La prétendue baisse du niveau au CM2 en orthographe et en grammaire entre 1987 et 2007 ?
Comment pourrait-il en être autrement ! Nous, enseignants, n’avons pas besoin de résultats d’audits onéreux pour le savoir.
Avant d’enseigner j’ai travaillé longtemps en tant qu'auditeur dans le privé avec des objectifs, des outils pour travailler, une équipe autour de moi et des méthodes internes à l’entreprise pour atteindre ces objectifs.
Aujourd’hui, en tant qu’enseignante, ma « feuille de route », mes « objectifs », mon « contrat de travail », ce sont les programmes 2008, la méthode pour y arriver, elle, est libre (quelle aubaine pour mes supérieurs) ce qui suppose des méthodes internes inexistantes, aucune procédure écrite, aucune aide pour atteindre les objectifs fixés.
Cette étude, je ne suis pas étonnée (bien que contrariée) par elle : les objectifs qui nous sont donnés ne peuvent que conduire à un tel résultat.

DÉMONSTRATION :
Les programmes se sont « légèrement » alourdis en 20 ans alors que le nombre d’heures de travail effectif des élèves a baissé.
Si l’on rajoute aux programmes de 1987 :
* 1h30 de langues vivantes,
* 0h30 d’enseignement des Tice : c’est le minimum à affecter raisonnablement à cette discipline (même en travaillant en interdisciplinarité) sur 3 ans si l’on veut permettre à 30 élèves d’atteindre les 22 compétences du B2i avec des salles informatiques comportant en moyenne 7 ou 8 postes (rarement en réseau) et des locaux rarement équipés pour faire travailler un groupe en autonomie pendant que l’autre groupe travaille sur les 7 postes en binôme tout en surveillant tout le monde. Au final, on fait travailler 3 ou 4 élèves par poste : la première heure du temps passé par le groupe classe aboutit donc à 8 à 10 minutes de travail effectif par élèves ce qui me semble un minimum pour ces 22 compétences.
* Plus d’horaires consacrés à l’EPS (pour le plus grand bien des élèves, mais avec de nouvelles compétences comme : «être capable de réaliser une chorégraphie de 3 à 5 éléments pour communiquer des émotions» difficiles à enseigner en peu de temps…)
* Un enseignement de l’Europe, ses états membres, sa constitution, l’Euro,
* Un enseignement de la Francophonie et les pays francophones,
* Un enseignement de l’Histoire de l’art : à faire, bien entendu, en lien avec l’histoire. Mais mélanger ces 2 disciplines dans une même séance me semble à la fois faire offense à l’une comme à l’autre ou bien relever d’une méconnaissance des capacités d’apprentissage des enfants de 7 à 9 ans, et par ailleurs conduire à la négligence des deux.
* Un enseignement au développement durable : les énergies renouvelables, les économies d’énergie, le maintien de la qualité de l’eau, le tri des déchets, le fonctionnement et l’intérêt du recyclage, l’importance de la biodiversité, etc…
Bref, « leur faire comprendre que le DD correspond aux besoins des générations futures.. » : vaste programme ! le dire c’est une chose, le faire comprendre c’est autre chose si l’objectif est de modifier les comportements futurs (j’ai essayé de faire une progression sur 3 ans sur ces thèmes même en jouant sur l’interdisciplinarité, cela prend du temps…)
* Un enseignement à la sécurité routière.
* Un enseignement à l’hygiène alimentaire pour lutter contre l’obésité en France.
* Un enseignement à la sécurité domestique pour limiter les accidents domestiques.
* Un enseignement au civisme (La Marseillaise, l’hymne européen, les maximes moralisantes, les règles d’acquisition de la nationalité française, les enjeux de la solidarité nationale et j’en passe)
* Les gestes de premiers secours et la connaissance des risques liés aux jeux dangereux.
* Et je ne rentrerai pas dans le détail du programme de sciences qui demanderait un courrier entier de comparaisons.

OUI, alors JE CONFIRME que nos élèves font et vont surtout faire moins d’orthographe et de grammaire qu’il y a 20 ans. Ce phénomène ne peut qu' EMPIRER dans les années à venir.
Comment pourrait-il en être autrement ?
D’autant plus que les programmes ne prévoient plus de mettre les élèves en activité afin de leur permettre de construire des apprentissages solides. Il s’agit plutôt de les contraindre à écouter passivement des savoirs apportés par le Maître, à apprendre ( par cœur si possible) et à appliquer.
Autre élément contribuant à la baisse du temps effectif de travail des enfants : la gestion des difficultés comportementales de certains, des élèves en souffrance qui vivent des situations sociales ou familiales difficiles, des élèves en situation de handicap qu’il faut intégrer dans la classe, des conflits entre parents séparés, de l’absentéisme (gérer les retours pour qu’ils récupèrent les retards sans pénaliser le groupe), du nombre croissant d’enfants qui ne font pas leurs "devoirs", etc…
Ces temps là qui ne sont jamais cités ni comptabilisés sont en forte hausse depuis 20 ans.
Alors on peut financer des chercheurs et des audits, on peut publier ou cacher les études, on peut continuer à accuser l’école et les enseignants de ne pas mener tous les enfants à la réussite…
Une chose est certaine : si réussir c’est "atteindre les compétences des programmes 2008", ce n’est sûrement pas "maîtriser la langue orale et écrite". CE SONT DEUX CHOSES DIFFERENTES.

NE NOUS TROMPONS PAS D'OBJECTIF :
Les 2 objectifs :
1 : « permettre aux élèves d'acquérir toutes les « compétences » des nouveaux programmes »,
2 : « permettre aux élèves d'acquérir des compétences en orthographe et en grammaire, leur donner du temps pour lire et pour écrire afin de réinvestir et d'assimiler ses compétences dans le but de savoir manier la langue écrite de façon efficace et autonome, ce qui permettrait de constater une diminution du nombre de fautes (d'erreurs grammaticales, s'il vous plaît ! Des erreurs ne sont jamais des fautes, au contraire !) dans une même dictée en 20 ans au CM2 » (sujet critiqué par cette étude)
Ce sont là deux objectifs aujourd'hui, — dans notre société de 2009 et avec nos emplois du temps scolaires —, matériellement incompatibles (la réalité de la classe rend ceci évident mais je ne demande qu'à voir la preuve du contraire : voir ci dessous).
Ainsi, si je veux atteindre l'objectif N°2, je dois faire des choix et décider de ne pas travailler certaines des compétences des programmes de la longue liste prévue par l'objectif N°1 et donc déroger à cet objectif N°1 qui m'est imposé par mon ministre et qui constitue la base de mon contrat de travail.

Peut-on me reprocher maintenant de ne pas avoir désobéi ?
Peut-on me reprocher de ne pas avoir rendu l'objectif N°1 prioritaire sur le N°2 ?
Les semaines à venir et les réactions sur cette enquête nous le diront....

Alors j’aurais une suggestion à faire à tous ces commanditaires d’audit. Le seul moyen de stopper les conflits et la mauvaise foi : mettre en place une expérience dans les conditions d'une situation de recherche faite par des professionnels indépendants et consciencieux afin de répondre à une question capitale : "est-il possible de faire acquérir à tous les élèves les compétences des programmes 2008 de cycle 3 (par exemple) en trois ans avec les horaires scolaires actuels?"

Faisons une hypothèse :
Prenons des gens « plus compétents que nous » : les meilleurs ministres, secrétaires d’état, énarques, polytechniciens, pédagogues (ah! Non pas eux, ils ne sont plus capables) chercheurs ou illustres professeurs etc..
Demandons-leur d’enseigner à 2 ou 3 classes d’élèves français moyens (ni Neuilly, ni St Denis) avec un lot moyen d’élèves (à savoir un nombre moyen d’élèves en difficultés, de dyslexiques, de problèmes comportementaux, de parents divorcés, de situation de handicap, de parents «ne-mettant-jamais-les-pieds-à-l’école-et-ne-s’intéressant-pas-aux-apprentissages-de-leur-enfant» et de «parents-cadres-sup.-qui-pensent-être-meilleurs-que-vous-pour-apprendre-la-division-et-qui-vont-appliquer-des-méthodes-différentes-créant-des-blocages-chez-leur-enfant» et avec évidemment une majorité d'enfants qui passent chez eux 10 à 15 fois plus de temps devant la TV ou les consoles de jeux que devant un livre ou ses devoirs) et dans une école correspondant à la moyenne française (à savoir pas d’intervenant extérieur pour le sport ou les langues ou autre, une salle informatique moyenne de 7 ou 8 postes sans contrat d’intervention avec un prestataire informatique etc.…).
Laissons les mettre en place des progressions du CE2 à la fin du CM2, avec les moyens sur place (pas question de faire financer des tableau interactifs par l'entreprise du copain qui a de la publicité à faire, ni de se faire sponsoriser par un constructeur informatique pour équiper l'école).
Evaluons ces élèves au bout de 3 ans (en juin à la fin du CM2) en orthographe, grammaire, mathématiques et dans toutes les disciplines des programmes.
Je vous assure, je vous promets même, que si ces élèves sont meilleurs en orthographe et grammaire qu’en 1987 tout en ayant acquis les compétences des programmes 2008, j’appliquerai cette méthode sans hésiter et dés le lendemain de la publication des résultats de l'expérience, même si je sais que chaque classe est différente et que ce qui marche une fois ne va peut-être pas remarcher avec d’autres enfants.
Savoir que c’est possible et que quelqu’un y est arrivé serait plus rassurant que le sentiment actuel assez généralisé de devoir atteindre le Mont Blanc en solitaire et sans équipement.

Mais hélas qui pourrait avoir le courage d’une telle entreprise, bien plus risquée qu’un audit sur de pauvres CM2 ?
Combien le rôle d’un patron doit être confortable à donner des objectifs très ambitieux, à se couvrir d’une liberté pédagogique très pratique pour s’exonérer de mettre à disposition de vrais outils de travail...! (que l’on ne s’y trompe pas, il n’est pas question de rémunération ici mais bien d’outil de travail que tout patron est censé fournir à ses salariés).
Alors OUI, je le répète, le niveau en français des CM2 baisse et baissera encore, mais que l’on ne se trompe pas de responsables.
Et ne présentons pas aujourd’hui comme un échec ou un dysfonctionnement de l’école ce qui n'est que le résultat de l'application de mesures clairement imposées.
En tant qu’ancien auditeur, je suis sûre d’une chose : un audit n’est pas fait pour amener des solutions, il est toujours fait pour servir l’objectif de son commanditaire lequel l’utilisera comme argument à une action future.

Voilà pourquoi les audits sont plus fréquents que les expériences qui amèneraient de vraies réponses et de vraies solutions....

Voilà pourquoi et pour finir, Messieurs les chercheurs et les commanditaires de recherches, n’ayant plus d’illusions sur votre volonté à améliorer les connaissances de nos élèves, je ne vous demanderai que ceci :
* Donnez-nous des élèves comme ceux de 1987 avec des parents comme ceux de 1987
* Rendez-nous ces 2 heures avec nos élèves que vous nous avez honteusement volées (je voudrais même avoir 4 h de plus avec eux par semaine, moins de vacances en été pour prendre le temps d’approfondir et ne pas passer mon temps à les bousculer pour se dépêcher)
* Donnez-nous des programmes de 1987
* Et nous pourrons avoir les résultats en orthographe de 1987….

Un dernier constat :
Une fois le travail en équipe réduit du fait de l'aide personnalisée qui prend sa place dans le planning, la relation avec les parents dégradée à coup de manipulation médiatique, la relation avec les supérieurs gâchée par la pression ambiante, de toutes les satisfactions inhérentes à ce métier, il n'en reste qu'une : la relation avec les élèves et le bonheur de les voir entrer dans les apprentissages.
Un bien fragile équilibre à trouver pour tous ces enseignants méritants dont les motivations et le moral sont vraiment mis à mal.
Béatrice R.
Une enseignante plutôt nouvelle dans le métier qui préfèrerait voir notre patron s'affairer à mettre en place des outils efficaces pour nous aider à remplir un objectif commun (à savoir la réussite de tous) plutôt que de passer son temps à mener des enquêtes pour chercher des preuves de notre incompétence, nous enfoncer et manipuler l'opinion publique contre nous.
PS : que l'on ne s'y trompe pas j'adore ce métier.