"Grammaire transformationnelle" : la grammaire c'est déjà pas drôle, mais, si en plus elle est "transformationnelle", où cela va-t-il nous embarquer ? Encore un de ces machins, qui ont voulu faire chic et se sont fait massacrer dans les années 2006...
Mais non !
Parodiant Racine, (Britannicus, Acte II, scène 3) je dirais que cette pauvre grammaire, qu'elle soit ou non "transformationnelle, ne mérite, "ni cet excès d'honneur, ni cette indignité". J'irais même jusqu'à dire qu'elle peut être passionnante, quand l'école ne se mêle pas de la défigurer et de l'enlaidir.
Et je développe :

1- Contrairement à ce qu'on pourrait penser, l'adjectif "transformationnelle", est pour caractériser la grammaire, l'adjectif qui lui convient le mieux : loin d'être une grammaire particulière : c'est la vraie grammaire !
2- En effet, étudier la grammaire française, c'est découvrir comment la langue du même nom s'est construite et enrichie en transformant des phrases, et en faisant apparaître que des différences entre deux façons de dire la même chose ne sont que le fait de transformations d'une manière initiale, souvent orale, de les dire.

Prenons un exemple : deux amis qui bavardent ensemble peuvent se dire "A propos, il paraît que Pierre a enfin acheté une nouvelle voiture ? Il est vrai que la sienne n'était plus toute jeune..."
Mais si, au lieu de se dire cela en bavardant, ils s'envoient un courrier au cours duquel l'un des deux souhaite informer l'autre de cet événement, il va en transformer la formulation. Celle-ci pourra devenir alors quelque chose comme : "J'ai aussi appris récemment que Pierre s'est enfin décidé à remplacer sa vieille voiture par une Clio neuve ". La seconde formulation est une transformation de la première, mieux adaptée à la situation de communication différée, parce que plus resserrée et plus courte.

Parler de "grammaire transformationnelle, ce n'est pas seulement dire des grands mots, c'est surtout, en dépit des apparences, être plus clair. Poser l'hypothèse que les contenus de tous ces chapitres de grammaires ne sont, pour la plupart, que des transformations les uns des autres, cela rend les choses, alors, beaucoup plus abordables. Et surtout, cela donne une impression ludique de cette chose qui habituellement fait peur, le langage de la grammaire, dont la réputation est plutôt négative.
Du reste, comprendre comment "ça marche" — et non : "comment ça s'appelle ?, comme fait la grammaire habituelle — c'est tout de même pour chacun d'entre nous un moment de grande satisfaction : l'impression qu'on maîtrise la chose, qu'on a du pouvoir sur elle.

On le sait, la langue étant d'abord un moyen fabuleux de communiquer, elle est un instrument de pouvoir sur les autres : en maîtriser le fonctionnement est donc libérateur au sens plein du terme. Aussi a-t-on le droit de parler, à propos de la grammaire, d'un savoir particulièrement émancipateur. Et c'est pas un hasard, si l'une des premières décisions de l'Assemblée Constituante a porté, avec Condorcet, sur l'importance de la grammaire dans l'éducation des enfants.

Et, chose qui n'est paradoxale qu'en apparence, c'est parce qu'elle est si essentielle que, depuis cette époque, tout a été fait pour que le travail sur le fonctionnement de la langue soit considéré comme le plus ennuyeux possible : les grammaires scolaires officielles sont d'un ennui mortel — ou, ce qui est encore pire — bêtement amusantes, un ridicule enrobage de sucre autour d'une pilule amère. C'est à pleurer !
Et d'autant plus, que, dans d'autres domaines, comme la technologie, l'étude du fonctionnement d'un outil est fort apprécié des élèves : pourquoi n'en est-il pas de même, pour l'étude de la langue ?
Réponse facile : quand il s'agit d'outil, en connaître le fonctionnement est un savoir simplement plus utile. Quand il s'agit de la langue, cela confère un réel pouvoir sur les autres.
Ça devient dangereux.
Un raisonnement démocratique conclurait qu'il faut, dans ce cas, qu'il soit entre les mains de tous.
Le raisonnement social, en vigueur depuis des siècles, est, au contraire, qu'il ne le soit surtout pas, juste entre celles de quelques spécialistes sans danger, qui s'en féliciteront, sans vraiment s'en servir, juste pour la parade.

C'est ainsi qu'en classe, au moment où les élèves entrent en grammaire, ils ont, le plus souvent le sentiment d'entrer dans l'ennui obligatoire. Et ce, d'autant plus que l'enseignant a, en général, le même sentiment.
Mais on peut rêver.
Rêver d'un temps où tous, y compris les dirigeants, auront compris à quel point il est important de connaître et de maîtriser les pouvoirs de l'outil par lequel on peut communiquer, sans doute l'outil le plus important que nous ayons reçu.
Il est vrai qu'alors, on devrait cesser de fabriquer des manuels de grammaire, plus ou moins débiles, juste améliorés en apparence par des couleurs et autres fariboles, se voulant humoristiques.
Peut-être même, cessera-t-on carrément de faire des manuels pour les élèves : la grammaire n'en a nul besoin, car c'est sur les textes lus des élèves, qu'elle travaille. Seuls, les enseignants ont besoin d'un outil qui les guide dans l'analyse grammaticale des textes de lecture.
Pour les enfants, elle ne doit apparaître que comme le prolongement de leurs lectures : c'est sur elles que doivent être construites les notions grammaticales à connaître : jamais dans une "leçon" à part.

Non ! La grammaire n'est pas un "truc moche" qu'il faudrait absolument apprendre, et l'on n'a aucune "leçon de grammaire" à faire subir aux élèves : c'est un "truc à vivre", la suite de toute lecture : on a lu ce texte et l'on vient de travailler sur son sens. Ensuite, on réfléchit ensemble sur comment il est construit, et grâce à quoi, on a pu comprendre ce qu'on a compris : c'est la démarche à la fois logique et efficace de travailler.
Les habitudes scolaires, sur ce point sont lamentables : le travail de lecture et celui de grammaire n'ont pas à être autonomes : ils doivent être, à l'emploi du temps, à la suite l'un de l'autre, pour être travaillés en relation, l'un avec l'autre.

Mais, dira-t-on, qu'en est-il de tout le vocabulaire grammatical, le verbe, le sujet, les propositions subordonnées, la forme passive (le "passif n'est pas une "voix") et les analyses grammaticales, tout ce fourbi si ennuyeux aux élèves ?
Il est ennuyeux, surtout, parce qu'on confond les notions avec les mots qui les traduisent et qui empêchent de les comprendre : c'est en analysant les textes lus, les mots qui les composent, et les relations qu'ils entretiennent entre eux, que ces notions vont apparaître. Quant aux noms qu'on leur donne, ils n'ont que peu d'importance, alors qu'à l'école, ils la captent tout entière : c'est un des contre-sens de l'école dans ce domaine.

Alors, il faut dénoncer ce contresens. Il faut re-humaniser la grammaire, lui rendre son vrai visage, qui est de nous éclairer sur ce que représente l'acte de communiquer, et jubiler de plaisir en jouant avec le langage français, ses mots et ses phrases, pour découvrir comment tout ça, ça fonctionne...

Grammaire, vous avez dit "grammaire" ? Quelle chance : allons-y ensemble !...