Enseigner le français avec Eveline Charmeux

Lire et apprendre à lire

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Les données du problème.

 

C'est Elsa (2 ans), joli symbole du vrai lecteur, concentré, attentif et tout entier dans sa lecture, qui nous invite à poser une fois de plus ce problème, passionnel s'il en est, de la lecture et des moyens de l'enseigner aux enfants et aux autres.

 

Mais, oui ou non, ces problèmes sont-ils nouveaux, comme on le serine à longueur de pages internet et de médias divers ?

Pour répondre à cette question, voici un texte qui a plus de trente ans d'âge :

Préface de Jean Simon, professeur à l’Université du Mirail à Toulouse, rédigée pour l’ouvrage d’Eveline Charmeux :
« la lecture à l’école » Editions CEDIC 1975.

« Encore un livre sur l'apprentissage de la lecture ! », ne manquerait-on pas de dire si le présent ouvrage ne différait sensiblement de ceux qui ont été pub1iés ces dernières années (et parmi lesquels, il en est d'excellents).

Tout d'abord, c'est le premier ouvrage qui traite de la lecture en s'inspirant des idées modernes sur la rénovation de l'enseignement du francais.
En second lieu, I'approche d'Eveline Charmeux est une approche pluridisciplinaire qui se fonde sur la linguistique et la psychologie. L'auteur aurait pu, grâce à sa culture dans ces domaines, construire une intelligente dissertation théorique qui n'eût pas manqué d'intérêt.

Elle va plus loin. Ce qu'elle nous enseigne—et je me plais à souligner ici les qualités pédagogiques de cet ouvrage—ne s'appuie pas seulement sur la réflexion mais encore sur une pratique pédagogique réelle. Nous trouvons ici un thème aussi à la mode que la pluridisciplinarité : l'alliance de la théorie et de la pratique. Mais dans cet ouvrage, il n'est pas discuté de la pluridisciplinarité ou de la nécessité de l'alliance de la théorie à la pratique. Éveline Charmeux pense et agit, elle n'a pas le temps de bavarder! Enfin, parmi les autres aspects qui rendent ce livre différent de ceux auxquels nous sommes accoutumés, I'attention est attirée par la comparaison des codes de l'oral et de l'écrit et, en particulier, par un essai de description du fonctionne­ment actuel de l'orthographe française qui fonde, en partie, la pratique lexique, essentiellement visuelle. L'étude des situations de lecture, celle de la nature de la communication écrite, le rôle de la motivation et bien d'autres points qu'il serait fastidieux d'énumérer permettent au lecteur de saisir le problème de la lecture sous des éclairages divers et complémentaires. Ainsi, le fait « lecture », comme le préconisait Wallon pour le fait psychologique, est confronté « avec tous les systèmes auxquels il peut se rapporter » et donc traité « selon sa nature ».

On sera aussi séduit par la conviction, je dirai même par la fougue, souvent contenue mais parfois libérée, de l'auteur. Éveline Charmeux ne donne pas, pour autant, dans le dogmatisme, froid ou sentimental, qui caractérise certaines pédagogies. Elle aimerait que l'on conciliât des « moments d'autonomie et de responsabilité » pour l'enfant avec des moments de structuration de la langue « qui doivent être nécessairement directifs » (c'est l'auteur qui souligne le terme). Loin de rejeter tout contrôle, elle désire que ce qu'elle préconise soit soumis à évaluation, non pas simplement pour mesurer un niveau mais pour saisir le rythme d'acquisition et les éléments de maîtrise de la langue : par là, elle rejoint les tenants d'une pédagogie expérimentale efficace qui, à la fois, évalue et propose. Plus que d'une pédagogie de la lecture, ce livre est l'esquisse d'une pédagogie de la culture qui voudrait « donner à tous les enfants ce vécu riche sans lequel la réussite scolaire serait compromise ».

Cet ouvrage devrait contribuer à rénover l'enseignement de la langue écrite et, par là, pallier — en partie—les difficultés que les enfants dits « défavorisés » éprouvent dans cet apprentissage.Ce livre donnera à ses lecteurs la double occasion de penser et d'agir: ce n'est pas là un petit mérite. JEAN SIMON. Docteur es lettres.

Presque vingt ans plus tard, en 1987 exactement, E. Charmeux réécrivait un ouvrage publié par les éditions Milan de Toulouse, fruit des travaux de son équipe d'instituteurs, "Apprendre à lire : Echec à l'échec", ouvrage qui fut ensuite réédité dix ans plus tard, en 1998, avec la préface suivante :

« C’est la faute à la globale ! »
« Avec toutes ces nouvelles méthodes, ils ne savent plus lire ! »
« L’instituteur de mon fils, au CP, n’utilise aucun manuel, ça m’inquiète ! »
C’est pour apporter des éléments de réponse à toutes les questions que de tels propos révèlent que nous avons formé le projet d’écrire ce livre. Tant d’idées reçues – et fausses naturellement ! – circulent sur la lecture et son apprentissage, tant d’affirmations fantaisistes et contradictoires, qu’il est assurément bien difficile d’y voir clair… Et l’on ne peut en vouloir aux parents de chercher refuge dans leurs propres souvenirs, persuadés qu’ils sont, et c’est normal, que leur propre expérience est la meilleure ! Ce mouvement est naturel, mais l’analyse qui le produit est un peu insuffisante : si je pense avoir réussi en tant qu’adulte, rien ne permet d’affirmer que c’est grâce à la méthode de lecture utilisée par mon instituteur ! D’abord les adultes que nous sommes ne sont pas de si brillants lecteurs – depuis vingt ans, les statistiques le démontrent amplement –, et nous sommes bien incapables de venir à bout de tous les messages que la vie d’aujourd’hui nous impose. Ensuite, nous avons eu beaucoup d’autres raisons de nous « en sortir », et bien malin qui pourra dire avec précision à quoi nous devons notre réussite.
Curieusement, l’on a beaucoup plus de moyens de trouver la cause des échecs : des erreurs visibles sont plus aisées à repérer que l’inventaire complet des conditions favorables, et l’on sait qu’en matière d’apprentissage il suffit d’un élément contraire pour que l’efficacité des autres se trouve compromise. C’est pourquoi, selon une formule assez plaisante, il semble souhaitable que nos enfants fassent mieux que nous.
Contrairement à ce qui se dit parfois, notre époque est par excellence le temps de l’écrit. Aucune tâche, aujourd’hui, ne peut être menée à bien sans le recours à l’écrit. Qu’il s’agisse des tâches professionnelles ou de la vie quotidienne, des activités de loisirs ou des devoirs du citoyen, il faut d’abord lire et très souvent écrire. Et tous ceux que rebutent ces activités se trouvent condamnés à la dépendance, marginalisés, et deviennent des proies faciles pour toutes les formes de manipulation, voire d’oppression. Avec le prodigieux développement des techniques nouvelles, ce mouvement ne peut que s’amplifier, conduisant tout droit à une société où les « sachant lire » tiendront en leur pouvoir ceux qui n’y comprennent rien, ceux qui se seront laissé – ceux que l’on aura laissé – distancer par la connaissance.
On comprend que l’enjeu est de taille, et qu’il dépasse, et de loin, les simples problèmes de méthodes. De plus, l’urgence est là : c’est tout de suite qu’il faut que chaque enfant maîtrise totalement toutes les formes de lecture. La réussite scolaire, la réussite professionnelle, la liberté et l’autonomie du citoyen qu’il deviendra, tout dépend aussi – et peut-être d’abord – de ses capacités de lecture. C’est pourquoi il est nécessaire que tous les éducateurs d’enfants, parents, enseignants, rééducateurs, mettent en commun leur volonté d’aider tous les enfants à réussir.

La première condition pour y parvenir, c’est que tous aient un langage commun sur ce point au moins, que les références théoriques, et même philosophiques et idéologiques, soient explicitées et utilisées en toute connaissance de cause. Actuellement, la confusion, l’ambiguïté règnent en maîtres et transforment les débats en dialogues de sourds.
Il importe de clarifier tout cela : telle est l’ambition de ce livre volontairement limité, pour des raisons de commodité, aux problèmes de lecture. Mais il va de soi que l’écrit englobe aussi l’écriture, qu’il faudrait donc associer à tout le travail présenté ici. Mais les problèmes que pose l’écriture sont sensiblement différents et mériteraient un autre livre…

Celui-ci est dédié à tous les parents, qu’ils soient réunis en fédération, en conseil, en congrès, ou isolés, mais aussi à tous ceux qui ont besoin de la lecture et qui pestent contre une maîtrise insuffisante dans ce domaine, à tous ceux que l’apprentissage de la lecture préoccupe, à tous ceux qui m’ont demandé ce livre et qui m’ont, par leur soutien et leur confiance, aidée à l’écrire .

Précisons que, relu en 1998, il apparaît (on pourrait dire hélas ! ) toujours d’actualité, au prix de quelques réactualisations, fruits des recherches menées depuis dix ans ... Espérons que cette nouvelle édition pourra enfin aider un peu les collègues à atteindre l’objectif qu’ils ont tous : la disparition de l’échec scolaire .
Éveline Charmeux Janvier 1998 .