Un cours magistral, à quoi ça sert ?
Par Eveline, samedi 24 mai 2008 à 10:54 :: Education, Ecole et Pédagogie :: #77 :: rss
Un des propos de Claude Charbonnel dans son commentaire, — lequel mérite vraiment qu'on s'y attarde —, m'inspire un nouveau billet sur le cours magistral, autre sujet d'idées reçues pas toujours claires...
La vérité, celle que j'ai pu observer après X tentatives pour faire la classe "autrement" sur plusieurs années en collège, en lien constant avec les collègues, avec des objectifs clairs, une évaluation régulière de nos pratiques, avec vous-même comme mentor(e), est qu'un élève en difficulté est demandeur de cours directifs.
Cette affirmation de notre collègue, nul ne songerait à la contester. Bien sûr que les élèves, en difficulté ou non, jeunes ou vieux, y compris les collègues en formation dite continuée, réclament des cours directifs !
Pourquoi ??
Parce que ce serait plus efficace pour eux ? Pas du tout ! De nombreux travaux ont prouvé le contraire.
Tout simplement, parce que c'est infiniment plus reposant qu'un travail de groupes (y compris pour le prof, du reste!).
Ecouter un cours, cela permet de penser à autre chose : c'est de l'évasion pure, doucement bercée par la musique du discours, généralement excellent, que diffuse la voix de son maître.
Si l'on a été attentif (ce qui peut arriver...), on en retient environ 10% ; et si l'on s'est laissé aller à une rêverie personnelle, on ne retient que la belle musique, mais rien des paroles.
Je peux appuyer cette affirmation d'une anecdote personnelle.
Avant 1968, je faisais bien sûr la classe avec des cours, dûment préparés, et que j'essayais de rendre aussi brillants que possible.
Ce jour-là, devant mes élèves de première (on préparait au bac dans les Ecoles Normales à cette époque), je faisais un cours sur Blaise Pascal, le cours de présentation de cet auteur inscrit au programme de l'épreuve de français du bac. Passionnée comme je l'étais (et comme je le suis toujours malgré les ans !), je faisais un cours lyrique sur la vie de ce grand homme évoquant avec enthousiasme les multiples facettes de son génie et le courage avec lequel il supportait de terribles souffrances physiques.
Les élèves prenaient sagement des notes... Mais, au bout de trois quarts d'heure, j'ai eu l'impression que l'une d'entre elles n'avait pas écrit beaucoup. Un peu inquiète, je me suis approchée et j'ai jeté un coup d'œil sur ce qu'elle écrivait. Sur sa feuille très blanche s'étalaient en haut ces simples mots : "Pascal : toujours malade".
C'était tout ce qu'elle avait retenu de mon brillant discours !
J'ai sondé, ce jour-là, l'immense abîme qui sépare nos attentes de prof avec nos illusions, et ce que les élèves gardent de nos cadeaux...
Question : faut-il alors supprimer complètement les cours magistraux ?
Bien sûr que non.
Mais leur place et leur rôle dans l'acte d'enseignement n'est pas celui que propose le "modèle" transmissif.
Un cours magistral, comme une conférence, c'est une forme de documentation, plus agréable souvent que la lecture d'un livre ou d'un article, mais dont l'apport est exactement du même ordre : celui d'une information ; jamais celui d'une connaissance.
Rappelons, pour ceux qui l'auraient oubliée, la différence qui sépare une "information" d'une "connaissance" :
Alors qu'une information reste extérieure à la personne, et ne peut être que reproduite telle quelle, une connaissance est une information traitée, c'est-à-dire qu'elle a été intégrée au réseau de connaissances déjà construites, et sa maîtrise se révèle par la possibilité d'être utilisée autrement qu'elle n'a été reçue, — ce qu'on appelle "réinvestie"—.
Une connaissance ne peut donc être que construite par celui qui apprend, même si elle a pour origine une "information" trouvée dans un texte écrit, ou entendue sous une forme orale.
Cette construction présente deux caractéristiques essentielles :
1- elle ne saurait être le fait d'une simple mémorisation et pas davantage le résultat d'exercices d'application, puisque sa maîtrise se révèle par la possibilité d'être utilisée autrement qu'elle a été reçue.
2- elle ne peut se faire spontanément après le cours (et encore pas chez tous les élèves !) que si celui-ci a répondu à un questionnement antérieur.
Donc si l'on veut que tous les élèves parviennent à transformer l'information reçue en connaissance, il faut, par du travail, provoquer ce questionnement. Comme disent les spécialistes, provoquer le "conflit socio-cognitif" passage obligé de tout apprentissage.
Faire un cours alors, même dans ces conditions, n'est-ce pas fourrer un peu de "transmissif" dans le modèle, et donc mélanger deux modèles ?
Justement, pas du tout. Il n'y a même aucun rapport.
Ce qui ressemble ici au CM du modèle transmissif a des contenus et un rôle complètement différents:
1- Il est bâti à partir des trouvailles des élèves qui ont cherché lors du travail de groupes qui a précédé et non à partir des conclusions de celui qui sait.
2- Il se présente comme une mise en forme de ce qu'ils ont dit afin de favoriser la compréhension de ce qui s'est passé et la formulation des règles dégagées.
3- Ce n'est pas un moment en plus du travail : il en fait partie et il correspond à une étape essentielle de l'apprentissage, l'étape de socialisation du savoir, indispensable à sa re-personnalisation par les élèves.
Faire en sorte que les élèves apprennent quelque chose de nouveau, implique en effet :
* que l'on prenne appui sur ce qu'ils savent déjà (leur savoir personnel),
* que l'on propose une situation problématique qui va faire apparaître les limites de ce savoir personnel et motiver l'apprentissage (d'où : dépersonnalisation du savoir),
* mais, — et c'est pour cela que le travail doit absolument se faire en groupe — qui va permettre en même temps une socialisation du savoir qui a été remis en question durant la recherche en petit groupe, puis durant l'échange en grand groupe, socialisation qui, seule, va rendre possible une nouvelle personnalisation du savoir.
* Précisons enfin que ce sont les situations de réalisations de projets, par les réinvestissements qu'elles demandent, qui vont réellement fixer ces savoirs nouveaux.
Où l'on voit bien que les étapes sont indispensables et que les échecs observés viennent non point du modèle, mais de la façon incomplète avec laquelle il a été mis en œuvre.
Si l'on manque une étape, si l'on néglige une des conditions, on détruit la cohérence du travail avec les buts visés, on détruit le modèle et l'évaluation n'a plus de sens.
C'est pour cela que nous pouvons dire qu'un modèle ne peut être mixé... Cela n'a rien d'une interdiction : c'est un fait.
Faire la classe exige qu'on prenne ensemble tous ces aspects : les fameuses trois dimensions de l'apprentissage :
1- la dimension affective, que l'on satisfait si l'élève est considéré comme une personne à part entière, dont les savoirs sont à respecter, même s'ils sont erronés au regard de la science, et dont les difficultés d'avoir à apprendre sont partagées et soutenues dans une relation de solidarité et d'entr'aide mutuelle ;
2- la dimension cognitive, que l'on satisfait si l'élève a la possibilité de comprendre ce qu'on lui fait faire, à quoi ça sert, et comment ça marche ;
3- la dimension opératoire, que l'on satisfait si l'élève a la possibilité de mettre à l'épreuve, en vraie grandeur, ce qu'il apprend, afin d'en mesurer la pertinence et l'utilité, et si des liens sont ainsi créés avec la vie extérieure à l'école.
La vraie difficulté, c'est le "ensemble"... Un adverbe décidément bien difficile à intégrer !!
Commentaires
1. Le dimanche 25 mai 2008 à 17:51, par Laurent CARLE
2. Le dimanche 25 mai 2008 à 21:32, par ostiane
3. Le lundi 26 mai 2008 à 09:47, par Eveline
4. Le lundi 26 mai 2008 à 17:25, par Charbonnel
5. Le lundi 26 mai 2008 à 23:05, par ostiane
6. Le mercredi 28 mai 2008 à 14:49, par Laurent CARLE
7. Le samedi 12 juillet 2008 à 16:44, par Pierre-André Clerc
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