Ce qui cloche, c'est le son !
Par Eveline, mercredi 1 juin 2022 à 10:09 :: Education, Ecole et Pédagogie :: #503 :: rss
Pour les élèves, les difficultés ont un bel avenir.
Quand les concours, validant les compétences d'enseignement des candidats au métier d'enseignant, invitent ceux-ci à concevoir des leçons qui vont en créer chez les élèves, on peut légitimement être inquiet, et selon le tempérament de chacun, hurler de rage, être la proie d'un rire nerveux, ou éclater en sanglots...
Quand les concours, validant les compétences d'enseignement des candidats au métier d'enseignant, invitent ceux-ci à concevoir des leçons qui vont en créer chez les élèves, on peut légitimement être inquiet, et selon le tempérament de chacun, hurler de rage, être la proie d'un rire nerveux, ou éclater en sanglots...
Ce n'est malheureusement pas une blague.
Pour l'oral du CRPE (concours de recrutement des professeurs d'école), dans un lieu que je ne citerai pas, mais dont j'atteste l'authenticité, une des épreuves proposées aux candidats était la suivante :
"Concevoir une séance sur la graphie du f en cursive en CP."
Interrogées sur ce qui était attendu des candidats, avant leur arrivée, une inspectrice, accompagnée de sa conseillère pédagogique, a expliqué au jury qu'il s'agissait de faire travailler les élèves, à la fois sur l'écriture de la lettre et sur le son de cette lettre "f", le son [fe], exactement comme le précise le guide orange. A la remarque, formulée timidement par un des membres du jury, sur le fait que souvent cette lettre ne correspond pas à ce son, mais soit à un autre son "Il est neuf heures" , soit à aucun son : " les clefs", "le cerf", la réponse de l'Inspectrice fut : "Oui mais les élèves doivent connaître le son majoritaire. Plus tard on leur fera découvrir d'autres sons etc. C'est ce que conseille le guide...".
C'est là une réponse qui laisse rêveur.
* D'abord, on est en droit de se dire que si c'est vraiment là, ce qu'il faut faire, la consigne est particulièrement mal formulée. La graphie du "f" en cursive, c'est un travail sur l'acte graphique et non sur la lecture, sans rapport aucun avec les sons. Donc, ou bien l'Inspectrice a reçu officiellement la traduction qu'elle en donne, ou bien c'est elle qui en prend la responsabilité pour plaire au Ministre.
* Ensuite, on reste perplexe devant la notion de "son majoritaire" : l'envie vous prend de demander de quelle majorité il s'agit, et s'il y a deux tours prévus.
Surtout, on voit mal ce qu'une telle connaissance peut apporter aux enfants : susceptible de se heurter à de nombreux exemples où ce n'est pas vrai, elle ne peut que les perturber.
Pour éviter cette perturbation, toujours déséquilibrante pour un petit qui croit encore dur comme fer à ce que dit la maîtresse, il faudrait au contraire partir des variations, tout de suite, et travailler sur les divers rôles de cette lettre, du point de vue des sons auxquels elle correspond : car, comme toute autre lettre, elle ne joue pas que ce rôle.
* Si l'on poursuit les détails de cette histoire, on est amené à aborder une question, maintes fois évoquée et développée sur ce blog : en quoi la relation lettres/sons peut-elle aider à la maîtrise d'une activité purement visuelle, la lecture ? En réalité, elle est, tout au contraire, extrêmement nocive au vrai travail de son apprentissage, celui de la compréhension : oraliser ce qu'on lit en le déchiffrant, consomme énormément d'énergie, qui n'est plus disponible au travail de raisonnement nécessaire pour comprendre.
Ce n'est pas par elle qu'il faut commencer l'apprentissage. En fait, l'intérêt en soi, de cette relation n'est pas là : elle appartient à l'étude du fonctionnement de la langue française, c'est-à-dire de la grammaire. C'est donc plus tard qu'on devra l'aborder, et dans le cadre de cette étude.
* La grande erreur de tous ces choix, si souvent absurdes, c'est que justement, est oubliée la vraie nature de la lecture. Elle est, non une notion à acquérir, comme celle de nombre, mais une activité (même si elle s'appuie sur des notions et des savoirs), impliquant des manipulations d'objets (livres, journaux, affiches etc). Ce qui entraîne sa pédagogie vers celle des activités, comme l'EPS. C'est-à- dire, une pédagogie qui commence par l'action, dans son environnement, avant les notions qui la nourrissent : en natation, on commence par apprivoiser l'eau, avant tout autre apprentissage. En tennis, on commence par le maniement de la raquette, en relation avec la nécessité d'envoyer et de recevoir la balle.
En lecture, c'est par la partie "comportement", manipulation des objets à lire et manière d'aborder l'activité, qu'il faut commencer, avant tout autre travail, et sans objectifs intermédiaire.
La connaissance des unités de seconde articulation du langage, et le déchiffrage oralisé, imposé par le précédent ministre, comme objectif intermédiaire, est un détour inutile et dangereux vers la vraie lecture, sans pouvoir lui servir de marche-pieds, comme cela peut être le cas dans d'autres disciplines. En effet, il met en place des conduites de lecture, contraires aux conduites efficaces, qui laisseront des traces coriaces, rendant la lecture pénible et désagréable. C'est seulement dans l'action maîtrisée, que peuvent se construire par la suite, les savoirs langagiers et linguistiques.
* Mais le pire de cette histoire, c'est que ces évidences, maintes et maintes fois démontrées, comme des faits incontestables, sont complètement occultées par un esprit de soumission à une autorité, qui fait frémir : l'autorité des brochures officielles du précédent ministre de l'Éducation Nationale... Enfin, quoi ?
Sommes-nous, oui ou non en démocratie ?
La démocratie ne se définit-elle pas d'abord par la séparation des trois pouvoirs, le législatif, l'exécutif et le judiciaire ? Le Ministre de l'Éducation Nationale n'appartient-il pas au législatif, celui qui définit les objectifs à atteindre ?
Évidemment, oui. Est-il donc en droit d'expliquer aux enseignants titulaires de leur poste comment ils doivent travailler ? Évidemment non : cette activité appartient à l'exécutif, donc est en dehors des fonctions d'un Ministre.
Ces brochures ne sont donc que la manifestation d'un abus de pouvoir incontestable, illégal en démocratie. En quoi des professionnels de l'enseignement devraient-ils être tenus de les suivre ?
Si l'on ajoute que le Ministre a changé, bien que toujours soumis au même Jupiter, on découvre qu'une petite fenêtre d'espoir s'entr'ouvre, minime, certes, mais réelle, pour un petit peu de bon sens, dans la manière d'aborder la lecture, dans le respect des compétences professionnelles des enseignants, dans le type d'aide que ceux-ci attendent de leur ministre. Ce sont là, des points de revendications légitimes, qu'il ne faut pas laisser se faire oublier.
Cette petite fenêtre d'espoir, à nous d'en faire une grande baie ouvrant largement sur le vrai savoir lire, celui qui se moque des sons, inopportuns en lecture, et préfère ceux des cloches à ceux des consignes d'un étrange CRPE...
Commentaires
1. Le mercredi 1 juin 2022 à 22:33, par Eloi, éloi, éloi
2. Le jeudi 2 juin 2022 à 08:00, par Concours flou et fou, foufflou
3. Le jeudi 2 juin 2022 à 09:02, par laurent carle
4. Le jeudi 2 juin 2022 à 09:27, par Eveline
5. Le vendredi 3 juin 2022 à 14:31, par Lucide
6. Le vendredi 3 juin 2022 à 16:18, par Eveline
7. Le vendredi 3 juin 2022 à 18:20, par Amédée SABUSET
8. Le vendredi 3 juin 2022 à 18:44, par Lucide
9. Le vendredi 3 juin 2022 à 23:02, par Alain MIOSSEC
10. Le samedi 4 juin 2022 à 17:39, par Astro52
11. Le jeudi 9 juin 2022 à 19:27, par laurent carle
12. Le vendredi 10 juin 2022 à 19:29, par Amédée SABUSAIT
13. Le vendredi 10 juin 2022 à 22:54, par laurent carle
14. Le samedi 11 juin 2022 à 10:20, par Amédée SABUSAIT
15. Le samedi 11 juin 2022 à 12:50, par David
16. Le samedi 11 juin 2022 à 18:01, par Alain MIOSSEC
17. Le dimanche 12 juin 2022 à 11:10, par laurent carle
18. Le dimanche 12 juin 2022 à 11:12, par laurent carle
19. Le dimanche 12 juin 2022 à 11:53, par laurent carle
20. Le mardi 14 juin 2022 à 10:37, par laurent carle
Ajouter un commentaire