Décidément, Malherbe, Vaugelas et les autres auront fait bien du mal, non seulement à la langue française, qu'ils ont momifiée et emprisonnée dans des principes, à la fois ridicules, contre nature et socialement inadmissibles, mais aussi à tous ceux qui, forts de leurs trois sous de culture, les ont pris pour oracles — non sans contre-sens, par dessus le marché.
On cite toujours, comme la preuve d'un désir de clarté quasi "démocratique", la célèbre allusion du non moins célèbre François, aux "crocheteurs de Port aux foins", en oubliant qu'il ne s'agissait nullement de voir un modèle dans leur façon de parler, mais de s'exprimer de façon à être compris d'eux.... quand on s'adressait à eux, ce qui, de fait, était relativement rare, et, chose plus rare encore, dans un rapport de conversation d'égal à égal !
Quoi qu'il en soit, véritablement ennemi de la fantaisie, Malherbe a défini — et pour longtemps : il nous en reste quelque chose, la preuve ! — ce qu'il appelle "la bonne langue", celle, bien sûr, qui est issue de l'aristocratie... (on est loin de la vision démocratique qu'on lui prête !).

Laissons la parole à quelqu'un qui sait de quoi il parle : Claude Hagège, dans son passionnant ouvrage : "Le français : histoire d'un combat" (Editions Michel Hagège - la Cinquième)
Son fameux Commentaire sur Desportes ouvre le règne de la grammaire, qui, en France plus qu'ailleurs, sera long et autoritaire. Malherbe considère que des règles infaillibles dominent la langue. Il rejette les emprunts, que ce soit de mots comme « cave » (=creux), ou d'expressions comme « larges pleurs », ou de constructions de phrases qui sont « bonnes en latin », mais « ne valent rien en françois ». I1 condamne les mots dialectaux : "jà", "gonflé", "poursuivir" sont des vocables issus de parlers locaux, donc à bannir du langage courtisan. Il réprouve également les termes techniques, l'abondance des dérivations savantes, l'envahissement de l'italianisme et de la préciosité. Son premier travail consiste à écarter ces éléments étrangers, et les néologismes comme "porte-ciel", "blond-dorez", etc. Il débarrasse la langue des noms tirés d'adjectifs : ce n'est pas parce qu'on peut dire "la belle", qu'on doit dire "la dure". Par la suite, Malherbe fait une distinction entre les catégories de mots : il y a désormais les mots nobles et les mots bas, dont la haute poésie ne peut s'accommoder. Parmi les mots bas figurent : "chose", "poitrine", qui deviennent donc suspects. Durant plus d'un demi-siècle, le mot "poitrine" est tout bonnement abandonné par les écrivains (!??!). Travailleur acharné, Malherbe, quelles que soient les catégories grammaticales — genre, nombre, cas, degré des adjectifs, personne, temps, mode — les a toutes disséquées, retouchées, corrigées. Désireux de se faire entendre du plus grand nombre, il réclame un vocabulaire purement français.

Certes, malgré certains relents FN, — qui ne doivent pas déplaire à tout le monde — il convient de re-situer ces théories dans leur contexte historique, où elles ont une réelle justification. L'erreur a été de les considérer comme définitives, ce qui a eu pour résultat de mettre le rayonnement de la langue française en très grand danger.
Pour ce qui est de la francophonie, l'une des conséquences les plus désastreuses des principes malherbiens, c'est une hantise quasi maladive du jargon... Si bien que depuis le 17ème siècle, tout terme technique est devenu jargon aux yeux de la secte des intégristes du langage. Attention !! Pas n'importe quels termes techniques : ceux que je n'utilise pas, uniquement... Ceux de mes propres domaines, ceux auxquels je suis, moi, habitué ne sont évidemment pas du jargon.
Comme il y avait, pour Malherbe, des mots nobles et des mots bas, il y a pour ces puristes-intégristes (mais peut-on être puriste sans être intégriste ?) des termes techniques "nobles", donc admis, et des termes techniques pas nobles du tout, ceux que proposent avec les Sciences du langage, les pédagogues, qui essaient de donner un peu de sens aux effarants galimatias de la grammaire officielle, dont la prétendue simplicité repose uniquement sur l'habitude que les adultes en ont, et qui ne peuvent résister à un examen un peu sérieux.
Personne, en effet, que je sache, n'a jamais protesté contre "asymptote", "épitaxie" ou contre les "composés semi-amphiphiles", non plus que contre "l'accrétion" ou "l'asthénosphère" qu'il ne faut pas confondre avec "la lithosphère".
C'est que ces mots sont indispensables à traduire des NOTIONS qu'aucun terme dit "de tous les jours" ne saurait traduire.
On oublie, en effet, que les mots d'une langue ont pour rôles (entre autres) de traduire, pour en permettre la communication, deux sortes de "choses" (Malherbe, si tu me lis, excuse-moi pour ce mot "bas" !) :
1- des données de l'expérience, objets, sensations, sentiments etc.
2- des données abstraites, résultats d'analyses de l'esprit, que l'on appelle des notions et des concepts.
Les mots de la première catégorie sont aisés à comprendre, et ils ont même pour effet d'enrichir ces données de l'expérience, comme André Martinet et d'autres l'ont bien mis en évidence.
Mais ceux de la seconde catégorie ne peuvent traduire une notion que si celle-ci a été construite, puisqu'elle n'appartient pas à l'expérience.
Si tel n'est pas le cas, et si le nom qu'on lui a donné appartient au vocabulaire courant et connu de l'élève, le sens habituel va faire obstacle à la compréhension et plus encore à la construction de la notion.
C'est pourquoi, dans toutes les sciences, les termes, qui traduisent les notions qu'elles proposent, doivent être en dehors du vocabulaire courant.
C'est aussi pourquoi, les enseignants savent bien que les mots difficiles en maths ou en sciences, sont les mots connus autrement : le mot "asymptote", une fois que je sais à quelle notion il renvoie, ne présente plus aucune difficulté, car il signifiera toujours la même chose.
Il n'en est pas de même mot "volume", que je ne peux interpréter qu'en relation avec le type d'écrits où il se trouve : ouvrage de géométrie, description d'une bibliothèque ou mode d'emploi de ma nouvelle télévision etc. Or, ceci est très contraire aux représentations spontanées des enfants et difficile pour eux à comprendre.
Il n'y a donc pas de rigueur scientifique sans termes inventés.

Décrire le fonctionnement de la langue est une activité scientifique, mettant en jeu des notions et des concepts qui ne vont pas de soi, et qu'il importe de nommer de façon rigoureuse si l'on veut que les enfants y comprennent quelque chose !
Or, la terminologie grammaticale officielle est un monument de n'importe quoi.
Juste un exemple (mais il y en a mille autres) : les nouveaux programmes du primaire officialisent le mot de "voix" pour désigner l'opposition actif / passif. En vérité, il y a là de quoi rigoler doucement (avant d'éclater de rage !) : quel rapport ce terme qui désigne un fonctionnement très particulier du système verbal grec ancien, peut-il avoir avec une opposition de formes de phrases spécifiques du français ? Et en quoi va-t-il pouvoir aider les enfants à comprendre de quoi il s'agit ?
Quand un terme technique renvoie à autre chose que la notion à traduire (pour nos gamins, une "voix", c'est vraiment autre chose !), on peut dire qu'il est mal choisi et qu'il est mille fois préférable de le remplacer par n'importe quel autre mot, pourvu qu'il n'y ait plus d'ambiguïté !! Avec B. Combettes, le terme de "forme", que nous proposons, a le mérite d'avoir un sens habituel qui correspond à sa signification grammaticale : chacun des types de phrases peut avoir diverses formes, parmi lesquelles le fait d'être active ou passive (mais aussi négative ou affirmative, personnelle ou impersonnelle, etc.).
Les ricanements de l'auteur du billet évoqué plus haut portent sur le terme d'adjuvant dans l'étude des récits. On sait que le héros, dans tout récit, se heurte à des obstacles et est soutenu par diverses formes d'aide : fées ou bons génies, mais aussi rencontres inopinées, armes inattendues, soleil opportunément dans l'œil de l'adversaire etc. Il est clair que le mot "aide" ne peut traduire tout cela. "Adjuvant" n'est pas si mal trouvé et grâce à ce mot nouveau, les élèves peuvent savoir que l'on est dans le "méta-savoir" (= le savoir sur le savoir), et non dans la conversation courante...
Quant à cette merveilleuse fonction "phatique" du langage, dont la définition est tout bonnement de "créer des liens", comme disait un certain renard, elle n'avait pas de nom... Celui qui lui a été offert par le grand linguiste R. Jakobson est joli comme tout, et tant pis pour l'auteur du billet, si ce mot ne faisait pas partie de son vocabulaire.

Ce que je ne connais pas est sans intérêt : telle est la morale qui se dégage des ricanements de notre journaliste... Pas jolie, jolie, cette morale ! Et surtout pas évidente pour motiver des apprentissages !
Mais, au fait, n'est-ce pas fort cohérent avec le reste ?
A quoi bon faire connaître, faire comprendre, et développer la rigueur, le sens des différences, la méfiance des évidences...?
Bien encombrants, des gens qui maîtrisent tout ça !

Finalement, ce n'est peut-être pas aussi "n'importe quoi" qu'on pourrait le penser...