Précisons d'emblée, que le CNESCO prend la précaution d'éviter les évaluations certificatives (les examens qui débouchent sur un diplôme), comme les évaluations externes (évaluations standardisées nationales et internationales), et que, seules, seront étudiées les formes de l'évaluation en classe.
Observant qu'en classe, on évalue fort souvent, il pose la question de savoir comment utiliser au mieux l’évaluation pour faire progresser tous les élèves.
Une telle question repose sur le présupposé, considéré comme une évidence, que l'évaluation serait en soi une action bénéfique aux élèves. Le mauvais esprit, bien connu, du blog, le pousse à contester ce présupposé — ou au moins à le creuser un peu.

Qu'est-ce qui se passe quand on évalue pendant les apprentissages ?

Qu'on le veuille ou non, c'est un STOP, dans le travail d'intégration du savoir nouvellement découvert : c'est un peu comme si on arrêtait brutalement le processus de la digestion d'un repas copieux. Non seulement ce processus est arrêté, mais sa remise en route devient problématique.
On oublie trop souvent que l'apprentissage, c'est-à-dire, l'intégration de nouvelles connaissances dans le stock de celles qui étaient déjà là, demande du temps : les savoirs, on le sait, ne se contentent pas de "s'ajouter" aux autres, ils réorganisent l'ensemble de ceux-ci, à la lumière des nouveaux, ce qui, souvent les modifie en profondeur.
Et comme, en général, l'évaluation porte sur ce nouveau savoir, à peine installé, tout le processus d'installation est remis en cause, et très souvent arrêté complètement.

Mais une petite interrogation au tableau, histoire de voir comment les choses ont été comprises, ça ne peut pas être bien dangereux : ce n'est pas une "évaluation" !

Mais si, c'en est une ! Contrairement à ce qu'on croit, il n'est pas possible de "jeter un coup d'œil", pour pouvoir repérer où ils en sont de ce qu'ils doivent savoir : dans ce domaine, il n'y a pas de "sondage" possible.
Et voici pourquoi.
Pour pouvoir répondre à une petite question sur le savoir nouvellement découvert, il faut le posséder complètement. Il faut être passé d'un "savoir passif" (je reconnais ce savoir, mais je ne suis pas encore capable de m'en servir) à ce qu'on appelle un "savoir actif" (je sais et je sais me servir de ce savoir).
Et ce passage ne se fait ni vite, ni tout seul. Les chercheurs, notamment ceux du FLE, et de l'enseignement des langues étrangères, ont mis en évidence que pour qu'un mot ou une structure nouvelle étrangère soit "opérationnelle", il faut que la chose en question ait été retrouvée, dans des contextes divers, au moins dix à douze fois, sans que ces retrouvailles soient lourdement associées à l'apprentissage initial, durant ce temps. Ce qui reviendrait à une évaluation.
L'intervention d'une évaluation, trop tôt dans ce processus, fait courir le risque de remettre le compteur à zéro.
Rien n'est plus dangereux, pour un apprentissage, qu'une évaluation mal placée.

Qu'est-ce, alors qu'une évaluation bien placée ?

Il est évident qu'il faut évaluer, ne serait-ce que pour pouvoir continuer à travailler. Mais, comme pour les antibiotiques, ça ne doit pas être automatique.
Il faut d'abord ne pas oublier qu'il s'agit d'effectuer cette opération sur des êtres humains, pas sur des objets. L'être humain déteste d'être observé, contrôlé, décortiqué, sans avoir droit à la parole. Évaluer des élèves, ou des enseignants, ça ne peut se faire qu'avec eux. Toute évaluation, en classe, ou ailleurs, doit être participative.

Ensuite, il s'agit de choisir avec soin, l'outil d'observation, voire de mesure, qui sera utilisé : un outil quantitatif, quel qu'il soit ne peut être qu'inadapté pour des êtres humains... Tant pis pour les rêves d'exactitude, concept totalement étranger à la nature humaine ! Ce qui s'impose ici, c'est l'art de la nuance et de la relativité : pas question d'enregistrer les différences en termes de "plus" ou "moins", mais autour de la notion "autrement". C'est dire qu'aucun classement ne peut s'ensuivre.

Enfin, en classe, ce qu'on a à connaître, ce sont les progrès réalisés par les élèves. On ne cherche pas ce qu'il faudrait qu'ils sachent, mais ce qu'ils savent de nouveau, en quoi ils ont avancé.
Il n'y a donc aucune raison que ce soit un moment désagréable... Au contraire !
Comme elle doit être participative, elle doit être prévue, inscrite à l'emploi du temps, et organisée avec les élèves, sur des points précis. Précise, car il est impossible d'évaluer tout en même temps. Prévue, parce qu'il faut se préparer à ce genre d'épreuve (c'en est toujours une, quelque part) et qu'on doit éviter les évaluations-surprises, cette forme de punition, parfois choisie par certains profs ayant oublié ce que signifie enseigner.

Conclusion : une évaluation doit avoir quatre vertus :

Être rare ; être précise ; être prévue ; être joyeuse.

Trop fréquente, elle consomme un temps que les apprentissages n'ont plus ; imprécise, elle ne veut plus rien dire et correspond à du temps perdu ; si elle n'est pas prévue, l'effet de surprise désagréable en détruit le sens et fait peur. Or, si elle fait peur, elle met les élèves dans un état incompatible avec le fait d'apprendre qui ne peut se faire que dans la sérénité. Enfin elle doit être joyeuse, car découvrir, qu'on a progressé, est une grande joie, que le progrès soit important ou non.
Donc, il suffit qu'une seule de ces conditions ne soit pas remplie, pour que l'évaluation, loin d'être un soutien des apprentissages, en devienne la première cause d'échec.
Qu'on se le dise...