Voici le mail de Lulu :
Après ces véritées pédagogiques de comptoir, pouvez-vous nous expliquer l'intérêt pédagogique de faire "Lire" les étiquettes, prénoms, mois, jours, ou de la "discrimination des mots" à des gamins entre 2 et 5 ans, si ils n'ont auparavant appris à lire "correctement" ? Cordialement.

C'est un mail qui me fait furieusement penser à la grand-mère qui avait interdit à son petit fils d'entrer dans l'eau tant qu'il ne saurait pas nager...
Plaisanterie mise à part, notre correspondante semble avoir oublié deux choses essentielles :

1- L'enfant, quel que soit son âge, n'est jamais "vide" : dès la période intra-utérine, il a construit des savoirs et ces savoirs vont faire l'objet tout au long de sa vie de constants réajustements, qu'on appelle les "apprentissages".
2- On ne peut apprendre qu'en prenant appui sur ce que l'on sait déjà : apprendre, ce n'est pas combler des manques, c'est transformer des savoirs

Or, la chose écrite est présente partout dans la vie d'aujourd'hui, dans la rue, sur la table où l'on prend ses repas, dans la cuisine où ils sont préparés, sur l'écran de télé etc. et dès leur plus jeune âge, les enfants ont construit des "savoirs" sur tous ces écrits : ils ont des repères à eux — qui, bien sûr sont imparfaits et loin du "savoir lire" — mais qui en font partie, et notamment, qui appartiennent déjà à ce que nous nommons "le comportement de lecteur".
Toutes les mamans savent bien que leur enfant très tôt sait reconnaître la marque de son cacao préféré et même, est tout à fait capable de le trouver dans les rayons du supermarché.
C'est donc sur ces repères qu'il faut s'appuyer pour démarrer l'apprentissage de la lecture.
C'est pourquoi, nous conseillons aux collègues de commencer par faire l'inventaire des types de savoirs que les enfants possèdent (ils sont différents d'une région à l'autre : en zone rurale, les petits arrivent, par exemple, avec des "connaissances" sur les produits de la ferme ; ailleurs, ce sont les héros de BD ou de dessins animés qu'ils sont capables de reconnaître ; tel bouchonnet, fils de garagiste, connaît sans ereurs les marques d'automobiles etc.)
Et c'est, à partir de ces pseudo-savoirs, que l'on va pouvoir travailler, entre autres, sur les lettres qui les composent, comparées à celles de leurs prénoms ou de leur ville.
Parallèlement, on va raconter des histoires, chanter des chansons, dont le texte écrit fera l'objet d'observations, où des lettres seront repérées, car déjà vues dans les enseignes et autres produits observés auparavant.
C'est ainsi que le fonds linguistique de mots et de signes de l'écrit (lettres, signes de ponctuation, mises en page etc...) va progressivement d'étoffer, se structurer et se transformer en savoirs effectifs.
L'ordre prétenduement logique (du simple vers le complexe) n'a rien à voir avec le fonctionnemet de l'esprit humain ni avec celui des apprentissages : le simple étant, et de loin, ce qui est le plus difficile. Ce qui est facile pour l'enfant, c'est ce qui appartient à son environnement... Et ce qui appartient à son environnement est nécessairement complexe (le "simple" n'appartient pas à l'expérience : il est le résultat d'une analyse, donc d'une abstraction).

Il faut connaître l'eau et avoir résolu les problèmes qu'elle pose, pour pouvoir apprendre à nager... Il faut être plongé dans la chose écrite, la vraie, pour pouvoir apprendre à lire. Beaucoup de gens l'ont dit et prouvé par leurs travaux, avant moi.