Où l'on voit que Jean-Michel Blanquer et Phlippe Meirieu n'ont pas la même conception de la cohérence. Pour ce dernier, ces deux citations sont dans le prolongement l'une de l'autre ; pour le ministre, la première détruit la seconde, et ses recommandations plongent le monde des enseignants pédagogues dans un paradoxe, une situation ubuesque, où ils se découvrent doublés par la droite, sans avoir rien vu venir.
Aujourd'hui, l'école maternelle est, certes, une école à part entière, mais sa mission la plus importante est loin de permettre l'émergence d'un enfant-sujet : la tentation de le réduire à un objet, est même devenue un objectif, non annoncé en ces termes, mais incontestable par l'ensemble des directives imposées.
L'émergence d'un enfant-sujet n'a rien d'urgent. Elle serait plutôt à éviter avec soin.

Voir le blog de Cath.Chabrun :

http://www.catchabrun.com/2019/05/l-ecole-maternelle-des-recommandations-pedagogiques-inquietantes.html

Petit rappel des épisodes précédents pour comprendre le désarroi des pédagogues.

Depuis les années soixante, l'école maternelle a été régulièrement menacée. Le danger le plus important était son assimilation à une sorte de jardin d'enfants dont l'objectif restait "l'épanouissement" de ceux-ci, ce qui rendait inutile toute formation pédagogique pour celles qui étaient chargées de s'en occuper.
Tous les pédagogues, chercheurs, se sont battus, à la lumière des données scientifiques (celles de J.P. Changeux notamment), qui éclairaient l'importance de faire exister de réels apprentissages durant les années "d'avant six ans", pour qu'elle soit reconnue comme une véritable "école", avec des enseignants dûment formés et des contenus d'apprentissage effectifs.
Ironie (pas vraiment drôle) de l'histoire : ces nouvelles recommandations vont incontestablement dans ce sens, mais pour atterrir bien au-delà, dans un contresens monumental, bien plus dangereux encore que les menaces de jadis.

Les domaines d'apprentissage, depuis la petite section, à trois ans..

Dans ce texte envoyé à tous les acteurs de l'école, sont listés les apprentissages essentiels, toujours prévus de manière descendante, et uniquement consacrés au langage, (y compris langue étrangère !), et aux mathématiques, ce qui n'empêche pas le ministre d'intituler le paragraphe des priorités pour l'école primaire : "l'école maternelle, l'école de l'épanouissement et du langage".
Dans la suite, l'épanouissement n'est précisé que par l'affirmation suivante : l'équipe enseignante s'adapte aux besoins du jeune enfant pendant les vingt-quatre heures hebdomadaires d'enseignement, durant lesquelles l'exigence d'assiduité est affirmée pour tous les élèves (sic ! A trois ans...), complétée, au paragraphe suivant, de cette formule pour le moins inattendue : Transmettre la confiance en soi !
Comme si c'était transmissible ! Comme s'il suffisait de s'adapter aux besoins du jeune enfant pour qu'il s'épanouisse !
Une pauvreté de pensée et de langage assez effarante pour un ministre.

Ce qui en revanche devient très clair, ce sont les contenus d'apprentissage, et les consignes de travail :
1- Renforcer la préparation aux apprentissages fondamentaux, par la connaissance et la manipulation des unités sonores de la langue française qui font l'objet d'un enseignement progressif. Dès la petite section, la construction d'une conscience phonologique est régulièrement travaillée. Elle se structure jusqu'à la grande section par des activités appropriées. La connaissance du nom des lettres et du son qu'elles produisent est progressivement enseignée. Le travail sur l'oral permet d'atteindre un premier niveau de conscience de l'organisation lexicale et syntaxique de la langue.

Non, vous ne rêvez pas : il s'agit bien de l'école maternelle et d'enfants qui ont entre 3 et 6 ans. Alors la conséquence devient aveuglante. Comme il est évident qu'un tel travail est totalement hors de la portée d'enfants de cet âge, il va falloir les contraindre, les forcer, les manipuler... les dresser, les faire réciter, les faire répéter. Surtout pas les faire réfléchir.
Elle est où, l'émergence de l'enfant-sujet ?

Mais ce n'est pas fini : non seulement, les enfants sont maltraités, mais leurs enseignants ont aussi leur dose :
A propos de l'enseignement structuré du vocabulaire oral, on note un avertissement des plus clairs : Le langage des enseignants devient donc un langage de référence qui se doit d'être lexicalement précis et syntaxiquement correct en toute situation, de même que le langage de tous les adultes dans la classe.
Avertissement évidemment nécessaire : pas un enseignant n'en aurait l'idée de lui-même.
Reste que n'est nullement précisé ce que peut-être un langage "lexicalement précis et syntaxiquement correct", la notion de "correction", à la fois ambiguë et subjective, étant récusée par tous les linguistes et sociolinguistes depuis plusieurs décennies.

Pire encore : en affirmant que le travail de l'enseignant est essentiel, et comme il n'est pas évident au ministre que les enseignants connaissent bien leur métier, le texte apporte des précisions. Je cite tout le passage, tant je le trouve réjouissant :

La médiation de l'enseignant est essentielle :
- il installe un climat d'écoute et de sécurité en aménageant un espace dédié respectant les codes et usages sociaux (rappeler les règles de l'écoute, éviter d'asseoir tous les élèves par terre) ;
- il sollicite l'attention des élèves et les prépare à être dans une écoute active, notamment en indiquant des points d'attention avant de commencer à lire (par exemple, « dans cette histoire, tu vas rencontrer un ogre et un petit garçon... ») et il précise quelles seront ses attentes après l'écoute (par exemple, « vous devrez me dire ce que vous avez retenu, ce que vous avez aimé... ») ;
- pendant qu'il lit à haute voix, l'enseignant ne s'interrompt pas afin de maintenir l'attention des élèves tout au long de la lecture et d'en maintenir le fil ;
- après l'écoute, il engage les élèves à prendre la parole et il montre de l'attention pour ce qu'ils disent ;
- il favorise les questionnements des élèves sur le personnage principal, les liens avec d'autres personnages, leurs actions, leurs ressentis ; il sollicite l'avis des élèves, leur point de vue, leurs interprétations ;
- il suscite des débats, favorise et étaye l'émergence des représentations ; il sollicite en particulier quelques élèves par séances et prend soin d'assurer une rotation effective, sans oublier les plus réservés ; de séances en séances, tous les élèves prennent la parole sur des temps suffisamment longs ;
- il propose de revenir au livre pour valider les interprétations, les hypothèses, les points de vue ;
- dans ces moments centrés sur la réception et la production orale, il veille à donner le temps nécessaire pour qu'un élève puisse aller au bout de son propos, il stimule la production de phrases complètes et structurées : il invite l'élève à utiliser ses propres mots et reformule ses éventuelles approximations en restant dans l'échange ;
- il prend soin de gérer le temps pour conserver l'attention nécessaire.


C'est proprement ahurissant et l'on reste comme assommés devant un pareil mépris des enseignants et des enfants qui leur sont confiés.
On hésite entre le rire nerveux devant des précisions si inadaptées à des enseignants d'expérience, et la fureur devant une énumération, particulièrement humiliante, pour ces mêmes enseignants !

Célestin, reviens ! Ils sont devenus fous ! Et vous tous, les Freire, Pestalozzi, Kergomard, Buisson, Marion, Dewey, Decroly, Korczsak, Wallon, Vygotski, Rogers et Jean Zay et tous ceux que j'oublie, revenez : on a besoin de vous !

Personnellement, je pense que personne n'a à admettre un tel traitement. Il ne faut pas laisser passer ça : c'est trop grave.

Tiens ! On vient de voir passer certaines rumeurs, ce matin, sur des suppressions de classes différentes, dans certains collèges au motif qu'elle gênent l'organisation du travail de l'établissement.
Informations superbes, qui, si elles étaient confirmées, boucleraient la boucle : de la maternelle jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire, le carcan semble vouloir se mettre en place.
Vous êtes sûrs que la démocratie est toujours là ?