(1) Sur le site de Daniel Calin http://dcalin.fr/publications/carle38.html
et sur le forum de Philippe Meirieu http://www.meirieu.com/FORUM/forumsommaire.htm

En ces temps de campagne électorale, les formules sonnantes, voire tambourinantes, résonnent en effet joyeusement, de toutes parts. Notamment à propos de l'école. On décortique les programmes de tout bord, à la recherche de mesures précises, concrètes, de nature à "réinventer l'école", selon le titre d'un débat publié l'an dernier dans le Monde. On ne les trouve pas toujours, mais ce qu'on trouve toujours, ce sont des formules.
Une des les plus utilisées est celle de l'égalité des chances qu'il faudrait promouvoir, car, selon F. Dubet, elle apparaît comme la figure dominante de la justice sociale et c'est elle qui symbolise aux yeux de beaucoup, justement ce qu'on appelle une école démocratique.
L'expression n'est pas neuve, et passe volontiers pour consensuelle : depuis les année 50, on la trouve périodiquement dans les écrits sur l'école, aussi bien ceux de droite que ceux de gauche. On se souvient, entre autres, du volumineux et excellent dossier proposé sur le site des Cahiers Pédagogiques, n°467 en 2008.
http://www.cahiers-pedagogiques.com/spip.php?article3984

Or, ce dossier fait apparaître des réserves importantes à propos de cette notion : François Dubet, Denis Meuret, Francis Denvers soulignent des contradictions, voire des dangers, provoqués par le souci d'installer un tel type "d'égalité".

En fait, si la formule semble plaire à tous, dès qu'on s'interroge sur son sens, les divergences apparaissent.
(Le sens des mots, monsieur ! Toujours le sens des mots ! Quand travaillera-t-on enfin le vocabulaire en classe de façon intelligente ?)

Il faut donc creuser un peu.

Pour la plupart de ceux qui prônent l'égalité des chances, l'image sous-jacente est celle du rêve américain, celle d'une société qui a aboli les castes, tant officielles que mentales, permettant enfin à tout un chacun, quelle que soit la pauvreté de sa condition de naissance, d'accéder aux plus hauts postes et aux plus grandes fortunes. Et il est bien vrai que ce rêve est loin d'être une réalité partout : rares sont encore, dans nos pays occidentaux tellement libérés, les princes qui épousent des bergères, et plus rares encore les princesses qui épousent des ouvriers sans qualification : la grande bourgeoise qui fricote avec son domestique dégage toujours et partout un parfum de scandale, parfois émoustillant, mais, pour beaucoup encore aujourd'hui, inadmissible moralement.
Quoiqu'il en soit, si l'on creuse tant soit peu la chose, il apparaît alors que, si l'on admet cette interprétation de la formule,
* primo, l'école n'y est pas pour grand-chose...
* secondo, même si l'on songe à l'Instit au grand cœur qui a perçu, dans tel élève de famille misérable, des qualités exceptionnelles qui l'ont conduit à "pousser", comme on dit, ce gamin à faire des études et à devenir avocat, on n'est pas vraiment pour autant dans un système scolaire démocratique. On reste toujours dans une école qui trie le bon grain de l'ivraie, au nom d'une conception du "mérite", posé comme inhérent à la personne, dont on ne cherche pas à savoir d'où il peut venir. La philosophie du "qui veut peut", parfaitement contradictoire avec les principes de la démocratie.
Du reste, François Dubet constate, dans le dossier cité, que les efforts en ce sens, par exemple, l'ouverture de grandes écoles à des étudiants qui en avaient longtemps été exclus, a permis de déplacer le niveau scolaire vers le haut, sans bousculer profondément la structure des inégalités. Et il ajoute : De fait, l'égalité des chances méritocratique est dominée par un tropisme élitiste. C'est exactement ce que rappelle fortement Laurent dans l'article cité plus haut : La déclaration de l’égalité des chances légalise la condamnation des perdants qui n’auraient pas su saisir la leur. C'est aussi ce qu'affirme Jean-Yves Rochex, dans un entretien accordé à l'Huma, le 15 janvier 2012 : La conception méritocratique et individualiste de l'égalité des chances est tout le contraire d'une politique de lutte contre les inégalités scolaires.

Pourtant, il est clair que cette formule peut avoir un autre sens, qui concerne hautement l'école et doit s'inscrire dans les objectifs d'une école démocratique.

Il faut commencer par débarrasser le mot "chances" de ses relations étroites avec la notion de "hasard" : si l'on reste sur ce sens, on peut dire, comme la pub le martèle, qu'on a une absolue égalité de chances quand on joue au loto !
En fait, ce ne sont pas des "chances" qui doivent être égales pour tous, mais des moyens.
L'école n'a pas seulement comme devoir d'ouvrir les portes des études supérieures, elle a le devoir d'équiper TOUS les élèves des cartes, boussoles et matériel nécessaire pour en trouver la route et y entrer.
Et lorsqu'on parle d'études supérieures, il ne s'agit pas seulement de Normale Sup', ou de Polytechnique, mais de TOUTES LES ÉTUDES PROFESSIONNELLES, en cessant de vanter, comme on le fait, non sans quelque commisération, les "métiers manuels", les "intelligences manuelles", par opposition aux "intelligences conceptuelles" : il y a autant de connaissances théoriques pour être maçon que pour être prof de maths. Ce ne sont pas les mêmes, mais elles sont autant "intellectuelles" les unes que les autres.
Le problème, c'est que dès le début on a prétendu que tous les enfants ne pouvaient accéder à la conceptualisation, ce qui est faux : tous les enfants le peuvent, à condition que l'abstraction, — qui est un nom d'action et signifie "le fait d'abstraire", — soit présentée en tant qu'action, et non imposée abstraitement. Si les enfants ont à agir, et si on les fait réfléchir en petits groupes sur ce qu'ils ont fait, tous sont capables de comprendre ce qui s'est passé, d'en dégager des règles et des principes, donc d'abstraire. C'est l'enseignement frontal qui fait croire le contraire.
Il faut donc supprimer cette façon d'enseigner. Précisons d'emblée, avant que ne s'élèvent des protestations bien connues sur ce sujet, que supprimer l'enseignement frontal, ce n'est en rien priver le professeur de parole. Simplement, ce n'est pas par elle que le cours doit commencer : toute explication qui ne répond pas à une demande, n'est ni comprise, ni même entendue...

Ensuite, si l'on veut que tous les enfants soient équipés pour réussir, il faut que la classe soit organisée de façon démocratique, que les élèves y soient reçus en tant que personne et en tant que citoyens.
Il faut aussi que le projet d'apprendre soit clair, et qu'ils puissent découvrir à quoi va servir ce qu'ils ont à apprendre ; que les contenus du programme soient connus dès le début, afin que les enfants sachent où ils vont...
Il faut que leurs acquis soient testés en vraie grandeur dans des projets sociaux, où ils peuvent puiser leur motivation d'apprendre et où ils peuvent comprendre à quoi leur sert de le faire.
Il faut que l'évaluation des apprentissages soit une évaluation participative, pour être réellement formative.
Il faut enfin que cessent ces perversions — elles creusent les inégalités entre élèves et fabriquent l'échec de trop d'enfants — que sont les notes, les classements, les menaces et les sanctions.
Il faut que règne à l'école solidarité, entraide et responsabilité partagée ; que les problèmes de groupes soient traités par le groupe, dont l'enseignant fait certes partie, mais dont il n'est ni propriétaire, ni chef : il en est à la fois le responsable et la personne-ressource, pour les apprentissages et pour la vie dans la classe.

Bref, il faut, comme le disait un précédent billet, que les enseignants s'y prennent autrement.

Il faut donc qu'ils aient APPRIS à faire autrement....
Suivez mon regard !