Pour répondre à cette question, toujours se référer d'abord à la réponse que Jean Foucambert donnait régulièrement, quand on la lui posait dans une conférence :
"On ne commence pas, on continue !"
Ce qui semble ici peut-être à certains une boutade, est, au contraire, essentiel dans tout acte pédagogique, même si cela est totalement ignoré en haut lieu.
Cela veut dire avoir un tout autre regard sur les élèves, et ne pas oublier que, quel que soit leur âge ou leur origine sociale, les enfants savent des quantités de choses — rarement conformes aux attentes institutionnelles, c'est vrai — mais qui constituent néanmoins des savoirs sur lesquels le travail d'apprentissage doit pouvoir s'appuyer pour qu'il y ait progrès.
Concrètement, cela se traduit par un début d'année en activités peu scolaires en apparence, mais essentielles, d'observations, d'échanges, et d'organisation collective de la vie dans la classe. Il est important que les enfants soient associés à cette organisation, et qu'ils n'aient pas l'impression qu'on leur assène un truc tout fait, auquel ils risquent fort d'avoir envie de désobéir d'abord.
Que les enfants soient des "anciens", ou qu'ils entrent dans cette école pour la première fois, la découverte (ou la re-découverte) des lieux est indispensable. Comme il y a en général toujours un ou deux "nouveaux", même dans les classes d'anciens, cette appropriation des lieux est une bonne occasion d'intégration de ces nouveaux, sous la conduite des anciens : premier travail de groupes, premiers échanges pour faire connaissance.
Il y a aussi les situations de jeux, sportifs ou non, qui vont être pour l'enseignant, de bonnes situations d'observation de leurs comportements avec les autres, mais aussi avec les objets (notamment les objets à lire, à la bibliothèque ou ailleurs), et bien sûr à leur propre égard, par rapport à leur corps, à leur voix, à leur apparence.
Pour l'enseignant, il n'est possible de "faire la classe" que s'il a déjà une assez bonne connaissance de ses élèves.

Dans les classes du cycle 2, tous ces moments vont avoir aussi comme fonction de constituer un fonds de langage et de choses écrites (les noms des instit sur les portes des classes, les sigles des classes : CE1, CE2 etc. les notes accrochées aux murs sur les consignes en cas d'incendie, ou sur les problèmes d'assurance et autres, les affiches décoratives ou informatives qui ornent les murs des couloirs, les prénoms des enfants sur les porte-manteaux, etc.), fonds sur lequel on va pouvoir s'appuyer pour commencer à découvrir comment fonctionne la langue écrite.

Et puis on va organiser la première "régulation", celle de la mise en route du travail et de son organisation. D'abord animée par l'enseignant, elle sera, lors des séances ultérieures, toujours animée par un élève : les enfants vont ainsi commencer leur apprentissage de la conduite de réunion, et des fonctions de l'animateur, qui ne peut être un participant à la discussion, sauf cas précis où il sollicite ponctuellement la parole.
On va commencer par parler des habitudes à installer : habitudes de politesse : on dit bonjour et on retire son chapeau en entrant dans la classe. Bien sûr, ceci après avoir discuté ensemble sur les raisons de cette habitude, et sa signification de courtoisie envers les autres ; habitudes de respect des autres : aucune moquerie méchante ne doit être tolérée. Le droit à l'erreur est posé d'emblée et justifié, ainsi que celui à l'ignorance : on a le droit de ne pas savoir, car si on savait, on ne serait pas à l'école !
Si la classe est à plusieurs cours, on va ensemble définir, en les justifiant, les types d'activités qui se feront tous ensemble, en petits groupes hétérogènes, d'entr'aide mutuelle (et non de "soutien" : aucun enfant n'a besoin d'être soutenu : ils tiennent très bien tout seuls. Mais ils ont besoin d'être pris au sérieux et d'être reconnus comme des personnes à part entière, capables d'aider leurs pairs...)
Mais c'est surtout lors de cette première réunion, que les enfants vont découvrir, présentés par l'enseignant, les programmes qui vont constituer les contenus à apprendre. Il est essentiel qu'ils en connaissent l'ensemble avant que les chapitres ne soient abordés de façon rationnelle : c'est, en effet, lors de cette exploration que les enfants vont exprimer leurs représentations et leurs savoirs dans ces domaines. L'enseignant, qui prend des notes (la première semaine, c'est l'enseignant qui observe et qui prend des notes, pas les élèves !), ainsi muni de ces informations, va pouvoir organiser sa manière d'aborder les contenus, en s'appuyant sur ce qu'il vient d'apprendre de ses gamins. S'il impose a-priori sa manière d'aborder les choses, il risque fort de laisser sur la touche tous ceux dont la "zone proximale" ne se situe pas sur la ligne de départ du cours.
Il va y faire aussi ses propositions sur l'organisation de la journée : par exemple celle de commencer par de la poésie ou de la musique : chaque matin, quelqu'un vient dire un poème ou une chanson, ou fait écouter un CD, qu'il a choisi et qu'il aime, — au début ce sera l'enseignant, puis très vite, chacun des élèves proposera sa découverte poétique ou musicale à partager ... ce qui débouchera sur un petit échange : ce qu'on y a aimé ou ce qui n'a pas emballé, et pourquoi.
Ce faisant, outre des découvertes culturelles, les enfants vont apprendre ainsi à admettre des goûts différents et s'apercevoir que l'essentiel n'est pas de lire ou d'écouter ce qu'on aime, mais de lire et d'écouter d'abord pour savoir si on aime ou non.
On peut même ajouter que cette habitude n'est autre que ce qu'on appelle l'honnêteté : je n'ai le droit de parler que de ce que je connais, et de le critiquer, que ce soit pour en dire du bien comme du mal. L'essentiel, c'est de s'enrichir de savoirs en tout domaines.
C'est ainsi que se met en route l'important travail de construction de la motivation à apprendre, qui ne pousse pas toute seule comme la barbe au menton des garçons, et dont il faut favoriser et aider la construction.

Pour ce qui est de la façon de travailler, il est essentiel d'affirmer et de réaffirmer, à toute occasion, que ce qui compte n'est pas d'avoir trouvé la bonne réponse, mais d'avoir cherché et d'avoir appris. C'est la construction du savoir qui enrichit, pas le savoir lui-même.
Bien entendu, le principe du travail de groupes est posé et discuté — toujours soutenu par des textes et de la documentation. Du reste, une des habitudes à installer, c'est d'apporter toujours de la documentation dès que l'on souhaite débattre de quelque chose : débattre, ce n'est pas dire ce qu'on pense, c'est chercher et échanger des arguments.
La perspective d'avoir des projets sociaux est évoquée : projets de correspondance avec d'autres classes, projets d'écriture poétique ou littéraire, projet de spectacles de théâtre ou autres (danse ou musique, afin de permettre à ceux des enfants qui pratiquent ces activités d'en faire bénéficier le reste de la classe), les décisions définitives étant remises à la prochaine régulation.

Comme on le voit, ces activités non scolaires en apparence ont tout de même permis d'amorcer pas mal d'apprentissages, qui auront ainsi plus de chances d'être réussis grâce à ces approches. Notamment les apprentissages moraux et civiques qui ne s'acquièrent que par le vécu et non par des leçons à apprendre.
De grands personnages ont expliqué, il y a bien longtemps, qu'on n'apprend pas en une seule fois, et que des approches diverses et fréquentes sont nécessaires pour que la structuration se fasse.
Surtout, cette manière non conformiste de commencer a le mérite de démarrer sur l'humain, sur la personne des élèves, sur le respect qu'on leur doit sans lequel ils n'ont aucune raison de nous respecter. C'est un démarrage en confiance, confiance que l'enseignant a en eux, qui seule peut aider les élèves à avoir confiance en eux-mêmes. Et l'on sait que seule la confiance en soi permet la réussite.

Et que l'on ne rétorque pas que c'est là utopie pure : outre que l'on n'avance qu'avec des utopies (et du réalisme en même temps, bien sûr !), des démarrages de cette nature, même si ça n'existe plus guère (quoique....) ça a existé : je les ai vus et j'ai vu à quel point cela marchait.
On notera que ça ne coûte pas un centime, que c'est à la portée de chacun, que c'est du pur bon sens, et qu'on ne voit pas pourquoi on ne le fait pas tous...

Ce serait bien si la désobéissance aux directives officielles portait aussi là-dessus !