Enseigner le français avec Eveline Charmeux

Papa-Maître

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Pour ouvrir cette rubrique, un très beau texte, publié naguère sur le blog de Vieuxduduche. (photo : Michel Debray)

 

Jean-Pierre Dubreuil se souvient de son apprentissage de la lecture et raconte...

 

 

Une adorable arrière grand mère, sur un  forum, qui a évoqué son orthographe parfaite à + de 85 berges et qui se transformait en farouche partisane du b a ba,  m’a fait souvenir de mon enfance.

 

J’ai appris à lire vers 1946, dans une école rurale (à classe unique, comme souvent) , en b. a, ba, bien sûr.
 Avec un maître qui ne faisait pas dans la dentelle : « tes doigts ! » et hop ! … un coup de règle bien dure sur mes petits doigts. Et hop ! … petit tiré des cheveux derrière l’oreille – très professionnel ! –

Le maître c’était mon  papa…

J’adorais mon papa-maître et le craignais, comme tout un chacun.
 Et il était républicain, la peau de bique ! Dès qu’il y avait une connerie de faite : j’étais puni…
 Bibilolo était le bouc émissaire parfait.
 Là, je camoufle, il faut dire que je n’étais pas le dernier à faire des couillonnades.

J’étais placé à côté du dernier de la classe .
 Je vous ai dit :  ré-pu-bli-cain qui ne met- pas d’eau dans son vin..et bouffe du curé.
 Serge,( le dernier de la classe) il s’appelait – salut Serge, si tu es encore en vie. Sais tu que tu puais comme un goret, Serge ?
 Serge il n’a jamais appris à lire – même que mon papa maître ne  lui donnait plus de coups de règle – c’est injuste hein !
 Il y avait quelques Serge dans la classe – qui ne  puaient pas... mais ils n’ont pas appris à bien lire tout de même. Le certif,  tout le monde  ne l’avait pas.

C’était bien la classe presque  unique (2 classes dans l’école), papa-maître n’était pas toujours sur nous, les petits, nous écoutions les grands, et puis, lorsque nous avons été plus grands, nous avons aidé les petits…
 S’appelait pas Freinet, mon papa-maître… S’appelait Hussard de la république.
 L’était  même parfois pédagogue moderne : dans la salle de la mairie, il nous montrait le cinéma, et nous  allions jouer au foot sur la colline.
 J’adorais lire, très tôt j’ai lu, tout le temps. Dans ma chambre, un cagibi au-dessus du lit, plein de livres. J’ai du apprendre à lire dans les couloirs, au contact, au hasard de la vie…
 Le cagibi était une annexe appréciée – avec une lampe électrique, c’était le pied.

(Les classes uniques en ville voilà une  grande idée… mieux que la syllabique à Boutonnet !)

Papa-maître, d’abord il était mieux que Boutonnet, il n’a jamais fait parler de lui.
 Si, une fois quand il s’est évadé avant la frontière allemande avec son copain juif – contre l’avis de bien  des gars du wagon qu’avaient la trouille, il s’est présenté devant l’inspecteur d’académie :
« Monsieur l’inspecteur d’Académie, je viens de m’évader, il faudrait m’arranger mon affaire ! »
« Monsieur l’instituteur vous n’y pensez pas, je vais devoir vous signaler aux autorités allemandes »
 Je passe sur la rogne de mon papa-maître, qui finalement n’a pas eu à fréquenter la Kommandantur.

Merci monsieur le Daca !

Synthèse :
B a Ba + amour / crainte du maître + amour de la lecture + coopération spontanée = un mec qui fait naturellement  toujours beaucoup de fautes d’orthographe !
(« pas « faute d’orthographe »… ERREUR d’orthographe ! Eveline dixit )
Encore maintenant, il faut que je bataille que je fasse très gaffe, que je me relise trois fois – Merci le correcteur orthographique. Trop tard pour faire un procès à l’américaine à Briguelli ? Dommage !
B A… BA = bonne orthographe ?   j’en doute !!!! (« Et moi donc ! » idem)

Ah ah ah, le retour à la férule… à la dictée , au b.a. ba, sources de tous les soulagements (« C’est tellement plus facile ! » idem).

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