Enseigner le français avec Eveline Charmeux

L'Ecole Maternelle, une garderie ou une véritable école ?

Avant tout : lire l'article de Philippe Meirieu :

http://www.meirieu.com/ARTICLES/ecole_maternelle_ecole_premiere.htm

Depuis que l'Ecole existe, les " choses sérieuses ", aux yeux de la plupart des parents, commencent à l'entrée à la " Grande Ecole ", c'est-à-dire au C.P., année couramment considérée comme celle de l'apprentissage de la lecture.

Or, on sait depuis environ vingt ans que cette vision des choses est totalement fausse, car le C.P. ne peut être ni le début, ni même la fin de cet apprentissage, lequel requiert beaucoup plus de temps pour être solidement construit.

Si bien que le C.P, aujourd'hui, devrait être considéré comme la quatrième année des apprentissages premiers, dont on sait qu'ils devraient en comporter six, de 2 à 8 ans.

L'Ecole Maternelle qui avait obtenu enfin, en 1989, la place qui lui revient, d'être l'étape, non des "préapprentissages ", (un apprentissage n'a pas de " pré-"), mais des "apprentissages premiers" : selon une formule plaisante, mais fort juste, l'Ecole Maternelle est enfin sortie du pré, où malgré les propos du poète (voir ci-dessous), le bonheur (en tous cas le sien...) ne se trouve point !

Pourtant, nombreux, encore aujourd'hui, sont ceux qui pensent que l'Ecole Maternelle n'est qu'une bonne garderie. Ils vont même parfois jusqu'à la mettre en concurrence avec la crèche, dont ils préfèrent la souplesse de l'horaire d'accueil, mais aussi un taux d'encadrement (un adulte pour huit enfants), qui leur paraît plus favorable que celui de l'école même maternelle, à la réussite de leurs petits.

C'est là un raisonnement partiellement faux : les fonctions et les finalités de l'une et de l'autre sont totalement différentes et la concurrence est ici absurde. S'il est vrai qu'un bébé nécessite une présence adulte importante, et qu'un horaire rigide ne lui convient guère, il n'en est pas de même pour un enfant de deux ou trois ans, âge où s'effectue la mise en place des capacités à apprendre. Et l'un des tout premiers apprentissages, c'est celui des contraintes sociales, composante majeure de la socialisation : devoir attendre l'heure pour retrouver sa maman est une discipline importante, d'autant mieux intégrée qu'elle est apparue plus tôt.

On sait, d'autre part, que le développement des capacités à apprendre s'effectue entre deux et six ans et à condition que l'enfant soit personnellement impliqué dans des situations d'apprentissages effectifs, menés à partir de situations-problèmes à résoudre. Or, ces situations d'apprentissage ne peuvent être organisées que par des professionnels de l'enseignement : il est beaucoup plus difficile de faire travailler intelligemment de jeunes enfants, que des étudiants. C'est un métier qui requiert une formation de très haut niveau, largement autant que le métier de professeur de collège ou de lycée, même si les compétences requises sont différentes.

Il ne faut pas perdre de vue que la lutte contre l'échec scolaire, notamment dans les aspects sociaux de ce dernier, — c'est-à-dire la lutte contre l'inégalité de chances scolaires entraînée par l'inégalité sociale des familles —, passe par une scolarisation aussi précoce que possible. Il ne s'agit pas, bien sûr d'un travail scolaire de type traditionnel où les solutions sont inculquées aux enfants par modèles et imitation, mais d'une pédagogie bien précise, fonctionnant dans des conditions matérielles définies, où chaque enfant est amené à construire son savoir par des expériences personnelles, à effectuer des prises de conscience et des théorisations, et à chercher des solutions à toutes sortes de problèmes. Ajoutons que la rencontre avec des enfants différents (et nombreux) et des situations de travail en groupes avec eux, est la meilleure situation pour que se construise des notions capitales, comme celle du Moi, à la fois semblable et différent de l'Autre.

C'est dire que l'Ecole Maternelle n'a rien à voir avec une garderie d'enfants défavorisés, dont les parents ne pourraient s'occuper. Elle est une école à part entière, ouverte à tous.

Si favorisée qu'elle soit, la famille n'est pas le meilleur milieux pour développer les capacités à apprendre, lesquelles passent par la confrontation avec les autres, et leurs différences. Plus le groupe d'enfants est hétérogène, plus les enfants de tous milieux y gagnent. Qu'on ne s'y trompe point, un enfant très favorisé socialement n'est pas pour cela assuré de réussir à l'école et dans la vie : il lui faut impérativement connaître les difficultés des autres et leur être confronté.

Réussir, ne l'oublions pas, ce n'est pas ignorer les difficultés, c'est être capable de ne pas être démoli par elles. Plus tôt elles sont connues, - bien sûr, de manière totalement dédramatisée...! - moins les difficultés seront dangereuses car les moyens de les surmonter auront eu le temps de se construire et seront devenus solides. Or, l'école maternelle est aujourd'hui, comme elle l'a été bien souvent, très en danger.

Parce qu'elle a besoin de moyens pour accomplir sa tâche, elle coûte cher, et la tentation est grande de faire des économies sur son dos, sous prétexte que des petits seraient aussi bien chez eux. Il faut absolument la défendre, et tout faire pour que l'école maternelle française, qui reste un modèle pour les autres pays d'Europe, demeure une ECOLE, une vraie, à part entière, où peuvent s'organiser des apprentissages essentiels à la réussite sociale de tous les enfants. Elle n'est pas moins importante que l'école élémentaire ou le collège ; peut-être même l'est-elle davantage, surtout si l'enjeu est la réussite de tous.

(Il s'agit bien sûr de Paul Fort, et de son poème : "Le bonheur est dans le pré, cours-y vite, cours-y vite....")