Il y eut surtout quelques moments navrants, notamment celui où monsieur Bentolila a osé dire à Franck Lepage, qui venait de s'exprimer avec peut-être un peu trop de passion — bien compréhensible au vu du niveau des débats — que ses propos étaient "d'une ringardise absolue", réponse non seulement discourtoise, mais proprement odieuse dans son mépris et parfaitement injuste.
Heureusement, la voix de la compétence, celle de Nathalie Mons, s'est aussitôt élevée pour souligner, à l'aide des résultats relevés par PISA, ce qu'il y avait de juste, dans les propos de ce "dinosaure soixante-huitard" (formule de P.H.Allain dans Libération).
Il est vrai que le débat avait fort mal commencé avec l'annonce de l'animateur, selon lequel il était question de supprimer les notes pour les remplacer par de nouvelles formes d'évaluation plus bienveillante. L'adjectif d'emblée a faussé la discussion, malgré la réaction saine de l'écrivain de la soirée, Solange Bied Charreton, qui a rappelé opportunément qu'une évaluation n'a pas à être suivie d'un adjectif (une évaluation, c'est une évaluation, un point c'est tout, a-t-elle déclaré), et personne n'en a relevé la profonde absurdité.
L'intervention de Franck Lepage avait au moins apporté la possibilité de quitter cet adjectif, porteur de connotations discutables, renvoyant l'échec à la seule responsabilité de l'élève avec des relents de vague charité méprisante, pour lui opposer celui de "social", qui plaçait la question de l'échec scolaire sur un terrain, décrit depuis longtemps comme peu contestable par des chercheurs, qui n'étaient pas tous des des "baba-cool". Mais la triste intervention de monsieur Bentolila à fermé la porte à tout argument un peu sérieux et rigoureux sur la question : on est resté au fait que les notes seraient décourageantes, et, sans avoir avancé d'un pas, on est passé aux autres sujets prévus.

Pourtant, si leur disparition est demandée depuis des années, ce n'est évidemment pas parce qu'elles seraient "méchantes" ou "décourageantes", comme cela fut dit et redit au cours de l'émission — si réel que cela soit ! — mais parce que les notes NE SONT PAS UNE ÉVALUATION DU TRAVAIL ACCOMPLI, et qu'aucune amélioration ou aucun remplacement par autre chose (lettres ou couleurs) ne leur permettrait d'en être une.
Et si les parents s'obstinent à la demander, c'est parce qu'ils sont victimes d'une arnaque à l'allure de lavage de cerveau, hypnotisés qu'ils sont par l'allure faussement rigoureuse du nombre des points obtenus
Nous sommes revenus à plusieurs reprises sur ce sujet dans ce blog pour rappeler ce qu'est une évaluation, et pourquoi, les notes sont impuissantes à la traduire.
Voici ce que j'écrivais à ce sujet, en juin 2012 :

Evaluer, dit-on, c'est mesurer, et mesurer, c'est comparer.
Donc, quand on veut évaluer un résultat, il faut savoir à quoi on doit le comparer.
Deux choix sont possibles :
ou bien, on compare l'état obtenu à l'état initial,
ou bien on le compare à une norme préétablie.
Par exemple, si je demande qu'on me fabrique une table de 2,50 mètres de long, l'évaluation de la construction consistera à vérifier que la dimension de la table achevée est bien celle qui était prévue au départ : la comparaison se fait avec la norme préalablement posée.
Il est clair que ce mode d'évaluation a d'énormes avantages. Net, rigoureux, le résultat en est incontestable. D'où la conviction qu'il est supérieur, voire, le seul à retenir. C'est pour cette raison, entre autres, qu'il est pratiqué depuis toujours à l'école. Et, du coup, on mesure les élèves comme on mesure la table, avec des données chiffrées qui, en plus, "font scientifique".
L'ennui, outre qu'il semble bien déraisonnable d'évaluer des élèves comme des objets, c'est que la norme en question reste parfaitement implicite. Pas besoin de chercher plus loin : ce "n'importe quoi" que sont les notes comme les évaluations scolaires qu'elles prétendent traduire n'a d'autre cause que le recours à des des normes purement pifométriques, jamais explicitées et introuvables.
Et si elles sont introuvables, c'est qu'elles sont impossibles et impensables : les enfants ne sont pas des meubles ; ce sont des êtres humains, dont, quelle que soit l'importance de ce qui leur est commun à tous, chaque spécimen est unique et ne peut pas correspondre à des normes préétablies.

Surtout, on refuse de voir que la note n'est pas — ne PEUT PAS ÊTRE — un instrument de mesure : aucun étalonnage n'existe qui lui permettrait d'avoir ce titre. Quand ils sont de bonne foi et lucides, les professeurs savent bien qu'ils notent n'importe comment. Oh ! Bien sûr, ils sont persuadés du contraire, ou plutôt ils s'en persuadent, en refusant de voir la réalité en face. Mais, qu'il y ait ou non un barême, cette espèce d'étalonnage qui tente désespérément de rendre l'estimation raisonnable, chacun sait parfaitement (et c'est pour cela qu'ils ne le font guère) que s'ils relisent le lendemain les copies corrigées la veille, ils ne mettront jamais la même note (ni les mêmes appréciations).
La bonne ou la mauvaise humeur du jour influent considérablement sur la manière de noter — notamment en français ou en philo, mais les études de docimologie ont prouvé que même en matières scientifiques c'est la même chose.
La place d'une copie dans le paquet n'est jamais innocente : selon qu'elle suit une bonne ou une mauvaise copie, l'opinion du correcteur varie.
La fatigue, est aussi un facteur de variation indépendante que l'on ne maîtrise guère. Je me suis personnellement rendu compte que, contrairement à certains collègues qui reconnaissent avoir la fatigue "sévère", chez moi, elle est plutôt indulgente : lorsque je vois que je viens de mettre 10,5 ou 11 à cinq ou six copies de suite, c'est un signal qu'il me faut arrêter et que j'en suis au "n'importe quoi, pourvu que ça finisse bientôt ", moment bien connu des collègues.
Comment attacher la moindre valeur à une pratique pareille ?

C'est pourquoi, à l'école, l'évaluation ne peut se faire que sur l'autre modèle : comparer le résultat obtenu à l'état initial. A l'école, comme ailleurs, évaluer des compétences, cela ne peut être autre chose qu'évaluer les PROGRÈS de ces compétences.
On remarque, au passage que cela n'a rien à voir avec des APPRÉCIATIONS, dont l'un des participants, le professeur de lycée, affirmait qu'elles rendaient la note fiable et informative. Bien ou mal formulées, des appréciations sont des JUGEMENTS. Et l'on n'a aucun droit de juger les élèves, pas plus que quiconque. La tâche d'un enseignant est de provoquer des progrès dans les compétences de ses élèves, donc de les mesurer. Le but de l'évaluation, ce sont les progrès des élèves, non les élèves eux-mêmes.
Or, comme l'élève est un être humain, formule plutôt évidente, mais fort oubliée en général, il est impossible que l'on puisse mesurer de l'extérieur ses compétences : un être humain ne peut être observé, "mesuré", évalué, comme un objet : on n'évalue pas un être humain sans lui.
En toute logique, il ne peut y avoir à l'école que des évaluations PARTICIPATIVES, menées avec les élèves, lors de séances de régulation collective, où sont confrontés les trois regards concernés par les progrès de chacun : celui de l'élève, celui de l'enseignant et celui des pairs, souvent d'une grande justesse.

Une des conséquences de cette conception de l'évaluation est qu'elle ne peut plus être affectée à chaque production des élèves : on ne peut évaluer en même temps qu'on travaille. Si l'on note chaque devoir, chaque production des élèves, cela veut dire qu'on ne travaille jamais à apprendre et que le rôle essentiel de l'erreur dans la construction du savoir est nié. Donc qu'on empêche les élèves de progresser... Il me semble que, compte tenu de la fonction dévolue à un enseignant, cela frôle la faute professionnelle.

Quant aux moyens de traduire les constats formulés lors de ces régulations, pour les transmettre aux parents des élèves de façon à la fois juste et facilement compréhensible, il importe de les définir en fonction des situations. Divers moyens sont possibles, placer le compte-rendu de la régulation dans le cahier de liaison avec le famille, le préciser de graphiques faisant apparaître les progrès de l'élève concerné, voire de "notes", pourvu qu'elles aient été élaborées avec l'élève lui-même.
Enfin, je rappelle que le meilleur moyen d'éviter l'aspect "décourageant" de toute évaluation, quand elle n'est pas aussi satisfaisante qu'on le voudrait, on le trouve dans deux décisions d'organisation du travail :
1- le travail de groupe, qui partage les responsabilités et diminue considérablement les difficultés personnelles des élèves,
2- la rareté des moments d'évaluation, qui laisse à tous le temps de digérer ce qui a été appris, et la possibilité d'en connaître les dates longtemps à l'avance.

Ces décisions ne demandent aucun moyens particuliers...
Juste un peu de respect pour les élèves...
Mais ce doit être une proposition d'une ringardise absolue, n'est-ce pas ?