L'affirmation, selon laquelle la sagesse, en matière d'éducation, exigerait de se recentrer sur l'essentiel, pour pouvoir faire plus de ce qu'on fait depuis toujours, repose sur un certain nombre d'ignorances de ce que sont les élèves et de la manière dont ils apprennent.
Pour ceux qui tiennent ce langage, l'éducation devient le fait de "traiter" les élèves comme des sujets inertes, en les façonnant, avec autorité et suivant une logique rigoureuse, pas à pas, pour les remplir de savoirs tout faits, d'abord très simples qui se complexifieront petit à petit, en fonction des possibilités personnelles de chacun d'entre eux.
Comme on n'a pas de temps à perdre, et qu'il y a des économies à faire, il suffit de doubler la ration des savoirs "simples", dits "de base", pour qu'ils entrent mieux et plus durablement dans leurs têtes.
L'intérêt de ce "minimum vital", outre son prix modique et l'existence sur place d'outils de transmission rapide qui économisent la recherche, devenue inutile, est qu'il n'encombre pas la tête de certains indésirables avec des savoirs subversifs qui ne les concernent pas, et dont ils ne feraient qu'un usage désastreux pour ceux qui dirigent : en fait, c'est pour ces derniers que ce minimum est "vital".

Problème : les élèves ne sont pas des être vides à remplir, ce sont des personnes, des partenaires du grand jeu éducatif, et qui ne se laissent pas faire. Ils ont un fonctionnement spécifique, une expérience de la vie à eux, des souvenirs, des rêves, et des savoirs acquis depuis leur naissance, et même avant, autant de données incontournables, auxquelles il faut ajouter le droit de dire non au jeu en question. Leurs savoirs, n'en déplaise à ceux que cela fait ricaner, ils les ont construits, à leur manière, et ne les ont pas reçus tout faits.
Il est amusant de voir comme les partisans, les plus farouches, d'une transmission imposée de savoirs préemballés, sont ceux-là mêmes qui se glorifient d'avoir construit tout seuls leur fortune, sans l'avoir reçue telle quelle en héritage : curieuse contradiction si l'on songe que la culture est tout de même la plus importante des richesses !

Autre aspect du problème : ces enfants que sont nos élèves, ont reçu, à leur naissance, des aptitudes physiques et sensorielles, différentes pour les uns et les autres. Ce sont les seules différences héréditaires qui les séparent, car les potentialités intellectuelles, elles, sont les même pour tous : c'est l'éducation qui les développera, ou non, en fonction des stimulations qu'elle leur permettra de recevoir.
Or, les savoirs s'acquièrent d'abord par les sens, et ceux-ci étant différemment distribués chez les enfants, il s'ensuit que les "profils d'apprentissage" pour reprendre la formule d'Antoine de la Garanderie, sont différents d'un enfant à l'autre, et qu'il faut permettre à chacun de trouver la porte sensorielle qui le conduira au savoir.
Cela signifie que les disciplines, qui mettent en jeu les sens, sont les premières et les plus importantes — plus que les prétendues fondamentales : l'EPS, ou plutôt la motricité, la musique, les arts, visuels et autres, qui, loin d'être des moments de détente pour quand on a du temps de reste, sont absolument essentielles à l'acquisition de celles-là. C'est par le corps que les savoirs s'acquièrent pour les tout petits, et cela reste vrai bien au-delà de la maternelle. Pour beaucoup, la musique est la meilleure façon d'entrer dans les maths. Et les capacités d'observation que demandent les sciences du même nom, mais aussi l'orthographe, et l'étude du fonctionnement de la langue, sont développées et affûtées par les arts visuels.

Mettre le paquet sur le français, en tant que discipline à "digérer" en premier, pour que les enfants puissent s'exprimer mieux, est une erreur majeure : ce n'est pas en apprenant des règles de grammaire et d'orthographe, ou en apprenant des mots de vocabulaire qu'on maîtrise une langue : c'est en communiquant, dans des situations effectives de jeu ou de travail, et en observant ce qui se passe dans ces communications, pour en comprendre le fonctionnement. Or, de la communication, on en a en quantité dans les disciplines autres que le français, surtout si les enfants travaillent en petits groupes solidaires.
Il faut être bien limité intellectuellement, pour ne pas le savoir.

Certes, on ne demande pas à un gouvernement, actuel ou futur, de définir une pédagogie : ce n'est pas son travail et il n'en a pas la compétence. En revanche, on attend d'un futur président, qui affirme, comme presque tous ses collègues-candidats, vouloir défendre la démocratie, qu'il manifeste au moins le désir de voir l'école la faire vivre pour l'enseigner à tous, qu'il dise souhaiter voir disparaître l'esprit de compétition des classes, au profit d'un travail d'équipe, pour les élèves et pour leurs enseignants, et qu'il prévoie d'orienter en ce sens la formation de ces derniers.
Les véritables "fondamentaux" de l'école sont là.
C'est par là qu'il fallait commencer pour mettre en route la refondation de l'école.
Il en fut fait autrement, et l'on en connaît le résultat.
Quant à démolir les timides réformes proposées, tant pour le collège que pour le primaire, pas sûr du tout que cela n'aggravera pas les choses.

Allez ! Bon dimanche de vote à tous !
Et souhaitons que le gagnant du concours soit visité par les mânes des Jean Zay, Célestin Freinet, Johann Pestalozzi et Maria Deraisme, Pauline Kergomard, Henri Marion, Sébastien Faure et John Dewey, Maria Montessori et Alain, Ovide Decroly, Janusch Korczak, Henri Wallon, Germaine Tortel, Jean Piaget et Lev Semionovitch Vygostski, sans oublier Robert Gloton et Louis Legrand qui fut mon maître, et tant d'autres que vous trouverez, dans l'une des richissimes pages du site de Philippe :
http://www.meirieu.com/PATRIMOINE/lespedagogues.htm
Un site qu'on ne se lasse pas d'explorer ! Merci Philippe !