D'abord, les mots ont la fâcheuse manie d'évoluer, de changer d'allure et de sens, si bien qu'on ne sait plus trop de quoi on parle quand on s'en sert...
Il est vrai que ça peut aussi être utile, notamment pour tromper, sans en avoir l'air, ceux à qui l'on s'adresse.
Telle est un peu l'aventure du mot "République", et de son dérivé "Républicain", justement lorsque le Ministre de l'Éducation Nationale les utilise.
Pour lui, en effet, l'adjectif "républicain" peut se déguster à tous les sauces, y compris pour désigner les vêtements des élèves en classe : interrogé sur ce qu'il considère comme une "tenue correcte", le ministre a eu cette étonnante réponse : "Chacun peut comprendre que l'on vient à l'école habillé d'une façon... je dirais républicaine", réponse qui invite Claude Lelièvre, à s'interroger sur les liens obscurs qui pourraient unir les tenues vestimentaires des élèves et le type de choix gouvernemental du pays : peut-on dire que les uniformes des élèves belges, ou ceux des Horse Guard d'outre Manche, sont "royalistes" ? Alors, ceux des Brésiliens devraient être franchement qualifiés de despotiques !

Mais c'est sur le plan historique que les emplois blanquerriens de cet adjectif sont les plus intéressants :
Quand il affirme que : "Le baccalauréat, (est) un des plus beaux rendez-vous républicains », l'historien ne peut s'empêcher de pouffer, en rappelant que la création de ce vénérable examen et dû à Napoléon, et que ses principales caractéristiques ont été installées par les diverses monarchies qui ont précédé la révolution de 1848...
On est en droit de se demander si, du point de vue du Ministre, il s'agit ici d'ignorance ou d'une tactique perverse d'intox systématique.

Si l'on creuse un peu autour, pour chercher du côté de l'histoire du mot, en plus de celle des faits, on fait des découvertes : les fameuses "valeurs de la République", celles qu'affirment les trois mots inscrits au fronton des écoles de France, ont du mal, aujourd'hui, à être automatiquement associées au mot "République", comme c'était le cas en 1789 : quelles républiques, dans le monde, offrent liberté et égalité, pour leurs habitants, en pratiquant la fraternité ?
Il faut ouvrir les yeux sur la réalité actuelle : un nombre non négligeable de "dictatures républicaines", toujours nommées "républiques", a fleuri partout dans le monde depuis deux siècles, ce qui a fait perdre, à ce beau mot, l'essentiel de ses couleurs, au point qu'on est obligé d'ajouter l'adjectif "démocratique" pour parler de façon convaincante des valeurs évoquées par les trois mots de notre devise nationale.
En fait, le mot "république", aujourd'hui ne désigne plus que le fait d'avoir un chef de gouvernement élu par le peuple. Mais tout ce qui concernait le peuple en question, sa place, son statut et ses droits, a disparu du champ sémantique de ce mot pour être traduit par un autre mot, celui de "Démocratie", évoqué et explicité, bien avant 1789 (en 1758 exactement) par un certain Charles de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, dans son énorme "De l'Esprit des Lois". Selon cet ouvrage, les deux caractéristiques essentielles de la Démocratie sont la séparation des trois secteurs du pouvoir, le législatif, l'exécutif et le judiciaire, et ce qu'il appelle la "vertu" ou "l'amour des lois" — ce que nous préférons, aujourd'hui, nommer de manière moins "affective", le respect effectif des lois.
Si la "vertu" politique, chère à Montesquieu, le respect total des lois, est une marque incontournable de démocratie, cela invite immédiatement à poser la question : dans le gouvernement actuel de la France, est-on sûr qu'il s'agit bien toujours d'une démocratie ?
Il est certain, en tout cas, que, dans le domaine qui est le nôtre ici, celui de l'école, on en est loin.
Notre école, incontestablement républicaine — notre président a été élu par la population, et notre ministre, quoique non élu par les enseignants (ce qui serait pourtant évident, en démocratie !), a été nommé par un président de la République élu— n'est guère "démocratique" : outre que le ministre y assure, à lui tout seul, tous les pouvoirs, les mots gravés au fronton des écoles y sont, mais vous noterez qu'ils y restent, sans y entrer le moins du monde !
Rien, de ce que ces mots signifient, n'entre à l'école : ni la liberté, plus absente que jamais, tant pour les enseignants que pour les élèves, ni l'égalité, qui se creuse chaque jour davantage entre les élèves, ni la fraternité, qui elle, n'y est même pas en paroles, puisqu'il y est interdit de s'entraider.

Tiens, comme la cerise sur le gâteau, c'est la grammaire qui s'invite (normal : la grammaire, la vraie, est, par excellence, la discipline "démocratique"). Elle se demande quelle préposition grammaticale s'impose : "la devise est SUR la porte", ou "la devise est A la porte" ?

Vous ne pensez pas qu'il est grand temps d'ouvrir, à la Démocratie, la porte de cette Bastille qu'est notre école française ?