Apprendre à écrire ou faire des rédactions ?
Par Eveline, vendredi 9 mai 2008 à 17:28 :: Education, Ecole et Pédagogie :: #74 :: rss
Chacun des chapitres de ces nouveaux programmes est une source d'étonnements toujours renouvelés. Il faut accorder une mention particulière à celui qui concerne l'écriture. Le souci à la fois de simplifier les choses (qui conduit régulièrement à les compliquer) pour revenir aux recommandations des années 30, et retrouver le terme de "rédaction", aux parfums si délicieusement nostalgiques, a conduit les auteurs à deux bévues assez graves : une confusion, celle de la maîtrise de l'écriture manuelle avec la maîtrise de l'élaboration de textes écrits et un oubli monumental...
Il se trouve, en effet, que le verbe ÉCRIRE, en français, recouvre deux acceptions, fort différentes. Cela n'est pas nouveau : l'immense majorité des mots français présente cette caractéristique. Mais pour ce qui est du travail d'enseignement, c'est assez fâcheux, dans la mesure où cela cache que l'apprentissage de l'écriture se divise en fait en deux sortes de savoirs différents, souvent réunis dans la plupart des situations sociales, mais qui mettent en jeu des compétences complètement différentes requérant des apprentissages distincts.
Savoir graphier, c'est-à-dire savoir tracer, avec des outils divers, et sur divers supports, les signes de l'écrit de manière à pouvoir être lu, est une activité perceptivo et psycho-motrice.
Savoir produire un écrit dans une situation de communication différée, de façon à transmettre un message à des partenaires absents, est une activité psycho-et socio linguistique.
C'est dire qu'il y a là deux apprentissages différents, qui n'ont que peu à voir l'un avec l'autre, et qui doivent donc occuper des moments distincts de l'emploi du temps.
Tout comme c'était le cas dans les IO de 1923 ( mais elles avaient une excuse : les travaux sur la communication n'étaient pas commencés !) cette distinction est ignorée de ces nouveaux programmes, pour qui il suffit de travailler l'acte graphique aux cycles 1&2, pour passer sans transition à des exercices de copies puis à des productions d'abord de phrases, pour arriver enfin à des textes (toujours petits d'abord !).
On a là sans nul doute l'explication de l'extrême faiblesse d'écriture (faiblesse maintes fois dénoncée depuis quarante ans), des adultes d'aujourd'hui, piètres lecteurs, mais plus piètres scripteurs encore. Et si l'on n'est pas convaincu de cette médiocrité, il n'est que de songer à ce qui se passe, par exemple, dans une réunion syndicale, politique ou professionnelle, lorsqu'on demande un secrétaire de séance : si vous voulez perdre deux heures vous n'avez qu'à attendre qu'un volontaire se propose... ! Personne n'est dupe en réalité : par delà les bonnes raisons personnelles invoquées pour décliner l'invitation, c'est le non-maîtrise de la chose qui en est la vraie cause...
Et de fait où aurait-on appris à faire un rapport de réunion ? On voit mal en quoi le fait de faire, dans une rédaction, le récit d'une promenade en forêt ou la description de son animal favori, aurait pu développer les compétences nécessaires à la rédaction d'un tel rapport !
Je propose ici un premier billet d'analyse de la conception de la production d'écrits (le second sens du verbe "écrire"), telle qu'elle apparaît dans les programmes, avec surtout cet oubli, inadmissible de la part d'un texte officiel, qui raye de façon incompréhensible quarante ans de travaux sur la communication et le fonctionnement de la langue, celui de la dimension sociale du langage (un rien, comme on voit !) totalement absente de tout le texte.
Produire un texte, c'est, selon les auteurs de ce texte, rédiger des phrases qui s'ajoutent les unes aux autres, pour former des textes, toujours petits avant de grandir — très lentement ! —. mais sans l'ombre de la moindre allusion à une situation de communication. Le langage, ici ne sert qu'à obtenir une note, mais n'a rien à voir avec le fait de communiquer ou de s'exprimer
Pour ceux qui craindraient une quelconque exagération de ma part, voici le texte même des compétences attendues fin CE1, suivi de celles de la fin CM2.
A la fin du CE1, les enfants doivent savoir :
* Copier un court texte (par mots entiers ou groupes de mots) en respectant l'orthographe, la ponctuation, les majuscules, et en soignant la présentation. En particulier, copier avec soin, en respectant la mise en page, un texte en prose ou poème, appris en récitation ; réaliser un dessin pour l'illustrer.
* Ecrire sans erreurs sous la dictée des phrases ou un court texte (5 lignes) préparées ou non, en utilisant ses connaissances orthographiques et grammaticales.
* Concevoir et écrire de manière autonome, une phrase simple, cohérente puis un texte narratif ou explicatif de 5 à 10 lignes
* Relire sa production et la corriger ; corriger, en fonction des indications données un texte copié ou rédigé de manière autonome.
A la fin du CM2, ils doivent savoir :
* Dans les diverses activités scolaires, prendre des notes utiles au travail scolaire.
* Maîtriser la cohérence des temps dans un récit d'une dizaine de lignes.
* Rédiger différents types de textes, d'au moins deux paragraphes, en veillant à leur cohérence, en évitant les répétitions et en respectant les contraintes syntaxiques et orthographiques ainsi que la ponctuation.
* Ecrire un texte de type poétique en obéissant à une ou plusieurs consignes précises.
Outre l'absence totale de logique dans cette énumération (quel bazar, passez-moi l'expression !), et l'obsession quasi maladive de la quantité, on est frappé par les choix de vocabulaire, comme toujours extrêmement révélateurs. On retrouve essentiellement les formules : copier, sans erreurs, respecter, obéir, corriger, soigner, copier avec soin...
Soumission et sanction !!
Et l'on dira ensuite que ce sont les pédagogues qui fonctionnent à l'idéologie ? S'il n'y en a pas ici, qu'est-ce que c'est, alors ?
On notera que la seule situation sociale (scolaire) envisagée est la prise de notes, durant les cours ce qui implique deux remarques :
1- l'enseignant fait donc des "cours"... à l'école primaire !!!
2- il n'est pas dit quand les enfants vont apprendre à prendre ces notes...
La question essentielle reste donc : Qu'y a -t-il à apprendre pour devenir capable de produire les écrits, que la vie sociale, scolaire et personnelle exige de nous chaque jour ?
Car il est là, l'objectif : il ne s'agit pas seulement de devenir capable d'aligner quelques paragraphes sur un sujet quelconque, mais bien de pouvoir produire les écrits scolaires (solutions mathématiques, interrogations écrites d'histoire ou de sciences, comptes-rendus de TP, dissertations etc.) et professionnels (rapports, comptes-rendus, synthèses, articles de presse, motions, courrier administratif, etc.), sans oublier tous les écrits d'expression personnelle, littéraire et poétique, qui attendent chaque élève et chacun des citoyens qu'ils deviendront.
Comme pour la lecture, il n'existe aucun apprentissage "avant", qui serait valable pour toutes ces situations. Les compétences qu'elles requièrent ne peuvent être acquises qu'en situations véritables, en écriture de projets sociaux effectifs.
Pour atteindre cet objectif, que propose-t-on ? Un entraînement à la rédaction.
Qu'est-ce qu'une rédaction ?
La production d'un texte à propos duquel on fournit la seule information (son sujet) qui n'aide en rien cette production.
Comme on sait, un texte n'est jamais caractérisé par son sujet, mais par la situation de communication qui l'a rendu nécessaire. Qu'il s'agisse de raconter, d'expliquer ou de décrire, ce qui permet de définir les choix langagiers, et l'organisation du texte, ce ne sont ni les règles de grammaire, ni celles d'orthographe, ni la question de la cohérence, — toutes données qui joueront, certes, un rôle, après, dans un second temps —, mais bien les réponses aux questions suivantes : qui parle, à qui, où et quand et surtout, pour obtenir quel résultat ?.
Apprendre à les poser et à y répondre, ce n'est possible que si les enfants commencent par des situations en vraie grandeur, dont les enjeux sont aisément repérables par eux-mêmes, et s'ils ont pu eux-mêmes découvrir l'importance de ces données et transformer ces découvertes en règles d'écriture archivées dans leurs "outils pour lire et pour écrire".
C'est dans des situations de communication sociale que peut être construite la notion de variations langagières — capitale pour la maîtrise de la langue, dont résonnent pourtant ces "nouveaux" programmes, à grand renfort de formules pompeuses et mensongères.
C'est là seulement que les enfants vont pouvoir apprendre "comment ça fonctionne", pour ensuite pouvoir s'amuser à "faire semblant", c'est-à-dire, à s'entraîner (mais oui !) sur des situations simulées —, non des "rédactions" à sujets, mais des situations-problèmes d'écriture, qui consistent à produire des écrits en imaginant telle ou telle situation, pour tel ou tel destinataire, avec tel ou tel type d'enjeu.
S'entraîner, activité indispensable à la maîtrise, cela fonctionne toujours comme un jeu, où l'on imagine des problèmes à résoudre : qu'il s'agisse du foot, des échecs ou des apprentissages scolaires, la nature des entraînements est toujours la même : reprendre des points précis des situations vraies et imaginer de façon ludique des difficultés particulières, liées à des situations précises, dont il s'agit de trouver les moyens de les surmonter.
En matière d'écriture, il s'agit de s'entraîner à partir d'un même sujet, à écrire des textes différents en faisant varier les destinataires et les enjeux. Par exemple, pour décrire une même forêt, on va inviter les élèves à :
1- en faire une description, telle qu'elle pourrait apparaître au début d'un roman policier en imaginant qu'un crime affreux s'y est produit
2- en faire une description telle qu'elle apparaîtrait dans un prospectus du Syndicat d'Initiatives du coin, pour inviter les touristes à venir la visiter
3- en faire la description que pourrait en donner un ouvrage de géographie qui la trouve représentative des paysages de cette région.
4- en faire la description humoristique d'une personne qui raconte dans une lettre à des amis, comment elle a pu s'y perdre... etc.
Toutes ces situations sont avant tout ludiques (un entraînement doit être une occasion de s'amuser, sinon, c'est un pensum : ce n'est pas un entraînement !) et sont les moments où les stratégies pour surmonter les difficultés rencontrées sont confrontées et analysées ensemble, pour être objets d'appropriation : chacun des élèves est ainsi enrichi par le groupe tout entier.
Seule une rigoureuse articulation entre des situations sociales d'écriture en projets, et du travail d'entraînement à la variation langagière, adaptant les types d'écrits, leurs formes textuelles et les choix syntaxiques et lexicaux aux variations de situations diverses, — à condition aussi d'appuyer ce travail d'entraînement sur une étude approfondie du fonctionnement (notamment social) des textes et des mots (la vraie "grammaire" !) — peut permettre à tous les élèves d'acquérir les compétences d'écriture qui définissent l'authentique maîtrise dont se réclament ces programmes.
Alors, ou bien ils mentent dans l'énoncé de leurs objectifs, ou bien ils maîtrisent vraiment mal la mise en relation des buts et des moyens... Dans les deux cas, on ne peut qu'être inquiets.
Commentaires
1. Le mardi 13 mai 2008 à 07:46, par Christian Montelle
2. Le mardi 13 mai 2008 à 09:28, par Eveline
3. Le mardi 13 mai 2008 à 12:02, par Christian Montelle
4. Le vendredi 26 mars 2010 à 09:31, par Maeline
5. Le dimanche 4 novembre 2018 à 07:01, par Ninon
6. Le dimanche 18 novembre 2018 à 08:31, par Emmy
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