Le plus affligeant, dans cette annonce, c'est qu'une telle "expérimentation" — qui est tout sauf une expérimentation digne de ce nom ! — repose sur une confusion grave entre deux notions fort différentes : acquisition d'un savoir et mise en œuvre de ce savoir.
L'Education Physique et Sportive, est une situation d'acquisition et de développement des compétences motrices. C'est un moment d'apprentissage.
Le sport, comme toute autre activité physique, est une situation de mise en œuvre de ces compétences motrices.
Du reste, aucun sportif ne confond les moments où il participe à un match et ceux où il travaille à améliorer ses compétences.
Apparemment, nos dirigeants eux, ne sont pas gênés par une telle confusion.
Même si le langage courant traite ces deux termes comme des synonymes, l'on sait bien que faire du sport, ce n'est pas faire de l'EPS. Autant dire que l'on fait de l'éducation physique quand on fait son ménage, ou qu'on court après l'autobus.
Et si l'on affirme que la différence entre les deux est négligeable, alors, on comprend pourquoi l'école est si peu efficace auprès de ceux qui n'ont qu'elle pour s'en sortir, et aussi pourquoi le projet de non-formation des enseignants est si catastrophique.

Ajoutons que sortir l'éducation physique des programmes scolaires, pour en faire la détente de l'après-midi, est une erreur monumentale, une faute impardonnable et presque un crime.
D'abord, il n'est pas évident du tout que l'après-midi doive être réservée aux activités de détente. Depuis des années, les chercheurs ont démontré preuves à l'appui, qu'à certaines conditions, ce moment est excellent pour le travail intellectuel, contrairement aux première heures de la matinée qui n'y sont guère propices : les enfants, qui se sont levés trop tard, parce que couchés trop tard, arrivent au collège les yeux pleins d'oreillers, sans avoir pris le copieux petit déjeuner qui s'impose, et somnolent aux cours de 8 à 9h... Naturellement, ça dure, au-delà de 9 heures !
Ensuite, il a été démontré depuis déjà longtemps que l'intelligence des enfants se développe essentiellement dans des situations de résolution de problèmes et, quand ils sont petits, dans la résolution de problèmes moteurs. Si bien qu'à l'école maternelle, l'EPS est, — et de loin — la discipline la plus importante, et qu'elle doit rester au cœur de tout le travail scolaire jusqu'au CM2 inclus : c'est une discipline fondamentale, n'en déplaise à certains. C'est du travail, autant sinon plus, qu'un cours de maths, et cela n'a rien d'une détente.
Ou plutôt, si l'EPS passe pour en être une, c'est que l'école, qui a toujours ignoré le corps des élèves, considère qu'ils doivent "se tenir tranquilles" pour être "attentifs" au discours du maître. La conséquence est évidemment que, dès qu'on leur donne le droit de courir et de bouger enfin sans se faire houspiller, cela devient pour eux une vraie détente. C'est donc mauvais, autant pour les cours prétendument intellectuels que pour l'EPS, ainsi faussée de ses missions.
En fait, si l'on veut situer l'EPS et le sport, l'un par rapport à l'autre, on se rend compte que ce dernier est, en quelque sorte, la "pédagogie du projet" de l'E.P.S. C'est l'équivalent de l'écriture d'un roman ou de la correspondance scolaire pour le français. Et, pas plus que celles-ci ne peuvent remplacer le travail d'étude du fonctionnement de la langue, le sport ne peut remplacer l'Education Physique et Sportive. Le sport est nécessaire, mais il ne saurait être suffisant.

Quant au fait que seul le sport pourrait développer l'esprit d'équipe, c'est un argument auquel on peut ajouter quelques bémols :
1-même si c'est souvent vrai, le sport est loin d'être le seul à avoir ce pouvoir. Toutes les disciplines le peuvent à condition de faire travailler les élèves en équipes solidaires, dont l'objectif annoncé est que tout le monde réussisse... (Du reste, c'est en groupes solidaires qu'on apprend, et pas tout seul.)
2- pour que ce soit "vraiment vrai", il faut prendre soin d'éviter de développer, à côté, l'esprit de compétition, tellement présent dans l'image véhiculée par les médias et l'on sait que ce n'est pas toujours le cas. Le désir de gagner n'est pas sans danger. Il faut pouvoir l'analyser, lire des choses là-dessus, en discuter. Un match, il faut pouvoir y revenir après, en classe, pour réfléchir ensemble sur ce que signifient "avoir gagné" et "avoir perdu" et apprendre à relativiser ces résultats, qui ne sont que des résultats de jeux. Sans ce travail approfondi, les bienfaits du sport vécu en dehors risquent fort d'être anéantis.

Au fait, et la musique ? Le dessin ? Que vont-ils en faire ? Ne sont-ce pas là aussi des moyens de détente ? Faudra-t-il les reléguer l'après-midi ?
Ne savent-ils donc pas, nos décideurs, que toutes ces activités sont aussi importantes les unes que les autres ? Qu'elles sont pour chaque élève, des entrées possibles vers les prétendues disciplines nobles ? Que l'on peut arriver aux maths par la musique et à la grammaire par le jeu ?
De plus, toutes les disciplines sont unies par des compétences transversales, à la fois communes et spécifiques, qu'il est indispensable de faire apparaître si l'on veut les développer de façon efficace chez tous les enfants.

On ne peut donc, sans réagir, laisser passer des prises de décision aussi aberrantes, aussi dangereuses, méprisantes à la fois pour ceux qui ont travaillé sur ces questions et apporté des directions d'action positives et sérieuses, et pour les enfants qui vont en subir les conséquences.
J'espère bien que les collègues d'EPS vont mettre en jeu leurs compétences motrices et bondir... C'est le moment !
Mais nous devons tous les accompagner : ce sont nos valeurs à tous, qui sont attaquées une fois de plus.