Le point le plus important, à mon sens, me semble être le troisième.
3ème point : qui dit établissement formateur implique établissement outillé, structuré et préparé pour cela. Il ne s'agit pas de dire regarde comment je fais et fais comme je te dis...mais de donner à l'autre via des outils d'observation et de réflexion les moyens d'analyser sa pratique et d'avancer sur "son propre chemin d'autorisation".
Effectivement, et contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n'est pas en regardant comment fait le maître, que l'on apprend à faire comme lui. Cela peut à la rigueur marcher pour le menuisier ou le plombier (quoique...) mais pas pour l'enseignant.
Une fois de plus, il faut citer Descartes et rappeler que ce qui compte ici, ce n'est pas la méthode, mais comment on s'y est pris pour la construire. Ce que j'ai à apprendre, ce n'est pas ce que le maître a fait, mais pourquoi il a fait comme ça ce jour-là, en sachant bien qu'il n'aurait pas du tout fait la même chose, un autre jour, avec d'autres élèves.
Former à un métier, quel qu'il soit, c'est aider à construire une maîtrise, on dit aussi un savoir opératoire, c'est-à-dire, en fait, la réunion de plusieurs savoirs :
* Savoir faire, et donc connaître les divers moyens de faire ce qu'on a à faire.
* Avoir expérimenté et savoir utiliser ces divers moyens.
* Savoir à quoi ils correspondent chacun, et comment ils fonctionnent.
* Savoir comment et en fonction de quoi on peut choisir parmi eux.

Mais comme le métier d'enseignant est un "jeu à deux", il faut ajouter deux autres données à ce savoir opératoire : le partenaire (l'élève), et la relation entre le savoir à acquérir et l'élève (la manière d'apprendre).
Pour faire la classe, il faut donc mettre en relation trois familles de données.
Cela s'appelle théoriser une pratique, et c'est l'essentiel du métier d'enseignant. Pour y parvenir, il faut diverses conditions :
1- Savoir que toute pratique pédagogique est sous-tendue par des choix théoriques (conscients ou non) concernant ces trois domaines (ce que tout le monde ne sait pas, et que la formation a en général oublié de préciser).
2- Connaître les théories existantes dans ces trois domaines, afin de pouvoir repérer celles qui sous-tendent la pratique en question.
3- Se donner du temps pour effectuer cette analyse, et donc travailler en alternance dans la classe et dans l'Institut, sous la conduite d'un formateur qui aide à l'analyse, parce qu'il a pu assister à la pratique. S'il n'a pas pu y assister, il ne peut en rien aider à l'analyse.
C'est pourquoi, au passage, on peut dire que prévoir d'un côté un "compagnonnage" auprès d'un enseignant, et de l'autre des cours universitaires de théories, n'a rien à voir avec une formation.
Comme il n'est pas évident que le formateur puisse assister à tous les essais en classe des étudiants, il faut trouver un moyen de suppléer à cette absence. Le meilleur moyen, c'est de pouvoir en faire un enregistrement vidéo, après avoir préparé ensemble l'essai pédagogique, pour pouvoir l'analyser collectivement, et réinvestir les conclusions de l'analyse dans la préparation des séances suivantes.
Dans les années 70-80, à L'Ecole Normale de Toulouse, comme dans d'autres EN, nous avons pu mettre en place une organisation de ce type, — ce que nous appelions le laboratoire pédagogique — , et nous avons eu alors le sentiment de faire vraiment du "bon travail", dont les étudiants étaient très satisfaits.
Malheureusement, cela n'a pas pu durer : trop coûteux, en temps comme en argent. Et comme la rentabilité, pourtant certaine et prouvée, ne se voyait guère dans l'immédiat, elle fut rapidement niée... Qui veut noyer son chien...
C'est pourtant dans cette direction qu'il faut aller, faute de quoi, il ne peut y avoir aucune formation professionnelle pratique.

La connaissance des théories
C'est le point le plus mal compris, en général, et souvent un lieu de confusions, aggravée par la croyance que seule la pratique compte. Or, ce sont les théories qui la déterminent.
* Les théories concernant l'élève : il y a plusieurs façons de le concevoir et de le situer dans les rapports qui l'unissent ou l'opposent à sa personne d'enfant ou d'adolescent.
* Celles qui concernent l'apprentissage : réception solitaire d'un discours ou construction collective d'un savoir ? S'agit-il de combler des manques et de rectifier des erreurs ou de transformer des savoirs acquis antérieurement ?
* Celles qui concernent les contenus à enseigner : ils ne sont pas compris de la même manière par tout le monde, mais cela est rarement précisé, d'où la stérilité des débats de méthodes, qui sont presque toujours des débats de "contenus non précisés". Quelques exemples :
- si j'ai à enseigner la natation, je dois d'abord savoir ce que "nager" veut dire : être capable de faire les mouvements de la brasse dans l'eau, ou avoir réussi à résoudre les problèmes de respiration, d'équilibre et de propulsion que pose le milieu aquatique ? Selon la réponse choisie, ma pratique d'enseignement sera différente.
- si j'ai à enseigner la lecture, je dois me demander si je souhaite que les enfants sachent prononcer les mots écrits ou qu'ils soient devenus capables de se servir du texte lu, pour réaliser un projet à eux. Les contenus à enseigner ne seront évidemment pas les mêmes.
On pourrait allonger la liste des exemples.
Ces questions ne sont que très rarement posées, surtout pour les trois domaines. Elles ne le sont quasiment jamais en formation d'enseignants. Si bien que ce qui est observé dans les classes, ce sont souvent des pratiques dont les présupposés sont contradictoires : tel enseignant croit mettre en œuvre une démarche de type "constructiviste", mais comme il travaille en pensant qu'apprendre, c'est combler des manques, son constructivisme ne fonctionne pas, ou fonctionne mal.
Je peux être l'enseignant le plus "constructiviste" du monde, si je pense que lire, c'est pouvoir prononcer des mots, jamais je ne pourrai mettre les enfants en situation de lecture véritable.

Les prétendus "échecs" des pédagogues contre lesquels des glapissements de haine se font régulièrement entendre, n'ont pas d'autres causes, que la non-cohérence des choix théoriques. C'est qu'on est toujours sur le plan des pratiques, du "comment faire", y compris quand on cherche à innover. On "pioche" des trucs, on ne construit pas enseignement, parce qu'on croit que le choix ne peut porter que sur les pratiques. Il n'en est rien. C'est sur les théories qui les sous-tendent que porte le choix, qu'il soit ou non conscient. C'est aussi pourquoi l'affirmation — agaçante, tant elle est infantile — selon laquelle on pourrait prendre un peu de tout, car, il y a du bon partout...repose sur une monumentale erreur.
Bien sûr que non, on ne peut pas faire comme on veut, prendre une miette de constructivisme et un louchée de B.A.BA !! Une cohérence n'a rien à voir avec une salade.
Des théories, ça ne se mélange pas : elles sont exclusives les unes des autres. Dès qu'on veut le faire, on détruit ce qu'on croit associer et l'on crée une incohérence qui anéantit toute efficacité au travail.

Apprendre à faire la classe, on le voit, c'est donc beaucoup plus affaire de théories que de pratiques, ou disons plutôt, affaire de pratiques théorisées.
Et quand un collègue vient me dire : "Charmeux, on connaît bien tes théories, mais on ne voit pas comment faire dans la pratique", invariablement, je réponds : "Si tu ne vois pas comment faire concrètement, c'est que tu ne maîtrises toujours pas la théorie : quand on la maîtrise vraiment, la pratique devient évidente et tombe toute seule comme une poire bien mûre..."
C'est pourquoi, l'autre versant d'une formation méritant ce nom, c'est d'apprendre à opérationnaliser les théories : si je suis d'accord avec ce que dit Brunner ou Vygostsky de la façon dont les enfants apprennent, comment je dois prévoir ma leçon pour être en cohérence avec ces analyses ? C'est la question à poser quand on prépare un travail pour la classe, et une formation digne de ce nom enseigne comment on peut y répondre.

Pour ce qui est des deux premiers points du commentaire d'Ostiane, on peut dire qu'ils sont à la fois absolument évidents et indissolublement liés. Seul un travail d'équipe — et EN équipe — permet la mise à distance de sa pratique, et peut faire que la relation pédagogique, comme le disait Henri Bassis avec force, "soit mutuelle, faute de quoi, elle n'est pas". Le nez dans le guidon, on voit mal la route, c'est bien connu.
Concrètement, cela signifie une organisation démocratique de l'établissement, avec, notamment, des instances de régulation, au cours desquelles les pratiques de formation sont analysées pour déboucher sur des prises de décision concernant la suite du travail. Il faudrait sortir de cette conviction selon laquelle un travail sérieux impliquerait une planification préélaborée et immuable pour toute l'année. Enseigner — et former, c'est aussi enseigner — comme c'est un jeu à deux, dont le partenaire est partie prenante et "évoluante" du jeu, il faut toujours être prêt à remettre en question ce qui a été prévu. Ce qui est immuable, c'est l'objectif : rendre capable de faire la classe de façon efficace pour tous les élèves. Mais les moyens sont évidemment et essentiellement variables et "muables". C'est pourquoi, préparer sa classe, ce n'est jamais jamais prévoir ce qu'on fera à 9h 10 puis à 9h 30, mais c'est faire l'inventaire du "champ des possibles", et laisser toujours une porte ouverte sur l'imprévu.

Rendre capable de s'adapter à de nouvelles données, de prendre en compte les travaux de la Recherche, et de se remettre en question pour être plus efficace encore, c'est l'objectif essentiel, incontournable, de toute formation d'enseignants.
Il n'est pas sûr que ce soit l'objectif des nouveaux programmes du primaire, ni du projet de formation officiel...
Le Pouvoir souhaiterait-il des enseignants inefficaces ? Curieuse question, non ?