Voici la question de Loki :
Apprend-on encore aux enfant à lire au primaire aujourd'hui? Ou est-ce que le primaire est devenu l'antichambre de cette "fabrique du crétin" (comme dit l'autre) ?
Je réponds tout de suite : "Bien sûr, on enseigne la lecture, ou plutôt, on on croit l'enseigner, et, en plus, on le fait avec ardeur."
Le problème, c'est que la pression qui a toujours existé contre ceux "qui suivent une autre route" conduit plus que jamais les enseignants à maintenir une forme aberrante d'enseignement, qui a toujours été responsable de l'échec dans ce domaine, mais qui l'est beaucoup plus encore aujourd'hui que les enfants vivent dans un monde où ils sont inondés d'informations qu'ils doivent apprendre à maîtriser... Si bien que l'école primaire n'est pas devenue ce que dit Loki, elle continue, et ce qu'elle fabrique, ce n'est pas "du crétin" ("C'est celui qui le dit qui l'est !" dit la chanson), mais les seuls lecteurs qu'elle produit sont ceux qui le sont devenus ailleurs... comme je vais, une fois de plus, essayer de le démontrer.

Je reprends la question de BTQ qui était :
Serait-ce idiot de penser, ne serait-ce qu'un instant, à se tourner vers la primaire lorsque l'on constate que dans sa classe de sixième, un tiers ou la moitié des élèves ne déchiffrent pas ?

Idiote, cette pensée ? Sûrement pas.
Mais pas pour les raisons généralement invoquées.
De toute évidence, mon interlocuteur confond, tel l'ex-ministre (donc cela reste flatteur !), lire et déchiffrer.
Je ne sache pas qu'au collège on ait besoin de déchiffrer. Au collège on a impérativement besoin de comprendre ce qu'on lit, énoncés de problèmes, fiches d'activités diverses, questions de sciences ou de géographie, autant de messages différents, qui requièrent des conduites différentes de lecture.
C'est pourquoi, maniant le paradoxe avec jubilation, je vais jusqu'à dire que si les élèves ne savaient pas déchiffrer, le mal ne serait pas très grand !
Hélas ! Ils le savent, et souvent ne savent que cela.
Précisément parce que (et je réponds ainsi à Loki), l'enseignement de la lecture, mis à part quelques pauvres instit luttant désespérément contre le poids d'une tradition coriace, sous l'hostilité épaisse de la plupart des parents, des supérieurs hiérarchiques, soucieux de ne pas déplaire aux divers Ministres, et très souvent de leurs propres collègues, est, à l'école primaire majoritairement classique, à base de B.A.BA aussi précoce que possible, avec des manuels débiles qui sont, à peu près tous, aussi loin que possible de la lecture.
Il faut savoir que l'habitude de commencer une lecture par le déchiffrage des mots — ce qui est massivement enseigné au CP — est l'obstacle n°1 à la compréhension d'un texte.
Donc, ce que déplore ce collègue, c'est que ses élèves n'arrivent pas à comprendre ce qu'ils ont à lire. Et s'ils n'y arrivent pas, c'est parce que, justement, ce qu'ils ont appris, c'est à déchiffrer les mots !
De plus, — et cela aggrave encore les choses —, souvent, l'école, parce qu'elle obéit à des ordres supérieurs ( supérieurs à quoi, on se le demande !), confond lecture et lecture à haute voix.
Ce sont deux activités complètement différentes.
Lire à haute voix, c'est communiquer oralement à des personnes qui en ont manifesté le désir ou le besoin, sa propre lecture d'un écrit.
Pour lire à haute voix, il faut avoir lu auparavant, et c'est cette lecture préalable que l'on communique aux auditeurs (ce n'est pas le texte...).
Donc si l'enseignant lit toujours les textes à haute voix, pour aider les enfants à les comprendre, il les empêche d'apprendre à les comprendre par eux-mêmes.
Dans tout mon travail d'étude des pratiques de classe à l'école primaire, j'ai eu maintes fois le sentiment que certains enfants pouvaient aller du CP au CM2 sans jamais avoir eu à faire une véritable lecture, seuls et avec les yeux simplement..
De plus les manuels d'apprentissage de la lecture, constamment lus à haute voix par les élèves de la classe, débouchent sur une mémorisation des mots et phrases qu'ils contiennent, et non sur les opérations cognitives par lesquelles on construit du sens.
Dans ces conditions, il n'est guère étonnant que tant d'élèves se révèlent incapables de comprendre ce qu'il y a à faire dans une consigne écrite de sciences ou de maths.
Une recherche très importante menée dans les années 80 par Marceline Laparra faisait apparaître que les 3/4 des élèves officellement considérés comme "mauvais" en maths, n'avaient en réalité que peu de difficultés dans cette matière, leur échec venant essentiellement de leur incapacité à comprendre une page de manuel mathématique ou un énoncé de problème.
Si au CP, que dis-je, si dès l'école maternelle, ce ne sont pas les opérations cognitives par lesquelles on comprend que l'enseignant enseigne, si, en plus on enseigne une activité, d'ordre mécanique, qui empêche ces opérations cognitives, il n'y a rien d'étonnant à ce que le résultat observé par notre collègue soit celui qu'il déplore.
Apprendre à lire, c'est apprendre à comprendre, c'est apprendre à faire ce qu'il faut pour pouvoir utiliser les écrits dans la vie scolaire, professionnelle et personnelle.
Si l'on contraint les enseignants, par des affirmations gratuites, à la fois terrifiantes et culpabilisantes, à faire apprendre autre chose, c'est autre chose qu'on obtient.
La faute ne saurait en être imputée aux instit...
Suivez mon regard.