Enseigner le français avec Eveline Charmeux

Quelles opérations cognitives sont mises en jeu dans la lecture ?

Sous cette question un peu savante, se cachent en fait les véritables contenus d'enseignement de la lecture depuis la maternelle jusqu'à la fin de l'école obligatoire

 

On peut aussi intituler cet article : "quels savoir-faire, les enfants doivent-ils acquérir pour devenir des lecteurs efficaces ?"

Les recherches actuelles permettent de formuler l'hypothèse que sept opérations semblent nécessaires, pour que des significations puissent être construites.

1) Repérer le type d'écrit et la fonction sociale de l'écrit à lire :
* indices à utiliser :

  • la situation qui a motivé la lecture ;
  • le lieu où se trouvait l'objet à lire ;
  • les aspects matériels du support ;
  • la mise en page ;
  • la gestion de l'espace graphique: relation texte/images ;
  • le type, la taille et les variations des caractères utilisés ;
  • le caractère compact ou non de l'espace du texte ;

Ainsi, devant tout objet nouveau à lire, les premières questions et consignes de travail proposées par les enseignants, ont-elles intérêt à porter sur ces aspects et non sur ce que les apprenants comprennent spontanément.


2) Interpréter les aspects péritextuels :

  • mise en page,
  • ponctuation,
  • majuscules, etc..

3) Repérer le réseau d'énonciation : Qui parle? A qui? Où? Quand?
(les opérations 3 et 4 sont étroitement liées et leur ordre peut varier)
* indices à utiliser:

  • les embrayeurs (pronoms sujets, démonstratifs, possessifs, adverbes)
  • certaines informations (lieux, dates, durée)
  • les temps des verbes.

4) Faire le relevé des informations repérables dans le texte :
* indices : unités de première articulation: mots, groupes de mots, MAIS AUSSI: ordre des mots, « petits » mots, types de phrases, organisation textuelle.
* à noter ici la nécessité de ne pas confondre le fait d'identifier un mot et les possibilités d'en déduire des hypothèses de signification.
* stratégie :

  • mettre en relation entre elles ces unités ;
  • faire un repérage chronologique (au début, ensuite...) ;
  • faire un repérage logique (en effet, c'est pourquoi, donc...) ;
  • faire un repérage thématique (à partir de champs lexicaux par exemple );
  • confronter ces informations avec le projet de lecture initial, et les hypothèses ébauchées lors de l'exploration des aspects extérieurs au texte.

5) Repérer les marques orthographiques comme indicateurs de sens, soit sur l'axe horizontal des relations grammaticales entre les mots (Les boutiques de fruits espagnols / les boutiques de fruits espagnoles), soit sur l'axe vertical des oppositions sémantiques (il faut des poids et non des pois !), pour affiner les hypothèses de sens sur le texte.


6) Interpréter les résultats de ces observations en termes d'hypothèses de signification, qu'il faut vérifier :
* outils de vérification :

  • analyse des graphies ;
  • confrontation des graphies perçues avec celles des hypothèses formulées, par la mise en jeu des savoirs sur la combinatoire française ;
  • raisonnement de probabilité à partir de mises en relation des hypothèses formulées avec le projet de lecture et les attentes ;

Le moyen d'aider les apprenants à s'approprier ce type de vérification des hypothèses, c'est de prendre l'habitude avec eux de noter leurs hypothèses, afin de provoquer une comparaison des graphies, comparaison qui permet des jugements de ressemblance ou de non ressemblance, et pouvoir ainsi rectifier l'hypothèse.

Contrairement à ce qui est souvent dit, la vérification des hypothèses ne se fait pas en comparant les graphies et les phonies, mais en comparant la graphie que l'on devrait avoir si l'hypothèse était juste, et celle qui se trouve dans le texte. Ainsi, tel enfant qui, mis en difficulté par le mot « château », inconnu de lui, propose l'hypothèse « maison », va-t-il progresser dans sa construction de signification si on lui propose le mot maison écrit au tableau  , « maison » et si on l'invite à comparer son hypothèse, telle qu’elle apparaît écrite et le mot du texte.

On saisit ici le rôle exact de la combinatoire, qui est de rendre possible la construction mentale de la graphie correspondant à l'hypothèse, seul moyen de contrôler la pertinence de la signification proposée. La construction de cette combinatoire est donc indispensable, mais comme phase terminale de l'apprentissage. Sa construction par les enfants va constituer l'un des objectifs majeurs du CE1.


7) Interpréter tous ces indices comme des formulations (les spécialistes parlent ici de "codages") choisies en fonction d'un projet, explicité ou camouflé par le discours,

C'est-à-dire découvrir les raisons de ces choix langagiers par celui qui est l'auteur du texte (cela s'appelle "fonctionnaliser les codages du texte ") ; et donc avoir installé ce texte dans l'ensemble du réseau de communication qui l'a produit, ce qui signifie avoir construit une signification au message — et non "avoir construit LA signification du message". Toute lecture est plurielle, ne l'oublions pas.