Aujourd'hui, nous parlerons orthographe...
Par Eveline, vendredi 31 octobre 2008 à 14:56 :: Education, Ecole et Pédagogie :: #97 :: rss
Et pourquoi pas ? Ayant à travailler sur l'orthographe pour mes étudiants en préparation du CRPE, j'ai eu à étudier la copie suivante d'un petit bonhomme de CE2 (écrite il y a quelque 25 ans...), copie fort intéressante, qui prouve que les problèmes d'orthographe de l'époque valaient bien ceux d'aujourd'hui, et dont l'analyse me semble de nature à pouvoir intéresser nos collègues, et susciter un débat dépassant celui de l’orthographe......
Il s'agit de la copie du petit François CE2 en réponse à la consigne suivante : "Raconte l'histoire du petit chien qui ne savait pas aboyer"
A la lecture de cette copie, deux choses frappent d’emblée :
1- François paraît bien loin d’être bête : son récit n’est pas mal bâti du tout, assez bien structuré, et vivant. Il a le sens du dialogue, qu’il sait ponctuer. Il a même une connaissance incontestable de certaines spécificités de la langue des contes : il utilise des passés simples, certes bizarres, mais placés à bon escient dans le récit.
2- En revanche, son orthographe n’est pas seulement remplie d’erreurs, elle est complètement étrangère au fonctionnement français des formes écrites de la langue.
On a la nette impression qu’il fabrique les mots qu’il écrit, non point en reproduisant ce qu’il en a vu, mais en appliquant des règles de correspondance entre ce qu’il entend et ce qu’il faudrait écrire, règles qu’il ne maîtrise absolument pas... Ajoutons qu'il ne prend aucunement en compte le statut grammatical de ces mots : hormis les formes « il fut bien déssu » et « il vit », aucune marque spécifique du système verbal n’apparaît dans son texte.
Comment expliquer cela ?
Il est clair que François n’a vu que très peu de « choses écrites » et surtout qu’il n’a jamais été invité à observer comment ça fonctionne.
On sait aussi, par tous les travaux sur la psychologie des petits, combien sont déterminantes pour la suite de leurs apprentissages, les premières approches de ce qu’on leur enseigne.
Ce comportement scriptural de François peut donc être mis en relation avec la manière dont l’écrit lui a été présenté lors de ses premiers apprentissages.
Or, un apprentissage de la lecture, qui se fait à l’aide d’une méthode, de type syllabique, où la combinatoire n’est pas le résultat d’une analyse de textes lus, mais produite par association de lettres, rattachées aux sons de la langue parlée, peut entraîner une telle représentation de l’écrit, chez un enfant. Surtout chez ceux où on lit peu à la maison et qui n’ont pas eu l’occasion de faire des découvertes personnelles sur les "choses écrites".
Si l’on approfondit l’analyse, on peut aller jusqu’à dire que cette copie est bien représentative des conséquences possibles d’un enseignement de la lecture par le B.A.BA, non accompagné d’écrits vrais, — forme d'enseignement qu'il s'agit donc d'éviter, au moins au nom du principe de précaution !
On le voit très clairement : pour lui, l’écrit se fabrique à partir de ce que l’on entend à l’oral, — et c’est ce qu’on lui a dit à l’école. … Et c'est parce que ces règles de transcription, qu'il a reçues de l'extérieur de façon abstraite et sans liens avec ses propres observations, lui ont laissé une impression de complexité insurmontable, que «le n’importe quoi» est devenu pour lui la seule solution, quand il s’agit d’écrire.
Seuls ont été repérés l’emploi des guillemets qu’il manie avec plaisir semble-t-il, ainsi que quelques mots : «chien», «grand», «bout»… En dehors de cela, la seule chose qu’il a retenue du peu qu’il a dû lire, c’est bien une diversité ingérable des graphies possibles, sans qu’on lui ait fourni le moindre GPS pour s’y orienter.
Ce qui confirme cette hypothèse d’explication, c’est qu’il a dans l’oreille, non pas la valeur sonore des lettres,, mais tout simplement leur nom : s’il écrit «eseilla» et «je lèse tomber», c’est parce que, pour lui, il s’agit de la lettre « s », qui ne peut correspondre qu’au son [s] : il ne se pose même pas la question.
A partir de là, la distinction «orthographe grammaticale/orthographe d’usage» n’a plus grand sens. Il puise, au petit bonheur, dans le réservoir très fouillis des relations graphies-phonies qu’il a retenues et il écrit les mots comme il peut, sans faire intervenir leur rôle grammatical, dont, au surplus, on ne lui a guère parlé lors de ses apprentissages premiers.
Comment aider François à s'en sortir, et quel travail mener en classe, à partir d'une telle performance ?
Si l’on admet cette hypothèse, trois propositions sont à éliminer d'emblée :
1- lancer François dans une correction monumentale de son texte, ce qui ne pourra que le dégoûter définitivement d'écrire à l'avenir...
2- diagnostiquer une «dysorthographie» et chercher à «soigner» ce type de maladie, ce qui serait très probablement une énorme erreur, surtout si l’on songe aux travaux sur les effets de l’étiquetage (le fameux effet Pygmalion) sur les possibilités de réussite des élèves.
3- prévoir du soutien pour lui en particulier.
Solution, désagréable pour lui, humiliante et, pour ces raisons, sûrement inefficace.
En fait, pour ce qui est de la copie, la seule chose à faire est de lui rendre cette copie réécrite de façon lisible, et sans commentaires sur l'orthographe, afin qu'il oublie au plus vite ses graphies fantaisistes, mais sans oublier les remarques positives sur les qualités que la copie révèle et qui sont à la fois justes et nécessaires.
Pour ce qui est du travail d'aide à l'amélioration de ses performances à l'avenir, c'est tout un projet "orthographe" qu'il faut mettre en place, avec le reste de la classe, à qui cela ne peut que faire le plus grand bien.
L'objectif est évidemment de faire en sorte que les yeux de François (et des autres !) se rouvrent sur le fonctionnement de la langue française en situation de communication à distance.
Faire re-découvrir le fonctionnement de la langue écrite, cela ne peut se faire que par de nombreuses situations d’observation des textes qu’on lit en classe de lecture.
L’orthographe, — il faudra bien qu'on finisse par l'admettre —, c’est la face visible de ces formes langagières, et elles sont conçues précisément pour les yeux. C'est pour cette raison qu'elles contiennent toutes sortes de balises visuelles, destinées à favoriser la compréhension à l’écrit, de telles balises n'ayant aucune raison d’apparaître à l’oral, puisque la situation suffit en général pour comprendre l’essentiel des informations .
A l’écrit, en revanche, seuls les mots permettent de le faire. Il est donc nécessaire qu’ils contiennent davantage d’informations et les lettres prétendument « superflues » sont là pour cela.
C'est pour cela qu'il est essentiel que les enfants apprennent à lire en observant des écrits "vrais", comportant les marques orthographiques qui permettent de comprendre.
Et qu'on ne vienne pas parler ici de "méthode orthographiques", notion ridicule: si c'est une méthode, ça ne peut être que mauvais !! On apprend en situation véritable, pas autrement : on apprend à nager dans l'eau et non en dehors, et on apprend à lire dans les textes écrits en langue écrite, et non dans les "méthodes", orthographiques ou non !!
Ces observations du fonctionnement de l'écrit se feront en petits groupes, hétérogènes, avec ceux qui savent ou croient savoir : cela va les aider à asseoir un peu mieux ce qu'ils savaient un peu, et, contrairement à ce que d’aucuns pensent, revenir là-dessus ne leur fera nullement perdre du temps, au contraire.
Ces activités auront comme objectif de faire apparaître :
1- le rôle des marques orthographiques en lecture, avec, notamment, un travail sur les homonymes DANS LES TEXTES, et non de façon isolée (cent / sans / sang / s’en / … etc) ,
2- le rôle des marques orthographiques sur la signification des autres mots de la phrase ou du texte, comme «les tours sont terminés» / «les tours sont terminées», ou "les voiles sont noirs" / "les voiles sont noires".
3- Ensuite, on pourra travailler sur les correspondances phonies-graphies, à l’aide d’activités de classement de faits orthographiques, toujours dans des textes, sans se contenter de phrases (trop limitées), et, naturellement, jamais sur des mots isolés, en veillant à placer toujours les contre-exemples, indispensables à une compréhension véritable du fonctionnement, afin d'éviter toute mécanisation.
4- Parallèlement, on travaillera sur la manipulation du dictionnaire d’orthographe, de manière à rendre les élèves capables de l’utiliser en toute occasion d’écriture, avec comme objectif majeur d’installer chez les élèves le doute orthographique, et le réflexe de chercher des réponses dans de la documentation et non dans sa mémoire, dont on sait qu’elle est la chose du monde la plus infidèle…
Nourrir abondamment sa mémoire, mais apprendre à s’en méfier, c'est l'honnêteté, c'est la sagesse !
La morale de cette aventure ?
Comme le bon La Fontaine, qui se demandait : «quelle chose par là peut nous être enseignée ?», j'en vois deux :
* La première, c'est qu'une performance scolaire apparemment catastrophique ne l'est jamais complètement, et surtout n'a, pour l'immense majorité des cas, rien à voir avec une maladie. Elle est presque toujours le résultat d'un travail et d'un raisonnement, qu'il faut essayer de comprendre et de respecter, et dont l'origine est à chercher dans la manière dont les choses lui ont été présentées auparavant.
* La seconde, que ce n'est pas avec du "soutien", même personnalisé, — je dirais surtout s'il est personnalisé : on n'apprend pas tout seul, même si un adulte est en face !! — qu'on résoudra les difficultés, mais en travaillant autrement, et avec tout le monde, en utilisant les interactions entre élèves, dont on sait qu'elles sont infiniment plus efficaces que l'aide, si dévouée soit-elle, de l'enseignant.
On sait tout cela depuis bien longtemps...
Mais si, je vous l'assure !
Commentaires
1. Le dimanche 2 novembre 2008 à 16:17, par Laurent CARLE
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