Je voudrais simplement ici reprendre pour nos lecteurs les mises en garde que Claude Hagège répète à longueurs d'ouvrages sur l'avenir des langues du monde, tout autant en danger que la planète elle-même.
Ce danger, c'est un "vaste programme de domination (de la langue anglaise) qui revêt aujourd'hui le masque de la mondialisation", et qui, en plus des conséquences graves évoquées par le linguiste dans l'article, prépare de façon inéluctable la mort prochaine de toutes les langues du monde autres que l'anglais, si, en plus, habitude est prise d'enseigner cette langue dès l'école primaire
Or, la ratification de ce protocole ne peut qu'encourager les parents et l'Education Nationale à faire enseigner l'anglais le plus tôt possible.
Surgit alors l'objection "de bon sens " : "en quoi cela serait-il si catastrophique ? Ne serait-ce pas plutôt une excellente chose qu'il n'y ait plus qu'une seule langue dans le monde ? On se comprendrait peut-être mieux !"
Comme la plupart des objections dites " de bon sens", cette remarque n'en a que l'apparence, une apparence dictée par l'ignorance.

(Où l'on voit que le grand Descartes est capable de se tromper lui aussi : s'il est vrai que le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, c'est justement parce qu'il est loin d'être "bon"!)

Une seule langue dans le monde, ce serait une catastrophe.
Contrairement à ce que l'on croit souvent, une langue n'est point un ensemble d'étiquettes différentes pour nommer les choses. C'est une autre façon de voir le monde : selon la formule des spécialistes, une langue ne traduit pas un réel qui serait struturé en dehors d'elle.
Toute langue est un facteur de structuration du réel.

Nous ne voyons le monde qu'à travers la langue que nous parlons.
C'est pourquoi, la maîtrise de langues différentes est le premier moyen d'ouvrir l'esprit. L'acceptation des différences, la compréhension de la richesse qu'elles apportent, bref, ce qu'on appelle la "tolérance", seul le plurilinguisme peut de façon certaine les mettre en place.
Oui, mais, dira-t-on, apprendre l'anglais le plus tôt possible, c'est apprendre une langue étrangère, et, en plus, une langue nécessaire dans la plupart des situations professionnelles...
C'est oublier que si l'anglais est maîtrisé très tôt, dès l'école primaire, il n'y aura plus aucun besoin d'apprendre l'allemand ou le russe... Claude Hagège pense, à la lumière de ses travaux, qu'il faudra bien peu de temps (au vu de la vitesse de toutes choses aujourd'hui) pour que les autres langues disparaissent.
C'est pourquoi, il demande avec insistance — sans être du tout entendu et l'on voit bien pourquoi ! — que la langue étrangère apprise à l'école primaire ne soit pas l'anglais, et que l'apprentissage de cette langue, évidemment indispensable, n'apparaisse qu'au collège, pour des enfants qui devraient posséder déjà trois systèmes linguistiques : leur langue maternelle, la langue régionale de la région où ils vivent, (connaissance indispensable pour d'innombrables raisons) et la langue étrangère proche.
Selon ses travaux, il apparaît qu'un enfant, qui manie trois systèmes linguistiques à 10 ans, n'aura aucune peine à en apprendre trois ou quatre autres ensuite.
De plus, l'anglais étant aujourd'hui fort connu de la plupart des enfants grâce aux jeux vidéo, aux chansons et à l'informatique, il n'y a nulle nécessité d'en systématiser l'apprentissage avant 10 ans.

Il me semble que, tout comme l'avenir de la planète qui est évidemment affaire d'éducation, l'avenir de la pensée des êtres humains est de la responsabilité de tous ceux qui ont en charge d'éduquer les enfants.
Essayons de voir un peu plus loin que le bout de nos nez.
Sortons de nos visées de rendement à courte vue.
Agissons avant qu'il ne soit trop tard.