Juste avant le texte de Laurent, voici le résumé de l'article, tel que l'auteure elle-même le présente.

"Des professionnels en psychologie, psychanalyse, pédiatrie et pédopsychiatrie dressent un constat alarmant au sujet des impacts traumatiques de la politique sanitaire actuelle sur les enfants. Décrivant leurs observations, ainsi que les symptômes relevés dans leurs consultations et analysant les témoignages de parents, enseignants et enfants, ils relèvent de graves perturbations dans le vivre-ensemble et la socialisation, la survenue de nouvelles maltraitances au sein des établissements, une condamnation de la tendresse, de l’empathie et un interdit implicite à l’altérité, une entrave au développement relationnel, psychomoteur ainsi que des régressions dans les apprentissages, une fragilisation majeure de l’autorité bienveillante/contenante et de la posture parentale, une perte de repères structurants et des discours paradoxaux. Le tableau clinique conclut à une souffrance psychique croissante chez les enfants, risquant d’entraîner une explosion de troubles psychiques graves et de passages à l’acte suicidaires."

Et voici le texte de Laurent.

Quand on lit les deux extraits suivants de cette pétition, on est frappé par des similitudes réelles avec ce que nous ne cessons de dire sur l'école en France.
(à lire en entier ici : http://www.arianebilheran.com/post/impacts-traumatiques-de-la-politique-sanitaire-actuelle-sur-les-enfants-un-constat-clinique-alarmant?fbclid=IwAR0ivD5AErSNMyKlKCspzeBIqQjh_qoiPuVshkzfH_gylkOP2KkOhOt2GRU",)

« La peur et la terreur sont les maîtres mots de cette politique sanitaire, dans laquelle l’autre n’est plus un autre à apprivoiser, mais un ennemi potentiel duquel chacun doit se méfier en conservant des distances entravant tout apprentissage de la fraternité et de la solidarité.

« L’école n’est plus le lieu de l’apprentissage de la socialisation, mais celui de l’apprentissage de la distanciation sociale. Elle n’est plus le lieu du vivre-ensemble mais celui du marquage de la méfiance de tous contre tous. Le lien social est très attaqué : les proches deviennent de potentiels ennemis, nous nageons dans les paradoxes éducatifs. ».

Il suffit de changer quelques mots :

"La peur est le maître mot de la politique scolaire, dans laquelle l’autre n’est plus un autre à apprivoiser, mais un concurrent potentiel duquel chacun doit se méfier en conservant des distances entravant tout apprentissage de la fraternité et de la solidarité."

"L’école n’est pas le lieu de l’apprentissage de la socialisation, mais celui de l’apprentissage d'une distanciation qui, loin d'être purement matérielle (au moins un mètre de distance entre les enfants) est en fait réellement "sociale"(1). Elle n’est pas le lieu du vivre-ensemble mais celui du marquage de la méfiance de tous contre tous. Le lien social est très attaqué : les proches deviennent de potentiels concurrents, nous nageons dans les paradoxes éducatifs. Beaucoup se soumettent à des ordres vécus comme arbitraires pour « ne pas avoir de problème » sans comprendre le sens de ce qui leur est demandé."

S'y retrouvent aussi les mêmes détournements du sens des mots ("victoire" converti "réussite", "différence" converti "échec", "droit à la lecture" perverti "devoir de lire", "recherche du sens des mots" perverti "devinette", "noté" converti "corrigé", "vie scolaire" converti "bureau des entrées et sorties", "pédagogues" perverti "pédagogistes"…) détournements que pratique « naturellement » l’école traditionnelle.

Ce que j’en pense.

Dans cette alerte, lancée par des médico-psys de diverses spécialités, le constat est sévère, nécessaire mais partiel, incomplet. Une face du réel scolaire est scotomisée. Les symptômes observés en consultation en lien avec l’épidémie, dont les porteurs seraient les enfants uniquement, révèlent en réalité la pathologie du système scolaire français dans son ensemble, adultes, enfants, encadrants, structure organisationnelle et hiérarchie.
Dans ce répertoire de la symptomatologie médicopsychologique, je relève les indices observables depuis des décennies, que j’ai observés pendant mes années d’activité, sans épidémie, bien avant le Corona virus de 2020. J’occupais, il est vrai, une position discrète mais centrale, un poste observatoire à la vue imprenable.

Pourquoi ces professionnels ont-ils attendu la crise sanitaire pour nous faire part d’un constat alarmant des symptômes observés en consultations ?

Et pourquoi relever seulement en 2020, ces perturbations dans le vivre-ensemble et la socialisation, la survenue de nouvelles maltraitances au sein des établissements, une condamnation de la tendresse, de l’empathie et un interdit implicite à l’altérité, une entrave au développement relationnel, psychomoteur ainsi que des régressions dans les apprentissages, une fragilisation majeure de l’autorité bienveillante/contenante et de la posture parentale, une perte de repères structurants et des discours paradoxaux ?

Pourquoi cette alerte ne dénonce-t-elle pas les mensonges traditionnels propagés par l’école, du style « ne cherche pas à deviner, tu sauras lire quand tu auras appris la méthode ? »

A ce tableau il faudrait ajouter : le stress de l’interro, de la dictée, de la récitation des conjugaisons et des tables, de la fluence syllabique orale, du chronométrage de la syllabation oralisée, de la note, l’obligation du par-cœur, du travail solitaire au coude-à-coude mais sans collaboration, de la punition pour le travail, de la sonorisation et de la phonologie de l’écrit, la phobie « professionnelle » de la différence et de la diversité, la recherche obsessionnelle de l’homogénéité (qui garantirait « l’égalité des chances »), la valorisation du travail inutile, sans but mais susceptible de récompense ou de punition, le refus du droit à l’erreur, l’interdiction de l’entraide, de l’action, de la mobilité, de l’accès à la documentation, de la recherche de sens dans l’écrit
Le tableau est autant sociologique et politique que clinique. Une observation pointue sur le terrain renseigne plus vite et mieux qu’une consultation.

Nous nous inquiétons des effets pervers du masque et de la distanciation sociale mais peu de la soumission des enfants à un régime totalitaire auquel nous sommes habitués pour y être passés nous-mêmes et avoir été « reconnus » pour nos « mérites ». Il est vrai qu’ouvrir les yeux sur une réalité chronique aussi lourde, et la dire, demande un autre regard et du courage, surtout si on est aussi parent d’élève.
Les ressortissants de pays étrangers anglophones, des finlandais, des britanniques et autres, correspondants permanents de journaux, universitaires de double nationalité et personnels d’ambassade, font ce constat depuis longtemps. L’école française est le territoire de la violence ordinaire, une violence ordinaire imposée par le régime du labeur solitaire et de la concurrence libre et non faussée. Cette violence s’est tellement banalisée que nous n’y prêtons plus attention.

Dès ma prise de fonction, il y a des décennies, en consultations, en entretiens, en observation dans les classes, les cours, les couloirs, les conseils d’école, de classes, des maitres, les commissions de placement, les salles à café, j’ai constaté qu’en France on ne vient pas à l’école pour y apprendre à plusieurs, pour s’y instruire en communauté mais pour se faire gronder ou féliciter. Pour faire reculer sinon disparaitre cette violence, je me suis adressé à la hiérarchie d’abord, ensuite aux acteurs du projet de subvention pédagogique (les membres de GAPP), et, sans résultats, je me suis tourné vers les pédagogues.
Personne n’y peut. Il faut faire avec.

Certes, cette violence n’est pas totale — on rencontre des enseignants non-violents, indulgents et bienveillants, dans toutes les écoles -, mais, là où elle se voit, elle s’affiche sans pudeur, si normalisée, si française que les personnels mobiles et nomades (psychologues scolaires, médecins scolaires, infirmières, rééducateurs, conseillers pédagogiques, inspecteurs) ne la perçoivent pas ou plus.
Pourtant, dans un couloir d’école, si on prête l’oreille on apprend vite que l’école publique n’est ni laïque (ouverte à la diversité), ni démocratique (l’autorisation de se tromper pour apprendre, ou la possibilité d’aller et venir sans autorisation formelle).
Elle est le temple de l’idéologie dominante de la bourgeoisie, du mépris de classe, du sentiment de supériorité des gagnants, de la lecture à l’oreille par dressage, de la mémorisation mécanique, du culte de l’individualisme, du catéchisme de l’égoïsme et du chacun pour soi, de la prohibition de l’entraide et de la solidarité, pire de la sanction de toute interaction entre pairs, toute générosité individuelle ou collective étant interdite. Ce n’est pas de l’exigence qui inciterait à aller plus loin pour se dépasser, c’est de l’intolérance par racisme social, c’est la sélection par l’échec.

On ne peut pas attendre de la hiérarchie qu’elle dissolve la violence ordinaire, verbale et psychologique, tolérée parce que banale et que celui/celle qui sait la présence d’un supérieur dans les murs surveille son langage. La hiérarchie tolère bien la violence discrète parce qu’elle n’entend jamais ce qu’elle ne veut pas entendre. "Le mal n’est jamais fait par des gens qui veulent faire le mal mais par des gens qui ne se sont jamais soucié de ce qui pourrait être bien et ce qui pouvait être mal". (Hannah ARENDT).

Quand des corporations « représentatives », hostiles aux réformes, refusèrent la réforme Jospin en 89, ce ne fut pas le Ministre qu’elles brisèrent, ce fut l’enfance, l’école, la république, la démocratie. Même non voulue, même légitimée par l’usage, « on a toujours fait comme ça ! », l’hypocrisie pervertit la relation éducative. Car tout procédé didactique inspiré des méthodes du XIXe siècle n’est pas seulement obsolète et inefficace. Destiné à trier et sélectionner, il est d’une hypocrisie sans nom.

Comme si nous étions encore dans les siècles passé, l’école française forme toujours de futurs ouvriers et employés dociles et des soldats disciplinés. Elle offre aux méritants quatre places dans l’ascenseur. Pour atteindre ces objectifs, nul besoin d’un système éducatif pédagogique et démocratique !

On n’améliorera pas l’école en améliorant la formation professionnelle. Il faut changer l’école. Pour changer l’école il faut transformer la fonction enseignante en métier d’éducateur. Pour en faire un métier, il faut cesser de recruter sur concours des fonctionnaires scolaires (les premiers de la classe habitués à dominer et à gagner, insensibilisés par la routine, conformés et coulés dans le moule du système). Il faut sélectionner sur tests de personnalité, de compétences éducatives et d’aptitudes à la relation positive sans discrimination. Il faut écarter les candidats par défaut.

Peut-être que ce tardif constat des professionnels de la parole thérapeutique tient, du fait des mesures prophylactiques imposées à tous, à la propagation aux classes supérieures des conséquences néfastes des symptômes scolaires jusqu’ici confinés aux classes populaires. Avec le Covid-19, le virus de l’individualisme en compétition frappe aussi ceux qu’elle épargnait avant les « mesures ». Si la pédagogie fait tant défaut en France, c’est que l’humanité n’est pas une discipline didactique.
Pourquoi le vivre-ensemble et la socialisation, la lutte contre les maltraitances au sein des établissements, une invitation à la tendresse, l’empathie et l’altérité, le développement relationnel, psychomoteur, les apprentissages, une autorité bienveillante/contenante et des repères structurants, l’entraide, la coopération, le droit à l’erreur, le choix des processus d’apprentissage ne sont-ils pas en même temps des buts et des moyens au programme de l’école française ?

Actuel ou chronique, le tableau est aussi inquiétant qu’alarmant. En se référant à un passé mythique et inconnu, dit âge d’or de l’enseignement, l’école à la française prépare les individus à un régime totalitaire plutôt qu’à la vie démocratique. « Pour s'implanter, le Totalitarisme a besoin d'individus isolés et déculturés, déracinés des rapports sociaux organiques, atomisés socialement et poussés à un égoïsme extrême. » Hannah Arendt.

(1) Rendant ainsi à cet adjectif son véritable sens, indûment devenu synonyme de "matériel" ou "physique", sous prétexte de "faire plus chic".