Obstacles épistémologiques de la lecture
Enseigner, c'est aider les élèves à surmonter les obstacles que leurs représentations spontanées opposent à ce qu'ils ont à apprendre. Il est donc essentiel de les connaître.
(c'est aussi pouir cela qu'il ne suffit pas de savoir faire quelque chose pour pouvoir l'enseigner !)
Les obstacles que les enfants doivent surmonter pour devenir lecteurs sont les suivants :
1 - Compétences d'orientation dans l'univers du lire/écrire.
(savoir reconnaître le type d’écrit et sa fonction sociale courante)
Indicateurs |
Obstacles à franchir |
Directions de travail |
* Savoir distinguer un objet à lire d'un autre type d'objets. |
Ce type de distinction ne va pas de soi pour quiconque n'est pas familiarisé avec le monde de l'écrit |
Familiariser le plus tôt possible tous les enfants avec la diversité des objets à lire et leur permettre de construire des indices de repérage de leurs fonctions.
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* savoir distinguer les différents types d'objets à lire et connaître leurs fonctions sociales courantes. |
Si l'on n'a pas eu l'occasion de les utiliser en situation sociale effective, ils se ressemblent tous (cf. les enfants qui appellent “livres” les journaux...) |
Seules des situations sociales d'utilisation réelle de ces objets, et le plus tôt possible, peut aider tous les enfants à s'approprier ce type de savoirs.
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* Savoir distinguer des écrits de fiction et des écrits sociaux. |
La distinction “réel/imaginaire” est loin d'être évidente pour l'enfant jeune dont la vie mentale est largement baignée d'imaginaire. |
Travailler très tôt sur cette distinction, notamment à propos des émissions TV, que les enfants connaissent, ainsi que sur les textes lus et/ou entendus. Ne pas limiter les lectures à haute voix à des textes de fiction...
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* Savoir repérer si un texte est un extrait ou un message complet. |
Cette différence est capitale pour acquérir la notion de cohérence textuelle, notamment en production de textes. |
Eviter de travailler sur des extraits de textes, mais essentiellement sur des textes entiers; lorsque c'est impossible, présenter toujours un exemplaire de l'ouvrage entier, et habituer à situer l'extrait par rapport à l'ensemble.
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* Etre familiarisé avec la variation langagière, c'est-à-dire savoir varier ses formulations en fonction des situations et savoir reconnaître des contenus semblables sous des formulations différentes. |
Le besoin de confort langagier s'oppose naturellement à la variation langagière, presque toujours vécue comme une forme d'agression contre l'identité de la personne quand celle-ci rencontre à l'oral ou à l'écrit des formulations inconnues. |
Faire en sorte que les enfants rencontrent très tôt des types de discours divers et des formulations différentes, sur un même sujet, dont les différences tiennent aux différences de situation (données pragmatiques). |
2 - Compétences sémiotiques
(raisonnement, formulation d’hypothèses, doute « méthodique », vérification)
Indicateurs |
Obstacles à franchir |
Directions de travail |
* Avoir une attitude de formulation d'hypothèses, c'est-à-dire savoir douter de façon positive de ce que l'on a vu ou cru et avoir besoin de vérification |
Le doute, n'est point naturel. C'est au contraire, l'assurance et la certitude qui sont spontanés chez l'enfant comme chez beaucoup d'adultes. Apprendre, c'est acquérir le doute positif (“méthodique” selon Descartes), caractéristique essentielle de l'esprit scientifique. |
C'est par le travail de groupe et la confrontation avec les pairs que les certitudes peuvent être mises en doute et la notion de relativité se construire. il est essentiel que des situations de remise en question des évidences apparaissent le plus tôt possible dans l'expérience des enfants, faute de quoi, elles seront de plus en plus difficiles à admettre.
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* Etre capable de repérer des indices, donc des différences, au milieu d'un ensemble touffu de détails à percevoir. |
Dans un ensemble inconnu, les différences entre les éléments ne sont pas aisément perceptibles, puisqu'on ne perçoit que ce que l'on s'attend à percevoir. De plus le finesse de discrimination visuelle n'est point innée; or, les détails à repérer sont souvent minimes: une lettre, voire un accent, ou même, un point peuvent changer le sens: “prés”/”près”; “mais”/maïs, etc..; |
Favoriser très tôt une exploration orientée vers la recherche de différences, en relation avec les ressemblances. Susciter ce type de recherche sur toutes sortes de supports, et à divers niveaux d'observation de ces supports: morceaux de textes, phrases, mots lettres, accents, mais aussi, illustrations, mises en page, types de caractères graphiques etc...
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* Etre capable de mettre en relation ces détails avec l'expérience antérieure et avec d'autres détails perçus, notamment appartenant à des codes différents. |
L'activité de mise en relation des détails perçus ne se fait pas spontanément. de plus, l'habitude de lire linéairement (en suivant avec le doigt) rend difficile, voire impossible, cette mise en relation qui exige souvent la prise en compte de détails perçus antérieurement (rétro-lecture). Enfin, la mise en place d'un comportement mécanique (mécanisme de lecture) est un obstacle majeur à ce travail. |
Provoquer très tôt des activités de mises en relation de détails perçus en divers domaines. En lecture proprement dite, favoriser tout de suite l'exploration préalable du document entier avant toute activité d'interprétation: apprendre à différer l'interprétation et privilégier la collecte d'informations la plus riche possible, et habituer à chercher les diverses formes de relations qui peuvent les unir.
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* Etre capable d'inférer, à partir de ce qui est perçu, ce qui n'est pas dit. |
La principale difficulté ici est en réalité provoquée par l'apprentissage traditionnel et les idées reçues dans ce domaine: croire que le sens d'un texte se limite au sens des mots qui le constituent et que “comprendre”, ce serait trouver le sens que le texte contiendrait. Au contraire, toute lecture est plurielle. |
Proposer aux enfants même jeunes des textes correspondant à des situations sociales réelles et favoriser l'explicitation du raisonnement qui permet d'accéder à ce qui n'est pas directement écrit. Permettre aux élèves d'acquérir d'emblée un comportement actif face aux textes à lire. |
3 - Compétences langagières
(combinatoire (= »code ») et spécificités de la langue écrite)
Indicateurs |
Obstacles à franchir |
Directions de travail |
* Avoir compris que le signe linguistique est arbitraire, c'est-à-dire, qu'il ne ressemble pas à ce qu'il veut dire. |
Pour un enfant très jeune, cette notion d'arbitraire est totalement étrangère: les mots ressemblent nécessairement aux objets et personnes qu'ils signifient. |
IL est essentiel de ne jamais tromper l'enfant sur ce point, même pour lui faciliter les choses. C'est à la fois la confrontation avec des langues étrangères (régionales ou non), et la comparaison avec les règles de jeux, que cette notion peut se construire, à condition qu'on n'ait pas rendu la chose impossible en éclairant de façon nocive des exemples prétendument concrets, et considérés à tort comme plus à la portée des jeunes enfants.
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On sait aujourd'hui que cette notion est également étrangère aux représentations des enfants, pour qui le sens est partout et chaque lettre signifie le mot entier, si bien que le nombre des lettres et l'ordre dans lequel elles apparaissent ne présentent à leurs yeux aucune importance, sans qu'on n'ait besoin de parler de dyslexie pour autant.
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Faire découvrir très tôt ce phénomène et permettre aux enfants de distinguer les unités signifiantes (mots, logos, sigles, abréviations, nombres etc...) de celles qui ne le sont pas (lettres d'un mot, chiffre etc...) |
* Avoir construit la notion de variation langagière, c'est-à-dire, avoir compris que le choix des mots et des structures (“codages”), dépend moins de ce qu'on a à dire que des données de la situation de communication (qui parle, à qui, où et quand, et pour obtenir quel résultat?) |
On sait que le langage est par excellence le domaine des habitudes, volontiers confondues avec la personnalité...Or ce besoin d'un confort langagier de routine est en contradiction absolue avec les compétences à maîtriser pour écrire, pour lire, pour communiquer en situations sociales variées, pour exercer sa profession et ses droits de citoyen libre. |
Il est donc indispensable de créer chez tous les enfants un confort langagier dans la variation. Pour cela, trois directions:
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* Avoir construit les règles de fonctionnement du système français d'utilisation des signes graphiques: |
Les difficultés rencontrées par les enfants sont ici aussi dues en grande partie aux habitudes nocives d'enseignement: associer l'orthographe à la prononciation, faire croire que les lettres ont une prononciation à elles (alors que ce ne sont que des dessins associés de façon tout à fait arbitraire à des prononciations), et de façon générale, gommer l'arbitraire de ce système. |
Ne pas donner de croyances fausses dans ce domaine, mais faire découvrir par les enfants eux-mêmes les grandes règles de fonctionnement des signes graphiques, aux divers niveaux d'analyse: niveau du texte, niveau de la correspondance oral/écrit, niveau de la phrase, niveau des mots: la combinatoire, le système orthographique, le fonctionnement polysémique du vocabulaire doivent être progressivement construits par les enfants à partir de leurs lectures, en situations de résolution de problèmes |