Soyons sérieux. La proposition ministérielle d'expérimenter un système de pseudo "récompense" pour lutter contre l'absentéisme pourrait déclencher un fou-rire, si elle n'était pas aussi désolante.
On objectera que c'est une récompense intelligente, non personnelle (on voit mal comment, elle pourrait ne pas l'être), et soumise à l'existence de projets. Outre que ces garde-fous sont loin d'être clairs et que leur mise en application est loin d'être évidente, la proposition renvoie toujours à une conception "récompense/punition" de l'éducation.
On objectera aussi que ce n'est qu'une expérimentation : on décidera en fonction des résultats.

Ces deux objections sont aussi navrantes l'une que l'autre.
Comment prendre au sérieux une expérience, dépourvue de tout présupposé scientifique, fondée sur des constats de café du Commerce et soumise à la seule attente du résultat ? On pense irrésistiblement au titre d'un ouvrage, violemment polémique, publié naguère par un anti-pédagogiste virulent contre les méthodes actives en classe : "Un poisson rouge dans le Perrier". Excusez-moi, mais cette expérimentation officielle est de la même eau !
Quant au critère d'évaluation de cette expérimentation, le résultat obtenu, sa qualité scientifique reste problématique, quoique en cohérence avec les évaluations scolaires officielles. Comme pour celles-ci, on cherche en vain les justifications théoriques de son choix. Le résultat ? Quel résultat ? Et en quoi, sera-t-il de nature à résoudre le problème ?
Admettons que les élèves ne s'absentent plus. Est-ce vraiment ce qu'on attend d'eux ? Si les élèves sont à l'école, ce n'est certes pas pour y séjourner, agréablement ou non. Ils y sont pour acquérir des savoirs et construire des compétences. C'est là le seul critère d'évaluation possible de n'importe quelle expérimentation scolaire. Encore faut-il avoir défini ces savoirs et ces compétences, avec précision, en termes de comportements observables, et non par des termes généraux et abstraits.
Nous sommes loin du compte.

On peut ici imaginer une réponse du type : "Dans l'école, au moins, avec un peu d'autorité enfin retrouvée, on pourra l'obliger à travailler ..."
"Voire", comme dit Pichrocole.
"Voire" dit aussi Philippe Meirieu, qui rappelle — et de façon si claire et si convaincante — que l'on peut contraindre à beaucoup de choses, mais certainement pas à apprendre. Avec des coups de fouet, on peut forcer à ramer ou à marcher. Avec l'autorité retrouvée, on peut forcer à faire des exercices. Non ! Erreur ! On peut forcer à faire semblant de faire des exercices. Mais, outre qu'on n'apprend pas avec des exercices, les élèves, depuis longtemps, sont passés maîtres dans l'art de faire sans travailler.
Nombreux sont ceux qui, de mon temps, avaient découvert, par exemple, que l'on peut répondre aux question de lecture sans avoir lu le texte, et qu'on peut très bien écrire quatre pages de dissertation sur Zola sans avoir ouvert un seul de ses romans.

Mais le plus grave, c'est la signification morale de cette proposition.
Vouloir attirer les élèves par la perspective d'une récompense, — et financière, qui plus est — c'est, comme le dit Philippe Meirieu, aussi anti-éducatif que possible.
J'ai eu à plusieurs reprises l'occasion d'évoquer cette erreur éducative ancestrale, qui explique beaucoup de choses sur l'état moral lamentable des adultes que nous sommes.
http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2008/10/28/96-la-recompense-ca-motive
http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2008/09/15/91-recompense-et-motivation

Inutile d'y revenir ici.
Je voudrais seulement rappeler que, face à un mal de tête qui dure, il n'est jamais prudent de se contenter d'aspirine. L'absentéisme a des causes, qu'il s'agirait peut-être d'étudier, en cessant de considérer qu'elles sont toutes extérieures à l'école.
C'est à l'intérieur de celle-ci que se trouvent les plus importantes.
Non par la "faute" des enseignants, mais par celle de la formation qu'on leur a donnée, qui les livre aux traditions absurdes que l'on connaît. Une amie qui visite souvent des classes pour raison professionnelle, me parlait récemment de l'ennui monumental qui y règne...
Qui irait volontiers dans un endroit où l'on s'ennuie et dont on ne voit nullement l'intérêt ?

Si on se décidait enfin à aider les enseignants ? Les aider à savoir motiver les élèves, à savoir éclairer pour eux l'intérêt d'apprendre, à pouvoir les convaincre que l'on n'apprend pas pour exercer un métier (c'est le rôle de la formation professionnelle, qui n'a rien à voir avec les "études"), mais pour construire leur propre liberté et devenir ENSUITE, justement, capables d'apprendre un métier, choisi en connaissance de cause ?
Si la formation des enseignants servait à cela ?
Si elle était enfin l'objet d'un travail sérieux de nos décideurs ?
Et si on se décidait enfin à ne plus prendre les élèves pour des ânes... ?
Ils n'auraient peut-être plus besoin de carottes pour venir à l'école.