Si les programmes 2015-16 ont proposé d'autres termes, ainsi évacués par le Ministre, c'était pour clarifier un peu les choses : le moindre petit sondage autour de nous, auprès de personnes, même cultivées et diplômées, sur ce que signifient ces célèbres sigles est une preuve éclatante de ce qu'ils sont certes bien connus, mais sans être compris le moins du monde.

D'abord, savoir de quoi on parle : ces mots de la grammaire, en réalité, qu'est-ce que c'est ?

Ils appartiennent à la grande famille des termes scientifiques, techniques, qui servent à désigner les notions et concepts que les chercheurs ont découverts en analysant les phénomènes qui entourent notre vie, et auxquels il faut donner un nom pour qu'on puisse s'en servir.
Pour ce faire, ils ont le choix entre deux directions :
* ou bien ils se servent des mots existants auxquels ils donnent un sens de plus, celui de désigner la notion découverte : c'est ce qui se passe avec des mots comme "sujet", "droite", "énergie", "moins", "masse", "voix", etc.
* ou bien ils inventent carrément un mot, qui a alors la particularité de n'avoir qu'un seul sens, celui de désigner la notion ou le concept en question, comme "perpendiculaire", "prédicat", "phonème", "asymptotique", etc.

Le premier moyen, qui passe pour plus facile, puisqu'il utilise des mots que les enfants connaissent, est en fait le plus mauvais. La connaissance qu'il ont du MOT choisi, fait écran à la compréhension du sens scientifique de ce mot et nuit gravement à la construction par eux des notions et concepts qu'il est censé désigner.
Bien préférable est le second, mais à condition qu'il soit LISIBLE par les enfants : la grammaire, c'est dès le CE1 qu'on en fait.
Lisible par des enfants, cela veut dire :
1- que les mots utilisés aident à comprendre les notions, donc qu'ils se présentent comme un sorte de traduction lisible de celles-ci ;
2- qu'ils ne présentent aucune ambiguïté, donc qu'ils ne puissent pas s'appliquer à autre chose que la notion.

Ces conditions sont d'autant plus nécessaires qu'il s'agit, pour la grammaire, d'analyser la langue et son fonctionnement — en quelque sorte, des mots pour parler des mots, un langage pour parler du langage, donc un MÉTALANGAGE.

Parmi les mots proposés récemment, l'un d'eux a suscité de grands remous : le mot "prédicat".
Il est facile de voir qu'il ne remplit aucune des deux conditions citées ici. Certes il est sans ambiguïté ; mais comme il n'est compris de personne et que rien dans ce mot n'évoque la notion qu'il traduit, je suis (pour une fois !) d'accord avec le Ministre pour le voir disparaître. Je reviendrai sur la notion que ce terme est censé désigner si cela est demandé.

Mais pourquoi protester contre ces bons vieux COD, COI et consorts, qui ont enchanté (ou assombri) notre enfance et qui gardent le goût délicieux de la nostalgie ?

On sait à quel point les sigles manquent, en général, de clarté. Mais là, pour la grammaire, le fait de savoir que COD veut dire complément d'objet direct et COI, complément d'objet indirect, n'aide pas vraiment à comprendre a fonction exercée par le mot ou groupe de mots dans la phrase.
Par exemple, pour la phrase : le boulanger a invité son ami, si l'enfant doit donner la fonction du groupe de mots "son ami", lui expliquer que la réponse est "complément d'objet direct" ne va sûrement pas éclairer grand chose ! Outre qu'en général on oublie le sens de "complément" en n'ajoutant pas de quel(s) autre(s) mot(s) il est complément, la prétendue précision "d'objet" est plutôt bizarre, surtout ici où il s'agit d'une personne ; enfin l'adjectif "direct" est d'une opacité totale : aucun enfant ne voit ce que ça peut signifier, et le leur dire sera loin d'être suffisant.
La formule est apprise telle quelle, sans être comprise le moins du monde, et répétée mécaniquement, en utilisant la fameuse question "quoi ?". C'est ainsi que devant la phrase "le boulanger travaille la nuit ", cela donne : le boulanger travaille quoi ? La nuit ; donc "la nuit" est, sans états d'âme, qualifiée de "complément d'objet direct".
Où l'on voit que le mot ici empêche complètement la notion de se construire, et habitue l'enfant à dire n'importe quoi, sans réfléchir.
C'est le mot, le responsable, pas l'enfant.

On est en droit de se demander à quoi peuvent bien servir ces rituels scolaires : en quoi, le fait de dire si tel groupe de mots EST ou non un COD, ou un COI, pourrait aider la maîtrise de la langue...
Il est bien évident que de tels mots n'apportent rien à la compréhension de son fonctionnement.

Or, il n'est de maîtrise d'un outil que si l'on sait répondre à deux questions sur cet outil :
1- Comment ça marche ?
2- Pourquoi ça marche comme ça ?

Alors, où va-t-on trouver moyen de le faire, puisque, sans ces réponses, l'objectif de maîtrise ne peut être atteint ?
Qu'en pensent nos lecteurs ?