Peut-on transposer dans une situation de distance, le travail que nous faisons en présence des élèves ?

Il est bien évident que les pratiques habituelles, toujours officiellement préconisées — un cours magistral, bien explicite, suivi d'exercices d'application — se prêtent sans difficulté à la pratique à distance.
Il suffit de rédiger le cours de façon plus explicite, et d'élaborer, avec davantage de soin, des consignes d'exercices divers, pour envoyer le tout aux élèves par courrier ou courriel, ceux-ci renvoyant le travail effectué pour que le professeur le corrige, en veillant, là aussi, à être plus explicite encore, et plus précis.
Certes, en plus de ceux qui sont évidents (motivation molle, liberté de l'élève, et absence d'aide, etc.) l'obstacle spécifique ne tarde pas à surgir : il faut qu'ils sachent lire. Et l'on sait que c'est loin d'être le cas, même pour les élèves du cycle 3 et du collège.
Se résigner alors, à ce que seuls, ceux qui maîtrisent la chose écrite, puissent tirer parti tout de même de ce temps de crise ?

Comment éviter les erreurs de cette façon de faire ?

Elles sont, hélas, ancrées profondément dans nos habitudes scolaires.
1- Passons sur la première, maintes fois rappelée, sur ce que signifie le verbe "apprendre".
Comme on le sait depuis des lustres, apprendre ne se fait pas en rajoutant des connaissances à celles qu'on a, mais consiste en une transformation de celles-ci, rendue possible à deux conditions :
* Découvrir, lors de la réalisation d'un projet, que ce qu'on croyait savoir ne suffit pas.
* Que l'on ait acquis des moyens de s'y prendre autrement.

Moralité : ce ne sont pas les savoir qu'il faut transmettre, ce sont les stratégies par lesquelles on les construit.
Cela a souvent été dit sur ce blog : depuis toujours, on donne aux élèves des savoirs tout faits, en exigeant d'eux qu'ils découvrent tout seuls comment on s'en sert. C'est exactement le contraire dont les élèves ont besoin.
Il s'agit donc d'envoyer avant tout, non des fiches et des consignes de travail à suivre, mais des outils, des explications, des manières de s'y prendre, que les moyens technologiques d'aujourd'hui permettent d'envoyer oralement ou par écrit.

2- La seconde erreur résulte d'une confusion vieille comme l'école, entre "faire des exercices" et "apprendre". Confirmée dans les discours officiels actuels, où cette notion d'exercices que les élèves vont devoir faire à la maison, est omniprésente.
Rappelons — car c'est généralement oublié, voire ignoré — qu'un exercice est une activité d'entraînement d'un savoir acquis récemment. Ce n'est jamais un moyen d'apprendre.
L'exercice est censé accélérer le passage du savoir passif, que l'on a après la découverte d'un savoir nouveau, au savoir actif, c'est-à-dire au savoir que l'on peut et que l'on sait utiliser en situation. On sait en effet que ce passage demande du temps, beaucoup de temps, et il n'est pas évident que quelques exercices réussissent à le rendre plus rapide.
Donc, quand on est loin des élèves, au lieu de leur envoyer des "exercices" à faire, ce sont des situations d'apprentissage, qu'il faut trouver à leur envoyer. Et comme la motivation à apprendre n'est alors guère évidente, c'est évidemment le jeu et le caractère ludique des activités proposées, qui vont remplacer l'obligation et la surveillance scolaire. Des problèmes et des énigmes à résoudre, focalisées sur des notions à construire, toujours accompagnées d'explications nombreuses sur la manière de s'y prendre, pour les résoudre.

3- Une troisième erreur, que le travail à distance devrait permettre d'éviter facilement, mais qui a la vie dure, tant les a-priori traditionnels sont coriaces, c'est celle qui considère que le vrai travail doit se faire de mémoire, et sans aide d'aucune sorte.
C'est plus qu'une erreur, c'est une aberration, une faute monumentale. C'est en plus, une malhonnêteté grave : la mémoire, est, de tous les outils humains, le plus infidèle et le moins fiable. Demander aux élèves, comme on le fait et comme on l'exige, de travailler sur leur unique mémoire, est une contradiction morale absolument incompréhensible. Se documenter avant d'affirmer est la clé de l'honnêteté. Et, adulte, personne n'agit autrement : n'est-il pas ahurissant d'empêcher les enfants de le faire ?
C'est pourquoi, en classe, il faut que, dès le plus jeune âge, le réflexe "documentation, recherches et vérifications" soit installé, et qu'en classe, les enfants aient pris l'habitude d'avoir, près d'eux, les outils documentaires, dictionnaires, manuels, ressources diverses, archivées lors des leçons.
Il va de soi qu'à la maison, ces ressources doivent être là pour tout le travail qu'ils ont à y faire. Et comme on sait qu'elles sont souvent absentes, pour des raisons évidentes dans beaucoup de familles, c'est de la documentation qu'il faut envoyer aux élèves et non des fiches d'exercices ! De la documentation et des explications orales sur l'utilisation de celle-ci.

Et, de grâce, faisons le vœu que, pendant ces journées hors normes, on se passe d'évaluations !!
En matière d'apprentissage et d'éducation, l'essentiel, c'est d'apprendre : prouver ce qu'on a appris, c'est du temps de perdu et on n'en a pas à perdre.
La "classe à la maison", la formule est jolie, mais elle est bien discutable : la maison n'est pas un lieu pour faire la classe. Je pense qu'il faut donner un autre rôle à ce moment étrange et douloureux qu'est le nôtre.
Ce temps d'apprentissage à la maison peut très bien être, si on le veut, un temps positif et bénéfique, où les choses deviennent autres, les relations parents/enfants, le regard des uns et des autres sur le savoir et sur la manière de l'acquérir...
Il peut être un temps de découvertes réciproques, pour les parents et pour les petits...
A condition, bien sûr, que que rien ne vienne gâcher ce positif, et surtout pas des comptes à rendre et des jugements de valeur, inutiles et blessants.
Il est en nous, de faire en sorte que cela le soit.