Ce qui paraît grave dans le cas de Grandet ici et qui dépasse en fait le symbole de l'avarice pure, c'est ce glissement pathologique de valeurs, qui fait de ce qui n'est qu'un moyen d'atteindre un but, le but lui-même.
L'or qui n'est jamais qu'un moyen d'obtenir autre chose, d'agréable, notamment de la chaleur quand il fait froid, devient à ce moment pour lui la seule chose agréable, celle qui, sans feu, parvient à "réchauffer". Phénomène étrange, qui occulte toute intelligence de ce qui se passe réellement.
Parallèle parfait avec les évaluations nationales CM2, même si les choses y sont un peu plus compliquées.

Un moyen d'atteindre un but, une évaluation en est un un sans conteste. Sauf que le but peut être ici double :
* soit il s'agit de certifier un niveau de compétences nécessaire pour exercer des activités, une profession ou de nouvelles études ;
* soit il s'agit d'informer sur l'état du travail d'enseignement, la manière dont il est vécu par les élèves, ce qu'ils en retiennent et comment il faudrait l'améliorer.
L'objet à observer n'est pas le même : ou bien je regarde le résultat du travail d'enseignement, ou bien je regarde le travail d'enseignement lui-même.

Un peu de vocabulaire, pour clarifier les choses.
* Si c'est le premier de ces buts que l'on vise, on parle d'évaluation sommative, caractérisées par le fait qu'elles terminent un cycle d'enseignement (le résultat est en général à la fin...), qu'elles sont nécessairement sans nuances (ce sont des "Ausweiss", qui disent oui ou non, ça passe ou ça ne passe pas). Caractérisées également par le fait qu'elles sont conçues par rapport à ce qui doit suivre : les besoins de la profession, ou ceux du nouveau cycle d'études. Elles peuvent donc être nationales, puisque indépendantes de ce qui a précédé. C'est la tâche des examens diplômants.

* Si c'est le second but, il s'agit alors d'évaluation formative, caractérisée par le fait qu'elle est orientée, non point sur ce qu'on fera de acquis, mais sur la manière de les acquérir, dont elle constitue une régulation nécessaire. Comme cela a déjà été dit, elle débouche nécessairement sur une remise en question de ce travail, et sur des décisions concernant sont organisation, et ses contenus.
Il est donc évident qu'elle ne peut être qu'interne au travail, conçue par l'équipe des enseignants, en collaboration avec les élèves. Elle est suivie d'un débat collectif avec prise de décision.

Donc, il est impossible de courir ces deux lièvres à la fois. Les évaluations CM2 ne peuvent appartenir ni à l'un ni à l'autre de ces types d'évaluations. Mélange bâtard entre les deux, prétendant donner un "niveau" des élèves (comme s'ils en avaient un ! Faut-il rappeler qu'entre un élève et une éprouvette, il y a quelque différence ?) — et dans ce cas, choisir le mois de janvier est ridicule — et, au même moment, être une pause formative pour les enseignants, ces évaluations pataugent dans un joyeux salmigondis de contradictions.
Le caractère national des épreuves est incompatible avec une pause formative et le choix de la date, incompatible avec une certification quelle qu'elle soit.
Elles sont une caricature vide de ce qu'on appelle une évaluation.

Oui, mais voilà, elles "réchauffent" elles aussi. Certes, pas un Grandet du Ministère, non, c'est l'opinion publique qu'elles réchauffent.
Inutile de s'occuper de ce à quoi elles servent : c'est sans intérêt, trop compliqué à expliquer : "z"ont pas besoin de savoir !".
Elles sont en fait devenues leur propre but : exister pour prouver qu'elles existent et rassurer l'opinion.
Stratégie politicienne, qui se sert des faiblesses argumentatives de la plupart des adultes — soigneusement privés de cette compétence par l'école qui n'en parle jamais — pour manipuler l'opinion, et lui imposer un raisonnement vicieux. Si l'on évalue, c'est qu'on travaille et qu'on est sérieux. Et si ces évaluations ne sont pas satisfaisantes, c'est que les agents du travail, enseignants et élèves, ont mal travaillé et sont mauvais. Heureusement, l'Etat, lui, veille et saura faire ce qu'il convient de faire pour que cela ne se reproduise plus.
Image rassurante d'un état fort, à qui rien n'échappe, et qui châtie avec justice les écarts inadmissibles au fonctionnement décidé.

Pas vraiment démocratique, cette porte ouverte à la soumission, qui apparaît aussi comme une sorte de brasier sournois qui, sans en avoir l'air, chauffe doucement l'eau où nage la grenouille que nous sommes..
Impossible à admettre.
Ces caricatures de travail rigoureux, ces manipulations perverses, il faut les dénoncer, les boycotter et annuler ces pseudo-évaluations.
Si l'on ajoute à ces aspects de contrefaçon grossière, les ravages qu'elles risquent de provoquer chez les élèves, culpabilisés par leurs mauvais résultats, chez les collègues, jugés et classés par ces mêmes résultats, chez les parents qui imputeront ces mauvais résultats à la qualité médiocre de l'école, c'est l'image tout entière de l'école publique en France qui en fera les frais, justifiant ainsi sa rapide disparition au profit du privé.
On cherchera en vain ce qui pourrait défendre une décision politicienne de bas étage, aux dangers innombrables.

Comme diraient Stéphane Hessel et Laurent, c'est le moment ou jamais de s'indigner... Et d'agir.
Dans la famille des indignés, et parce qu'il faut unir les forces, appelons aussi Gisèle Halimi à la rescousse : "Ne vous résignez jamais..."

Au fait, merci Balzac !