Maintes fois, sur ce blog, nous avons dénoncé les manquements à la démocratie d'un gouvernement, que les électeurs du second tour ne peuvent que confirmer, ou rendre pire.
Aujourd'hui, ça ne peut plus suffire : j'en appelle tous les collègues, du primaire (le plus en danger !), mais également du secondaire et du supérieur, à s'unir pour protéger l'école, tenter, par tous les moyens, de la sauver des dictatures, apparues ces dernières années, et que l'avenir risque de renforcer.

Le premier moyen, peut-être le seul, c'est de reprendre la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité. Parce qu'elle est toujours inscrite au fronton de chaque école française, elle est, actuellement, le seul rempart fragile, rendant encore possible, naturellement, un fonctionnement presque démocratique de l'école. Nous pouvons, en effet, nous appuyer sur elle, pour justifier certaines exigences, et un droit élémentaire de désobéissance indispensable.

L'école et la devise républicaine. Etat des lieux.

Notre belle devise française, en trois morceaux (qui ont eu du mal, on le sait, à s'organiser ainsi), est inscrite au fronton de l'entrée, dans toutes les écoles de France... Oui, mais voilà, elle est sur la porte, et elle y reste sans y entrer.

A quoi sert-elle alors ?
Elle permet d'alimenter des leçons de morale, du genre "faites ce que je dis, mais pas ce que je fais".
Problème : la morale ne s'enseigne, ni par des discours, ni par des leçons. Pour la morale, la seule pédagogie c'est le vécu commun, et l'exemple des aînés. C'est un fait reconnu et attesté depuis des lustres.
Ce qui est inadmissible, c'est qu'elle n'est pas mise en œuvre dans l'école : elle est sur la porte ? Non ! En fait, c'est bien "à" la porte, qu'elle reste !
Qu'on en juge :
* La liberté y est refusée officiellement, tant pour les enfants, qui sont sous la responsabilité des adultes et soumis à un règlement de l'établissement, que pour les enseignants, soumis, eux aussi, à un emploi du temps, et à des contenus d'enseignement imposés — on peut ajouter que, depuis 2017, même la manière de s'y prendre dans leur métier, est imposée maintenant.

* L'égalité n'y est pas non plus, et ce, pour des raisons tout autres, essentiellement sociales, mais pas seulement... Auxquelles s'ajoute un sentiment largement partagé, que les inégalités se creusent encore depuis quelques années.
On observe que ces deux valeurs ont en commun, qu'elles échappent complètement — c'est vrai ! — à la bonne volonté des enseignants, tous dépendants de ce qui est au-dessus d'eux, la société et les supérieurs hiérarchiques.

* Ce qui n'est pas le cas de la troisième, la fraternité, chose fort différente, qui ne dépend, ni du Ministre, ni des aléas sociaux. Il s'agit d'un sentiment personnel d'empathie, qui pousse à partager, sans que, théoriquement, rien d'extérieur ne l'en empêche.
Rien...
Si ce n'est une règle, inscrite nulle part, mais solidement ancrée dans les habitudes de pensée scolaire, qui interdit formellement toute entraide.

Comment peut-on interdire à l'école, un acte, conseillé partout ailleurs, par la religion, et par la morale laïque ?
Pour parvenir à un tel paradoxe, la trouvaille, fort efficace, a consisté à éviter le mot "entraide", beaucoup trop beau, impossible à refuser, pour en choisir un autre, qui, inversant l'ordre des facteurs, a permis de l'assimiler à un vol, : ce n'est plus celui qui a la chance de savoir, qui vient au secours de celui qui n'a pas cette chance, c'est ce dernier, qui, en "copiant sur son voisin", ose voler son savoir au premier, le vilain enfant !
Les mots sont puissants, qui retournent les faits comme un gant. Et la grammaire est essentielle ! C'est aussi pour ça, qu'on enseigne bien mal ceux-là et plus mal encore cette dernière.

Signification hautement politique de cette interdiction : ceux qu'elle laisse dehors sont ceux "qui n'y arrivent pas", ceux qui n'ont pas compris...
Mais, au fait, pourquoi d'autres ont-ils compris ?
Parce que le milieu, où ils ont eu la chance de naître, était culturellement riche, qu'ils y ont acquis l'habitude et les moyens d'échanger, de prendre la parole, de réfléchir et qu'ils y ont vécu toutes sortes d'expériences.
Ceux qui n'ont pas compris sont ceux qui n'ont rien vécu de tout cela, même si leur vie leur a permis de construire toutes sortes de savoirs. L'injustice est, pour eux, que ces savoirs ne sont pas ceux que l'école attend.
Confirmation éclatante que l'école est bien conçue pour empêcher les enfants du peuple de réussir : leurs savoirs réels ne sont pas pris en compte. Ainsi peut-on dire que l'échec scolaire n'est pas un virus à combattre ; il est produit par des habitudes, des pratiques, sournoisement installées pour écarter les enfants indésirables.

Que faudrait-il donc faire ?

Tout simplement, faire disparaître les pratiques, non obligatoires, qui produisent l'échec des plus démunis.
Vous voulez des exemples. En voici.

* L’interdiction de "copier", donc de s'entraider.
* L’interdiction de se documenter pour faire les tâches demandées.
* Le fait de lancer les élèves dans une tâche, individuelle, sans avoir préparé ce travail avec eux d'abord.
* le fait d'évaluer avec des notes chiffrées, forcément de pure pifométrie, prouvée depuis des lustres.
* Le fait d'évaluer les élèves dans leur dos, sans qu’ils n’aient aucun droit à donner leur avis.

On remarquera ici que faire disparaître tout cela, n'est rien d'autre que réinstaller la fraternité dans l'école.
En plus, cela ne coûtera pas un centime, et personne ne pourra en être sanctionné.

Insuffisant, dites-vous ?
C'est vrai. Il faudra aller plus loin. Mais je supplie mes collègues de commencer par là, et je supplie les parents, d'aider ceux-ci à le faire, et je supplie ceux qui ne sont ni parents, ni enseignants, à le dire et à le faire savoir.
L'urgence est là.
Faire vivre la fraternité aux enfants, en quoi cela pourrait-il être blâmable ? Où est la difficulté ?
Au nom de vos enfants, pour leur avenir, osez le faire !
Ils sauront vous en remercier.