Il se trouve que pour le concours de recrutement des futurs professeurs d'école, les épreuves de français mettent en jeu des compétences importantes de lecture, notamment la capacité à dégager des informations d'un document écrit, permettant de répondre à des questions précises le concernant.
Ayant, depuis plus de dix ans, à aider des étudiant(e)s, en reconversion professionnelle, dont l'âge oscille entre vingt-cinq et quarante ans, à préparer ce concours, j'ai devant moi un joli panel du savoir-lire acquis à partir de ces pratiques syllabiques, qui n'ont jamais quitté la majorité des CP de France, et qui sont devenues obligatoires depuis presque vingt ans.

Comme nous continuons de souhaiter que ce blog soit réellement "participatif", je propose à mes lecteurs un nouveau jeu : il s'agit de dire ce que vous pensez des réponses de trois étudiantes (plus de trente ans chacune, diplômées : une ingénieure chimiste, une pharmacienne et une DRH) à la question suivante, posée à l'occasion d'un devoir de préparation pédagogique sur une nouvelle bien connue de Bernard Friot, intitulée "Soupçon".

La question était celle-ci, accompagnée de ce rappel en préalable :

Rappelons qu'une "leçon de lecture" a comme seul objectif, d’aider les enfants à entrer dans une compréhension fine du texte, aux deux niveaux de cette compréhension, quand il s’agit d’un texte littéraire :
1- comprendre l’histoire racontée : ce que dit le texte ;
2- comprendre la manière dont elle est racontée, l’écriture du texte.


Question1 : Selon vous, dans cette nouvelle, tirée des « Histoires Pressées » de Bernard Friot, en quoi consiste cette double compréhension, et où se trouvent, pour des enfants de CM1, les principales difficultés, pour y entrer ? Si vous aviez à faire ce travail, qu’est-ce qui vous semblerait important de leur faire découvrir ?

Les trois réponses que je propose à votre bienveillante attention, sont recopiées telles qu'elles sont présentées sur la copie, avec la ponctuation d'origine. Seules les erreurs d'orthographe ont été rectifiées.

Réponse 1 : Cette double compréhension consiste à aider les élèves à maîtriser la langue française à la fois à l'oral pour comprendre ce que raconte l'histoire et à l'écrit notamment pour des élèves au CM, qui doivent, dans ce cycle (cycle de consolidation) avoir pour objectif l'acquisition de la lecture. Les difficultés que les élèves peuvent rencontrer pour maîtriser la langue française à l'oral sont une mauvaise compréhension des mots, leur structure, leur sens. Les élèves ne comprennent pas forcément ce qu'ils lisent, même s'ils maîtrisent parfaitement la lecture orale.
Leurs opinions, leurs pensées peuvent aussi être différentes de celles de l'auteur. Que comprennent-ils ?
Selon moi, ce qui me semble important de leur faire découvrir c'est d'une part, le vocabulaire des mots rencontrés dans le texte et d'autre part, faire comprendre qu'il y a une chronologie dans chaque texte qu'on lit.
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Réponse 2 : Cette nouvelle est une histoire avec une intrigue, dès le début, on ne sait pas à qui parle le narrateur, ce n'est pas juste une histoire simple sans réflexion. Dans cette nouvelle, l'élève enchaîne les questionnements jusqu'à arriver à la chute de l'histoire. Comprendre juste l'histoire racontée ne suffit donc pas à comprendre l'intégralité de ce genre de nouvelle.
Afin de s'imprégner du suspense, il faut aussi comprendre comment et de quelle manière doit être racontée cette histoire. Et c'est la principale difficulté que peut rencontrer l'élève.
D'autre part, l'autre difficulté que peut rencontrer l'élève est de ne pas arriver à identifier correctement à qui parle le narrateur.
Si j'avais fait ce travail, il m'aurait semblé important de leur faire découvrir la façon dont l'auteur humanise l'animal, ce qui appuie la relation avec le narrateur et ce qui aussi au début de la nouvelle ne nous permet pas tout de suite d'identifier le deuxième personnage
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Réponse 3: L'intérêt de mettre en jeu la double compréhension au sein d'une même séquence est de travailler dans un premier temps, notamment lors de la première phase de la séance 1 tout ce qui a trait à la compréhension globale et littérale du texte.
En effet suite à la découverte du support, les éventuels problèmes de vocabulaire peuvent être enrayés tout comme d'éventuelles lacunes en termes de connaissances personnelles. Le décodage grapho-phonologique est également travaillé comme le recommandent les programmes 2015 afin de tendre toujours plus vers la fluence.
Concernant les difficultés potentielles que les élèves peuvent rencontrer, on remarque que, pour cette nouvelle, les difficultés en jeu se situent plutôt au niveau des opérations cognitives. En effet la structure même du texte impose à l'élève d'être en mesure de sélectionner et hiérarchiser les informations essentielles afin de pouvoir rendre compte du récit.
Si je devais personnellement faire ce travail de double compréhension, je ferais travailler mes élèves sur le fichier d'activités : "je lis ; je comprends en CM1", inspiré des travaux de R. Goigoux, S.Cèbe, J.L. Thomazet et M. Fayol, afin de pouvoir évaluer, dans un premier temps, les besoins de mes élèves, mais aussi en vue de leur donner des outils méthodologiques afin de pouvoir entrer dans une compréhension fine de l'ouvrage.


A vous de jouer !
Sachez que, sans être toutes de cet acabit (heureusement quand même !) les réponses ahurissantes de ce type restent, hélas, majoritaires. Même si d'autres facteurs entrent sans doute en ligne de compte, ne pensez-vous pas que leurs premiers apprentissages et les nombreuses lacunes qu'ils présentent ont pu jouer un rôle essentiel dans ce résultat navrant ?
Au fait, et vous, n'auriez-vous pas, au collège, ou au lycée, voire en fac (mes trois auteurs y sont passées !) des exemples intéressants à nous offrir ?