "méthode" toute faite, — ce qui déjà interdit de prendre en compte les savoirs déjà-là des élèves — s'appuyant sur la prononciation à voix haute des mots du texte ? Impossible évidemment.
Dire qu'on en est encore là !
Et ce, des années et des années après avoir pourtant largement démontré l'inefficacité totale de toute "méthode", quelle qu'elle soit, incompatible avec un enseignement prenant appui sur ce que savent les élèves.
Il paraît que c'est une recherche officielle, estampillée telle... Ça en dit long sur l'interprétation actuelle de la notion de recherche pédagogique, et sur ses véritables attentes. La vraie recherche pédagogique, celles des années 70 est bien oubliée.

* D'abord une vraie recherche s'appuie sur des hypothèses dont elle se propose de vérifier l'intérêt. Il s'agit alors d'hypothèses nouvelles, s'opposant à celles qui sous-tendent le travail habituel, ou très différentes d'elles.
On n'en voit pas trace dans la présentation ici. Le discours n'est d'ailleurs en rien un discours de chercheur.
* Posons donc ces hypothèses, pour définir ce que le CSEN appelle "une pédagogie acceptable", mais qu'il se révèle incapable de mettre en œuvre.
Celle-ci dépend évidemment des résultats attendus. Nous les avons définis plus haut : il s'agit d'obtenir un lecteur capable de lire rapidement des yeux, en réagissant à cette lecture, soit par une adhésion, soit par un refus argumenté, soit par des propositions de discussion, sur certains aspects du texte lu.
Pour obtenir cette attitude à la fois active et critique, on peut formuler l'hypothèse qu'il faut avoir appris : Il faudrait avoir acquis ce comportement de lecteur précis, pratiquant une lecture de l'ensemble du texte, pour revenir sur des points particuliers acceptés ou contestés, il faut avoir vécu un apprentissage exigeant, celui d'une lecture, toujours suivie de relectures. Plus d'un l'ont dit avant moi : un texte qu'on n'a lu qu'une seule fois n'a pas été vraiment lu : lire, c'est relire.
Un apprentissage qui associe l'exploration d'ensemble et la lecture détaillée de certains passages, parce qu'ils ont paru, lors de l'exploration première, mériter un retour approfondi. Une lecture centrée à la fois sur la compréhension, et sur une "métacompréhension", que représente le besoin de relecture.

On est loin du déchiffrage plus ou moins laborieux produit par cette habitude scolaire désastreuse, de faire lire les élèves à haute voix, pour en vérifier leur compréhension.
Combien de fois faudra-t-il rappeler que lire à haute voix ne peut pas s'improviser, que cela se prépare, et qu'en classe, quand on interroge un élève sur tel ou tels aspect du texte actuellement travaillé, il est absurde de le lui fait lire d'abord à haute voix.
Un travail d'analyse ne passe pas obligatoirement par une lecture à voix haute : chaque élève ayant le texte sous les yeux, non seulement une telle lecture orale n'est pas nécessaire, mais elle est gênante, introduisant une difficulté supplémentaire inopportune.
C'est après avoir travaillé sur le sens du texte, sur ses difficultés éventuelles, sur ses ambiguïtés, voire les difficultés d'oralisation qu'il présente, que l'on pourra se lancer dans l'apprentissage de cette oralisation.

Non, l'oral n'est pas plus facile que l'écrit. Et surtout, dans l'ordre des difficultés à vaincre pour l'élève, l'oral, contrairement à ce que l'on pense sans réfléchir, est beaucoup plus difficile que l'écrit : parce qu'il est insaisissable, et qu'on ne peut pas facilement s'y entraîner.

Comme on le voit, le CSEN aurait besoin de réfléchir un peu plus avant d'écrire ses notes, de qualifier d'inacceptables des pédagogies qu'il ignore, et de lancer des recommandations, s'appuyant sur une opinion publique aussi encrassée de routine paresseuse.
On a bien envie de dire que sont inacceptables ces recommandations.

On notera que les pédagogie, par nous proposées, ne se contentent pas d'être "acceptables". Elles veulent aller au fond des choses, et faire découvrir aux enfants, qu'un écrit, loin d'être un ensemble de mots à déchiffrer, est un message appartenant à un projet social qui dépasse largement ce qu'on appelle "comprendre" à l'école.
Ce sont des pédagogies qui prennent les enfants au sérieux.
Des pédagogies qui les aident à grandir.