Et j'y ajoute, en hors-d'œuvre, un savoureux bonus, signé Dominique Jamet, que j'offre à ceux qui n'ont pas emporté "Marianne" en vacances, avec le lien pour lire la suite :

Ce gouvernement n'est pas un gouvernement, c'est un complot Ce n'est pas une équipe, c'est une débandade. Ce n'est pas une politique, c'est une déroute. Ce n'est pas un ministère, c'est un hôpital...

Il s'agit de la réponse que Dominique Jamet imagine pour Victor Hugo à la question suivante :
Victor Hugo, quel jugement le sénateur inamovible que vous êtes porte-t-il sur l'actuel gouvernement ?
Et si vous voulez le reste de l'interview imaginaire, voici le lien :
http://www.marianne2.fr/Victor-Hugo-La-France-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde-Elle-le-doit-_a89517.html

Et voici l'énervement de Jean-Paul :

Darcos Xavier : 6 sur 20. Recalé !

Professeur retraité depuis deux ans, j’ai eu la chance d’enseigner dix ans dans un lycée bourgeois, seize ans dans un collège très populaire, puis, douze ans au sein de l’Université Lyon 1, où j’ai formé principalement de futurs professeurs d’éducation physique et sportive.
Si, dans le cadre du cours «d’analyse du système éducatif» dont j’ai eu la responsabilité, l’étudiant Darcos Xavier, inscrit en troisième année de licence, avait répondu à la question «Analysez les grands axes de la politique éducative du gouvernement actuel», par le texte qu’il a publié dans Le Monde daté du 18 juillet 2008, je n’aurais pas hésité à lui attribuer une note de 6 sur 20, avec comme annotation : Devoir bâclé, ne prenant pas en compte la complexité du système. Visiblement l’idéologie parasite vos capacités d’analyse !.
Si, contestant cette réaction, notre étudiant avait sollicité une relecture de sa copie et un entretien, je lui aurais montré le simplisme de ses réponses à partir des exemples suivants.

Croire que la suppression de la carte scolaire va diminuer les inégalités scolaires est au mieux angélique, au pire machiavélique. La première année d’une timide mise en œuvre de cette mesure montre déjà une accentuation de la ghettoïsation des établissements les plus en difficultés, ainsi qu’une montée en puissance (certes encore discrète) des lycées très demandés. Un récent rapport de deux inspecteurs généraux le confirme. La réponse attendue aurait été la suivante :
Derrière un objectif affiché, tiré d’une revendication progressiste, — réduire les inégalités sociales —, la suppression de la carte scolaire permettra aux enfants des classes moyennes de fuir légalement les rejetons des classes les plus pauvres. Parallèlement, quand elle est accompagnée d’un dispositif de type «discrimination positive», elle peut permette au patronat de ne pas se priver de compétences jusqu’ici oubliées dans les banlieues populaires, tout en améliorant, dans le même temps, l’efficacité et l’image de marque du monde de l’entreprise (soudain citoyenne)… ainsi qu’indirectement celle du Sarkozisme.
Croire qu’un accompagnement éducatif proposé aux «orphelins de seize heures», plus quelques cours de remise à niveau pendant les vacances scolaires, vont réellement diminuer l’échec scolaire est, pour le moins, naïf. Tout enseignant, un peu expérimenté, sait très bien que dès qu’une nouvelle offre de formation est proposée sous forme optionnelle, seuls les élèves (et les familles) qui en ont le moins besoin vont postuler. Il n’est pas nécessaire de maîtriser Bourdieu de A à Z pour ce se rendre compte que tout ce qui est facultatif risque d’accroître les inégalités, alors que seul ce qui est obligatoire a une (petite) chance de les réduire. Rien ne sert de rajouter deux heures de cours à ceux qui… de toutes façons ne voudront/pourront pas venir.
La priorité serait de tout faire pour lutter, en amont, contre la fabrication de cet échec et non de faire semblant de réparer les dégâts a posteriori.

Un étudiant, un peu au fait des stratégies cachées derrière les discours, aurait même pu rajouter que
Cette mesure, au-delà d’effets d’annonces non négligeables sur le terrain politique, a sans doute pour fonction discrète de préparer l’externalisation hors service public de certaines missions jusqu’ici confiées à l’école. Les collectivités territoriales dans un premier temps, les clubs et associations dans un second, puis, finalement, les entreprises privées sont et vont être sollicités pour se substituer à l’état.
Maîtrisant bien son cours, notre étudiant aurait rappelé ce qui fait l’originalité de l’école : s’adresser à tous les enfants de notre pays ; ce qu’aucun club, aucune association, aucun Bouygues, aucun Lagardère, a fortiori aucune «Star academy» ne fera jamais.

Evidemment, sa copie aurait du se situer face au célèbre slogan de la gauche des années quatre vingt : «Donner plus à ceux qui ont moins !». Les études les plus pointues en matière de lutte contre l’échec scolaire, notamment celles des équipes de l’Université Paris VIII, prouvent, d’une part, les limites des réponses scolaires face aux dégâts de la pauvreté et de la ségrégation sociale. Il est évident que l’école est bien plus malade du fait de la société, que la société n’est malade du fait de son école.
Pour autant, elles ont montré que le système éducatif avait sa part de responsabilité dans la fabrication de l’échec scolaire. Pour un enseignant de terrain, l’identification au quotidien, des causes qu’ont repérées ces chercheurs, comme la maîtrise des pistes qu’ils ont avancées, impliquent une formation des maîtres au plus haut niveau, de façon à apporter «Plus et mieux à ceux qui ont moins». Dans un tel contexte, tirer à boulet rouge sur les «pédagogistes» est faire preuve de simplisme. Après deux ou trois années de réflexion sur ce qui sera peut-être son futur métier, un étudiant sait très bien qu’un prof d’aujourd’hui se doit de maîtriser, de façon équilibrée, au moins quatre grandes compétences : épistémologique, didactique, pédagogique et éthique.

Il doit faire preuve d’un souci épistémologique dans le choix des savoirs qu’il va proposer aux apprentissages de ses élèves. Les programmes ne règlent pas tout… et heureusement. Chaque heure de cours, un enseignant privilégie, accentue, oublie, survole… Bref, il décide en matière de savoirs choisis ; certes sans toujours avoir conscience de ses choix. Les recherches montrent que tous les élèves ne sont pas égaux devant tous les savoirs proposés. Autrement dit, il existe des interférences complexes entre savoirs et histoires personnelles et collectives des élèves, que les enseignants ont beaucoup de peine à connaître et à maîtriser. Un exemple parmi d’autre : la pensée inductive des «pauvres» est passée un peu vite à la moulinette de la pensée déductive des «riches», sous prétexte d’orthodoxie universitaire. Autres exemples : le rap ou le slam illustrent bien ce que peuvent être, pour les enfants de «pauvres», des «portes d’entrées» vers la danse contemporaine ou la poésie. Evidement, il n’est pas question d’en rester là, sauf à vouloir masquer d’un ghetto culturel le ghetto social et urbanistique. «Portes d’entrées» veut bien dire qu’il s’agit de partir de… pour en partir!… Pour aller où?
Pas seulement vers ce qui est susceptible de servir à court terme… comme, par exemple, savoir remplir un constat à l’amiable, même pas vers les seuls «lire, écrire, compter», mais bien vers ce qui touche l’homme au plus profond de lui. Question trop complexe pour un étudiant débutant ! Passons !

Une copie de bon niveau aurait pu ensuite préciser qu’un maître d’aujourd’hui doit, parallèlement, savoir faire preuve d’un souci didactique à tous les instants de son action ; qu’il soit en cours, lors des longues séquences de correction de devoirs, voire en conseil de classe, etc. Il doit rechercher en permanence les écarts entre les savoirs enseignés (par lui) et les savoirs réellement appris (par ses élèves), sinon il se complet dans l’illusion pédagogique. Comment faire pour qu’un professeur s’interroge sur pourquoi un élève fait ce qu’il fait… y compris (voire surtout) quand cet élève ne fait pas ce le prof espérait qu’il fasse ? Autrement dit, en quoi, pour construire son enseignement, les erreurs de ses élèves en apprennent bien plus à un prof que leurs réussites ? Ce qui implique que ce dernier ait réfléchi à des questions complexes, mais décisives, comme «Qu’est-ce qu’apprendre ?». Selon les réponses construites lors de sa formation, sa façon d’enseigner ne sera pas la même.
La simple affirmation, qui semble faire l’unanimité des spécialistes, «Apprendre, c’est déconstruire pour reconstruire !» — phrase qui aura été travaillée par notre étudiant dès bac plus deux dans son cours de «théorie et pratique de l’enseignement» —, porte en elle la remise en cause radicale du concept de «socle commun», cher à un certain François Fillon, ex-ministre de l’éducation nationale ; concept, plus idéologiquement que scientifiquement fondé.

Pour éviter de tomber dans la fausse et stérile opposition entre «pédagogistes» et «partisans du savoir… pour le savoir», l’étudiant Darcos Xavier aurait du comprendre que le souci pédagogique n’est pas ce qu’il croit. A contrario, il aurait du montrer que ce dernier n’est en rien opposé aux autres soucis du métier de professeur. Il en est même l’une des conditions nécessaires… mais pas suffisante. Le souci pédagogique consiste, pour le professeur, à savoir créer et gérer les relations sociales entre les élèves, ainsi que les relations qui s’instaurent entre ses élèves et lui-même. Autrement dit, toujours tenter de socialiser en instruisant, ainsi que de toujours espérer instruire en socialisant. Au passage, il aurait pu se moquer un peu des éternelles tentatives pour revenir au «merveilleux temps jadis» de l’instruction civique. Certes, dire la morale ou l’écrire au tableau ne fait pas nécessairement du mal, car l’ignorance existe aussi en ce domaine. Mais faire vivre la morale en cours et à côté, avec les conflits et les tensions que cela suppose, démontre une autre efficacité.
Le souci pédagogique implique que tout enseignant soit fondamentalement convaincu que la gestion des relations sociales représente, à la fois, l’une des ses missions essentielles, en même temps que l’un des moyens clés mis à sa disposition pour réussir à enseigner ; c’est-à-dire transmettre des savoirs… et des valeurs.

Les valeurs !
L’analyse des effets du sarkozisme dans le système éducatif, par l’étudiant Darcos, a au moins le mérite d’ouvrir la problématique des valeurs, notamment à travers les questions du respect, de l’autorité, etc. Un analyste fin pointerait combien le discours officiel s’appuie ici sur des faiblesses réelles de l’école actuelle pour faire passer – par incompétence et/ou malignité – une idéologie ultraconservatrice. La dénonciation, bien avant mai soixante huit du modèle d’enseignement transmissif, mais massivement repérée par la suite – un prof parle devant des élèves, qui sont censés écouter, comprendre – a été à la source d’un énorme malentendu. Certains enseignants (semble-t-il assez peu nombreux) ont confondu abandon du modèle transmissif avec l’abandon de la fonction de transmission… notamment de celle des valeurs. L’inconvénient est que faute d’une formation professionnelle efficace ces enseignants, parfois innovants, souvent volontaristes, quelques fois apprentis sorciers, ont été laissés bien seuls. Des méthodes actives, ils n’ont retenu, notamment, qu’une forme de travail en ateliers, qui faute de contraintes précises données aux élèves, s’est souvent transformée en «chantiers»… L’institution avait oublié qu’enseigner s’apprend, donc s’enseigne !

Deux ans après son bac, un étudiant est parfaitement capable de comprendre qu’un enseignant, qu’il le veuille ou non, est porteur de valeurs. Il comprend aussi très vite qu’un prof intervient dans un système complexe et que la connaissance de ce contexte – au sens très large – s’appuie sur un souci éthique qu’il se doit de travailler da façon approfondie… et très tôt dans sa formation. Pour un futur prof d’aujourd’hui, il est vite évident que les questions éthiques en général, ainsi que celles plus directement liées à son métier, sont à creuser dès le début de sa formation ; ce que, finalement, il découvre et vit avec beaucoup d’intérêt, voire de passions. Si son centre de formation (IUFM, Université, etc.) décide, en plus, de dire ce qu’il fait et de tenter de faire ce qu’il dit - autrement dit de mettre en œuvre dans la formation des futurs profs ses propres propositions de formations des élèves - la situation s’éclaire d’autant plus vite pour lui.
Un étudiant comprend que, si enseigner c’est «agir dans l’urgence et décider dans l’incertitude», comme l’a résumé Philippe Perrenoud, cela implique pour lui une formation qui passe, notamment, par la déconstruction de certaines de ses images de l’enseignement pour en reconstruire de nouvelles, beaucoup plus fondées sur les plans technique, scientifique et… éthique.

Face à l’étudiant Darcos, meurtri par un 6 sur 20, je déciderais sans doute de ne pas aller plus loin dans la démonstration du simplisme de ses réponses… Pourtant, ce n’est pas la matière qui manque… ni l’envie.

Et puis, soudain je me réveillerais.
Je ne suis plus professeur à l’UFRSTAPS de Lyon, où toutes les pistes ici rapidement suggérées, notamment en matière de formation des maîtres, ont été — et pour certains sont encore — des réalités et non de simples pistes ou revendications, pouvant apparaître comme totalement utopiques. J’ai effectivement eu la chance d’enseigner à des étudiants qui, deux ou trois ans après leur bac, étaient capables d’analyser le système éducatif avec plus de pertinence que Monsieur Xavier Darcos, dont je découvre, sortant enfin de mon cauchemar, qu’il n’est pas étudiant, mais bien ministre de l’Education Nationale.
Et je tremble… de peur et de rage.
Jean Paul Julliand,
Enseignant retraité.