Occupés à quoi ? Décidément, l'occupation joue un grand rôle à l'école. Et avec toutes les acceptions de ce terme ! Il n'est pas sûr que ce soit le meilleur moyen de "faire travailler" les élèves et d'obtenir qu'ils apprennent ce qu'ils ont à apprendre.

Première question : La tâche d'un enseignant est-elle vraiment de "s'occuper" des élèves ?
Le croire, c'est confondre le métier d'enseignant avec celui d'infirmier. Contrairement à ce dernier, l'enseignant n'a rien à faire à chaque élève en particulier. Ce sont tous les élèves, qui doivent apprendre. Et comme on n'apprend, ni tout seul, ni en écoutant les cours d'un adulte, mais en travaillant dans un groupe de pairs à chercher des solutions à des problèmes, le travail d'un enseignant est de réunir les conditions pour que l'apprentissage se fasse, c'est-à-dire, d'installer des situations-problèmes à résoudre en groupes.
C'est aussi pourquoi, malgré une idée reçue, coriace et fausse, le pire pour une classe est d'avoir trop peu d'élèves : s'il y a moins de dix élèves, la classe est trop pauvre pour pouvoir travailler de façon enrichissante. Seul, le caractère inadapté des locaux trop exigus ou trop sonores, rend difficile une classe trop nombreuse.

Deuxième question : S'agit-il d'occuper les élèves ? Lorsqu'on leur a donné quelque chose à faire, a-t-on fait ce qu'il fallait pour eux ?
Pour qu'une "activité" soit un lieu d'apprentissage, il faut qu'elle remplisse un certain nombre de conditions.
1- qu'elle corresponde à un objectif précis d'apprentissage : la construction d'une notion ou d'un concept, la découverte de stratégies permettant d'accomplir une tâche, ou l'entraînement à l'utilisation de ces stratégies. S'il s'agit de découvrir ou de construire, cela ne peut se faire qu'à plusieurs, dans un esprit de coopération. Seul, l'entraînement (ou l'évaluation) peut se faire de façon individuelle. L'activité en question peut aussi être une activité de détente et dans ce cas, elle se doit d'être entièrement libre, y compris avec le droit de se reposer sans rien faire
2- que les enfants sachent à quoi doit servir cette activité, afin qu'elle ait du sens pour eux.
3- que, dans le cas où il s'agit d'une activité d'apprentissage, les enfants aient les moyens de l'effectuer, et qu'on ne leur demande pas de trouver tout seuls les stratégies à mettre en œuvre. Ce ne sont pas les savoirs — les notions, les règles, les solutions, — que nous avons à enseigner, mais les stratégies qui permettront aux élèves de les construire.
Un exemple, entre mille. Pour "occuper" les élèves, on leur demande en général de copier, copier des quantités de choses, en toutes disciplines, sous prétexte qu'il faut qu'ils écrivent.
On peut souligner tout de suite ici un contre-sens sur le verbe "écrire".
S'il est vrai que les enfants n'écrivent pas suffisamment en classe, il est non moins vrai que ce reproche ne concerne point la copie : il concerne la production d'écrits sociaux, et l'apprentissage de cette production, l'un et l'autre insuffisamment présents dans la plupart des classes : je connais au moins une classe de CP, où depuis le début de l'année, pas un seul texte n'a été produit par les enfants, qui passent pourtant leurs journées à copier des listes de mots et des consignes d'exercices.

Ceci dit, la copie est aussi une activité essentielle... mais à deux conditions :
1- qu'elle serve à quelque chose, et que l'on en ait effectivement besoin (archivage personnel dont on se servira plus tard, communication à d'autres de ce qui a été produit ou appris etc.).
2- Qu'on ait appris à le faire.
Copier est loin d'être une activité facile, et laisser les enfants faire à leur façon peut s'avérer très dangereux, dans la mesure où ils risquent de prendre des habitudes catastrophiques, notamment pour l'orthographe et pour l'écriture en général.
On sait en effet que leur maturité oculaire (avant dix ans) ne leur permet pas de passer facilement d'une vision proche à une plus lointaine. De ce fait, surtout s'ils copient ce qui est au tableau (chose que tous les spécialistes de la vision demandent d'éviter à tout prix), ils oublient facilement à quelle lettre ils en sont et risquent d'en sauter ou de réécrire plusieurs fois la même.
Pour copier sans erreurs, ce n'est pas ce qu'on voit qu'il il faut copier, mais l'image mentale de ce qu'on voit. En fait, la copie est un excellent entraînement à la mémorisation à court terme, c'est un de ses grands avantages.
Encore faut-il avoir appris à le faire.

Cet apprentissage ne peut s'improviser : il a intérêt à être mené collectivement, sous la direction de l'enseignant. Celui-ci demande aux enfants d'abord de bien observer le mot à copier (la mémoire, c'est d'abord de l'observation, il serait bon de le rappeler !), de fermer les yeux ensuite pour "voir le mot dans leur tête", et de copier ce mot dans leur tête... après avoir rouvert les yeux (!!), mais sans regarder le modèle.
Entre le CP et le CE2, il est indispensable de prévoir régulièrement des jeux d'entraînement à copier de cette manière, qui, au surplus amuse énormément les petits.

Et, puisqu'on parle de copie, et donc d'entraînement à l'écriture manuelle, c'est le moment d'évoquer quelques données essentielles de cette activité, volontiers oubliées ici ou là.
L'écriture manuelle est un acte moteur, qui, comme tout acte moteur ne peut être appris qu'en situation présentant l'ensemble des caractéristiques de la situation "vraie". Un entraînement en situation fausse ou faussée ne permet d'apprendre que la situation fausse.
C'est ainsi que faire faire des lignes de lettres isolées, — activité qui refait malheureusement surface dans les classes —, va à l'encontre de ce qu'on attend de l'écriture, d'être fluide, lisible et aisée.
En effet, le geste par lequel on trace une lettre isolée n'est pas du tout le même que celui par lequel on trace cette lettre dans un mot. On sait aussi que ce geste n'est pas le même quand la lettre est au milieu du mot et quand elle est en finale ; il est également différent si elle est en finale absolue et si elle est en finale de mot, suivie d'autres mots.
On enseigne donc un geste inefficace, un geste qui ne peut que les gêner quand ils auront à écrire vite, et qui va contribuer à rendre leur écriture peu lisible.
De tout ceci, qui n'est pourtant pas nouveau, et scientifiquement démontré depuis longtemps, il ressort que l'entraînement à l'écriture manuelle ne peut se faire que sur des messages complets, accompagné de prises de conscience de ces variations.
Il s'agit alors de construire un savoir opératoire, (savoir comment faire et pourquoi on peut faire ainsi), socialement nécessaire, et dont les caractéristiques sont très claires : être capable d'écrire vite et bien (on n'a guère le temps dont disposait madame de Sévigné !).
Bien, on sait ce que ça signifie aujourd'hui : aux examens comme dans les lettres de motivation, toujours écrites à la main, c'est la qualité de l'écriture qui constitue le premier indice de jugement sur l'auteur. Celle-ci doit être à la fois lisible et personnelle, pour être appréciée : la belle écriture de l'instit de jadis est considérée souvent comme manquant de personnalité.
Faire écrire les lettres isolément est d'autant plus mauvais que, contrairement à ce qui est en général affirmé (sans réfléchir !), la lisibilité ne repose pas sur le respect de la forme des lettres (elles en ont des quantités !), mais sur celui des "traits pertinents", qui les distinguent les unes des autres.
Apprendre à écrire de façon lisible, c'est apprendre à connaître ces "traits pertinents", et apprendre à les respecter, quel que soit le type de police choisi.
Comme pour tout autre apprentissage langagier, la maîtrise de l'écriture à la main se caractérise par le fait de savoir distinguer les différences qui "comptent" et celles qui ne comptent pas.
Où l'on voit qu'il y a des choses à savoir... donc à apprendre, pour pouvoir enseigner et aider les enfants à construire leur savoir, et à se construire.
Au fait, où en est la prochaine formation des enseignants ?

N.B. 1 : Pour en savoir davantage sur l'apprentissage de l'écriture manuelle, on peut se reporter à l'adresse suivante :
http://www.charmeux.fr /ecrituremanuelle.html

N.B. 2 : Voir aussi le dernier ouvrage d'E. Bautier "les inégalités d'apprentissage" (PUF), qui analyse ces pratiques de classe qui croient être des moments d'apprentissage pour les élèves et qui ne le sont pas — du moins pour tous.