Qu'est ce qu'une rédaction ?
La première justification que l'on donne en général à la pratique de la rédaction dans les classes, c'est qu'il s'agit d' un écrit qui met en communication
un locuteur et un destinataire, l'enseignant, donc d'un écrit qu'on pourrait qualifier de "social" .
Même en admettant que ceci soit suffisant pour définir
un écrit social, on peut difficlement considérer l'enseignant
comme le destinataire de la copie : c'est confondre un destinataire
avec un juge. Selon une jolie comparaison chère à J.C.
Chevalier, l'enseignant occupe, dans le réseau de communication,
à peu près la même place que la femme qui fouille
les poches de son mari et se met à lire une lettre à lui
destinée...
En fait, dans la rédaction, la communication entre enseignant
et élève est une communication cryptée qui s'exerce
entre deux fonctions sociales : le locuteur est un élève qui écrit en tant qu'élève (pas du tout en tant
que personne) et le destinataire est un enseignant, qui reçoit
en tant qu'enseignant et non en tant que personne. Quant à
l'enjeu réel, parfaitement caché, c'est de démontrer
que l'on sait écrire. L'élève qui commencerait
sa rédaction (et il y en a parfois !) par : " Chère
madame l'enseignante, vous me demandez de vous raconter mes vacances,
voici comment elles se sont passées... " n'aurait certainement
pas une bonne note...
L'enseignant, en effet, n'a que faire des contenus racontés sur
les vacances passées ou les états d'âme de l'élève
devant les cadeaux de Noël. Et la perversité de la chose,
c'est que ceci est parfaitement occulté sous un discours de prétendue
sincérité, ou d'imagination tout aussi prétendue. En fait, le véritable réseau de communication est à construire
entièrement, (voir le document intitulé " le système
pervers de la rédaction scolaire "). Avec un bonus de taille,
c'est que cette dernière condition n'est jamais explicitée
aux élèves.Cette analyse, je ne suis pas la seule à la défendre.
J'en emprunte l'essentiel à André Petitjean, A.Ricardou
et bien d'autres, qui expliquent fort joliment qu'avec la rédaction,
on demande aux élèves de jouer à un jeu dont on
ne leur donne pas les règles, pire, dont on donne des règles
fausses, en leur faisant croire que ce qu'ils vont dire est important,
ou intéressant, alors que la seule chose attendue est que les
phrases soient correctes et sans erreurs d'orthographe.
On peut donc dire que la rédaction est un écrit socio-scolaire (et
non social), parfaitement défini par la tradition de l'école,
certes, mais sans aucun rapport avec un écrit de la société,
lequel se définit d'abord par :
* le type d'écrit (un article, une lettre, un roman, un conte,
une motion syndicale et. etc.)
* le fait qu'il s'agisse d'un écrit entier ou d'un extrait d'un
écrit possible, mais dont il faut alors préciser le type (ce
qui n'est jamais donné dans un sujet de rédaction, notamment
quand il s'agit d'une description : le même paysage ne sera pas
décrit de la même manière dans un manuel de géographie,
un roman sentimental, un roman fantastique, un fait divers de journal
etc.)
* les enjeux de la production : informer, scandaliser, motiver, amuser
etc.
* le réseau de communication qui est à l'origine de son
existence : qui parle, à qui, où, quand et pour obtenir
quel résultat.
Si l'on veut aider les élèves à faire les rédactions
plus ou moins artificielles qu'ils auront à faire au collège,
il faut leur donner les clés de la réussite, c'est-à-dire, les règles du jeu, en leur révélant la perversité
actuelle de cette pratique, qui se garde bien de donner les moyens de la réussir. On peut mêm ajouter qu'elle nuit gravement,en plus, à la maîtrise de la
lecture. Elle fait croire en effet que le sujet suffit pour définir
un texte (ce qui est faux) et donc que comprendre un écrit, c'est
comprendre l'histoire qu'il raconte : même si l'histoire racontée
est un élément de la compréhension, - nous disons, le niveau élémentaire de celle-ci -, elle est loin d'être
l'essentiel.
Il s'agit donc d'abord d'apprendre à écrire, en faisant vivre des situations fonctionnelles de productions
d'écrits, et en travaillant à développer
les compétences mises en jeu dans ces situations fonctionnelles. Ensuite, mais seulement ensuite, on apprendra à simuler ces situations fonctionnelles... (c'est ce que doit être une"vraie" rédaction). On sait qu'il faut savoir faire pour "de vrai", quand on veut pouvoir faire "semblant" de façon crédible.
Le système pervers de la rédaction scolaire.
Quel type d'écrit ? |
Qui parle ? |
A qui ? |
Où et quand ? |
Avec quelles contraintes sociales ? |
Pour obtenir quel résultat ? |
|
Enjeux de la production |
Un écrit socio-scolaire, très
bien défini en tant que tel |
L'élève, en tant qu'élève |
L'enseignant en tant qu'enseignant |
Aujourd'hui et dans l'Institution |
Sur une copie scolaire, avec des lignes, une
marge à gauche, le nom de l'auteur, mais pas sa signature,
et des traditions à respecter sur l'outil à utiliser,
la couleur de l'encre etc |
Pour prouver qu'il sait écrire et qu'il
a les savoirs attendus par l'Institution |
Enjeux du texte à produire |
Un type d'écrit rarement précisé
par le sujet, et à déterminer pour pouvoir le produire : littéraire ou non, entier ou extrait qui, dans ce cas,
dépend du type d'écrit auquel il est censé
appartenir |
Un narrateur fictif à déterminer,
qui peut être l'élève, mais cette fois en tant
que personne, ou tout autre locuteur à déterminer,
car ce choix a une influence importante sur les choix langagiers |
Un destinataire nécessairement fictif,
qui peut être singulier ou pluriel mais dont le choix détermine
les choix langagiers, notamment l'organisation textuelle et le
lexique |
Dans un lieu et dans un temps imaginaires, à
déterminer , car ces données jouent aussi un rôle
dans les choix langagiers : la variation langagière a des
dimensions géographiques et historiques. |
Les usages sociaux du type d'écrit choisi,
souvent difficiles à concilier avec les contraintes scolaires |
Avec des enjeux fictifs qu'il faut faire apparaître
: informer, convaincre, séduire, choquer, émouvoir,
etc. dont les choix influencent également les choix langagiers |