Pas facile de rester "de gauche", quand il s'agit de l'école...
Par Eveline, vendredi 15 mars 2013 à 15:56 :: Education, Ecole et Pédagogie :: #217 :: rss
L'article 1 du projet de loi sur la refondation de l'école définissant les grandes orientations du texte, qui a été voté la nuit dernière par l'assemblée, n'est pas vraiment rassurant. Deux des propositions importantes de la refondation ont été rejetées : la suppression des notes à l'école primaire, ainsi que celle du redoublement ; et cela par une assemblée que l'on pensait majoritairement de gauche... Comme quoi...
Soyons justes, ces rejets n'ont rien de franc. Chèvres et choux peuvent y trouver quelques miettes de satisfaction : il y est concédé que le redoublement ne pourra être "qu'exceptionnel" (??), et, pour ce qui est des notes, la volonté est affirmée de "faire évoluer (??) les modalités d'évaluation et de notation des élèves"...
Outre qu'on voit mal comment on pourrait faire évoluer la notation, si la chose est conservée, la frilosité trouillarde, tristement électoraliste, que ce vote révèle prouve aussi que la droite n'a pas été seule à obtenir ces rejets.
Et donc, cela veut dire que l'école de la Démocratie — ou plutôt, l'école POUR la Démocratie, formule de Ph. Meirieu, avec une préposition admirable qui dit l'essentiel — n'est pas pour demain.
Aussi, ne résisterai-je pas au plaisir de diffuser ce commentaire cinglant que Laurent Carle vient de m'envoyer :
Bravo !
On ne va tout de même pas introduire la pédagogie dans les classes et renoncer à la sélection par les notes, ce serait une mesure de gauche qui donnerait aux enfants du peuple la possibilité de s’instruire. On n’aurait plus à « lutter contre l’échec scolaire ». Ce serait du populisme et de la démagogie. La droite, l’extrême droite et SOS Education, comme pour le mariage « gay », ne seraient pas d’accord et les syndicats feraient des manifs pour défendre le droit des profs à noter. Il ne faut pas exagérer, tout de même ! On a besoin de postes pour alléger les effectifs et rendre les classes plus homogènes, pas de pédagogie ! Les feignants n’ont qu’à « bien » travailler pour « réussir » - pour bien se classer — malgré les barrages et les traquenards. Et s’ils ne le font pas, qu’ils redoublent ! Les classes n’en seront que plus homogènes.
La culture est un domaine réservé, les diplômes ne doivent pas être bradés. Les chômeurs n’ont pas besoin de savoir lire. Les Français n’ont pas voté pour le « changement ». Les classes « supérieures » doivent protéger leurs privilèges et leurs avantages « acquis », dès le plus jeune âge. Ne laissons pas les enfants du peuple obtenir l’égalité d’accès aux savoirs ! Ils pourraient finir par obtenir la majorité à l’Assemblée et voter le changement.
Par delà ces lâchetés politiciennes et ces timidités politiques qui freinent dans les virages, ce qui reste le plus aberrant — et inquiétant — c'est l'absence de réflexion raisonnable et de bon sens qui préside à ce type de choix.
Pour ce qui est du redoublement, qui fut évoqué il y peu :
http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2012/10/16/211-le-redoublement-bientot-un-mauvais-souvenir
je me contenterai de citer le journal le Figaro (une fois n'est pas coutume !), qui, dans un article du 18 février 2011 écrivait cette jolie phrase : Aucun chercheur ne conteste son inutilité.
Mais pour ce qui est des notes à l'école primaire, il est impossible de comprendre comment on peut défendre une pratique dont on sait qu'elle ne correspond à rien de sérieux, qu'elle dépend absolument de l'humeur du correcteur, de sa fatigue ou de ses a priori. Depuis des années il est démontré que les écarts de notes pour une même copie peuvent être énormes, qu'aucun barème n'arrive à atténuer ces flottements (les expériences de docimologie portant sur des copies scientifiques avec barème précis l'ont abondamment prouvé). Tout enseignant sait bien qu'il vaut mieux ne pas relire le paquet de copies qu'il vient de corriger : il risquerait fort d'avoir tout à recommencer.
Qu'elles soient bonnes ou non, les notes sont une catastrophe pour les élèves : mauvaises, elles lui collent sur le front l'étiquette destructrice d'élève en difficultés ; bonnes, elles le trompent sur ses progrès réels : le plus souvent, elles ne sont que le résultat d'un a priori positif de l'enseignant sur lui, ou d'un savoir déjà là de l'élève. Dans les deux cas, elles n'apportent aucune information sur l'élève.
Elles sont tout aussi catastrophiques pour l'enseignant qui perd des heures précieuses à noter dans les marges des copies ou des cahiers des appréciations qui ne servent à rien. Cette pratique d'une lourdeur effarante, gâche le métier, crée une fatigue inutile, et empêche de consacrer le temps nécessaire au travail d'équipe et à la construction de nouvelles situations pédagogiques, plus efficaces.
Ce travail solitaire de "correction" (songez à la polysémie de ce terme... !), qui confond "évaluation" et "contrôle", loin des élèves, est une absurdité : c'est en classe et ensemble qu'on doit corriger : la correction est partie intégrante du processus d'apprentissage.
Quant à prétendre que les parents en auraient besoin, respecter une demande qui repose sur une évidente ignorance de ce que sont les notes à l'école, c'est une véritable insulte à leur égard, un acte de mépris pour eux et pour leurs enfants.
Je ne peux que rappeler ce que je disais déjà en novembre 2010 :
Il est facile d'informer les parents autrement, de façon plus précise, par les comptes-rendus des séances de régulation qui accompagnent chaque moment d'évaluation formative, par des opérations "portes ouvertes", par des films tournés en classe, où ils peuvent voir leurs enfants travailler (et non voir un enseignant faire son show de cours magistral), etc.. Cela a déjà été fait, avec bonheur, et depuis longtemps, chez des gens venus de Freinet ou de l'INRP (1). On peut le vérifier dans leurs publications.
Qu'attend-on pour s'en informer ??
Qu'attend-on pour faire disparaître cette caricature de mathématiques, qui trompe tout le monde ?
Et si l'on objecte que certains enfants voient dans le désir d'une bonne note un moyen d'encourager leur travail, comment tous nos obsédés d'une formation morale de haut niveau peuvent-ils s'accommoder d'une telle motivation, immorale au plus haut point ?
Il est vrai que, dans une société où la perspective d'une récompense est présentée comme la solution miracle à la démotivation, celle d'une punition, comme la meilleure dissuasion aux désobéissances, que peut signifier l'expression "éducation morale" ?
"On vit une époque formidable" disait Reiser, qui savait ce qu'il disait...
Et si vous n'êtes pas convaincus, allez faire un tour sur le site de Charles Pepinster : http://www.panote.org
(1) Et cela continue à se faire dans des collèges courageux comme, entre autres, celui de la Marquisanne à Toulon.
Commentaires
1. Le samedi 16 mars 2013 à 17:49, par Pierre Frackowiak
2. Le samedi 16 mars 2013 à 21:26, par Bruno Martin
3. Le dimanche 17 mars 2013 à 00:33, par Lionel Jeanjeau
4. Le dimanche 17 mars 2013 à 14:45, par Laurent CARLE
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