Dès qu'il s'agit de lecture, une porte s'ouvre sur un océan d'affirmations assénées gratuitement, en tête desquelles, en général, celle qui prône l'amour de la lecture : hors de lui, point de salut.
Sauf que personne n'aime sur commande.

Mais ici, France-Culture, avec ses deux invitées lectrices, Clémentine Melois et Régine Archambault, ne parlent point d'amour. Elles se contentent "d'encourager" la lecture.
Curieuse formule : faut-il du courage pour lire ? Est-ce une activité difficile ? Ennuyeuse ? Ou les lecteurs potentiels sont-ils attirés ailleurs ?
Décidément, c'est un conseil qui laisse rêveur, un conseil un peu bancal.
Ce qui manque ici, en fait, souvent chez tous ceux qui parlent de lecture, c'est la notion de "besoin" : on ne lit pas sans lui.
C'est donc le besoin de lire qu'il faut susciter chez les enfants, à condition, évidemment, qu'on les ait dotés les moyens de le faire : mais c'est bien le besoin qui est essentiel : s'il n'y est pas, les encouragements seront inutiles.

Question : comment le créer ?
Et voilà ! On redécouvre les "vides" béants des pratiques d'apprentissage, et de l'image de ce que beaucoup appellent "lire", comme Clémentine Melois, et des invités du "Book-club de France Culture, pour qui, lire égale littérature.
Désolé ! La littérature est loin d'être le seul "objet à lire", et elle est rarement le premier.

C'est ici que le bât se met à blesser.
Il commence à blesser dès les premiers apprentissages, par une erreur de direction : la grande majorité des fameux "manuels" d'apprentissage ne propose que des textes narratifs, plus ou moins mièvres, tous à des kilomètres de ceux qu'ils vont avoir à lire, pour leurs études, dès le CE2.
Autre erreur : présenter la lecture, comme essentiellement un plaisir. Outre que ce n'en est pas un pour tous, ce qu'elle doit être avant tout, et pour tous, c'est une NÉCESSITÉ.
Pourquoi ?
Parce que lire est l'outil essentiel de notre liberté. C'est cela qu'il faut faire découvrir aux enfants : il faut qu'ils aient besoin de lire.
Pour que ce besoin apparaisse, il faut deux conditions :

1- qu'ils soient confrontés à des projets divers, à réaliser, en classe, dont ils sont, seuls ou en petits groupes, responsables, et qu'ils aient appris à utiliser la documentation.
Trop rébarbatif ?
Que nenni ! On s'est rendu compte depuis longtemps que, contrairement à ce qu'on pensait jadis, la notion d'utilité "accroche" beaucoup plus les enfants que celle de "plaisir". Preuve qu'ils sont infiniment moins "infantiles", qu'on ne le croit en général.

2- qu'ils soient aidés dans ce travail.
Oui, mais là, c'est trop facile !
Mais non ! Et tant pis si ce que je dis fait hurler certains de mes collègues : devant un élève en grande difficulté, il vaut mieux lui donner la solution et le faire ensuite réfléchir sur les moyens qui lui auraient permis de le trouver tout seul, que choisir comme on le fait habituellement,
* soit le laisser patauger sur un texte qu'il n'arrive pas à lire — et l'en culpabiliser, pour le dégoûter définitivement de cette activité.
* soit lui proposer des écrits faciles qui ne lui apportent rien.

Ni l'un, ni l'autre de ces choix n'est aidant pour l'enfant.
Au contraire, aider les élèves à entrer dans les écrits, par le travail de groupe et par des moments d'analyse de l'activité, sur du difficile et du riche, cela les rassure et les rend capables de se passer d'aide ensuite.

C'est pourquoi il faut être, à la fois, ambitieux et bienveillants pour les élèves : c'est ce qui les fait grandir.
Or, pour la lecture, l'ambition réside dans la variété et l'authenticité des lectures : pas d'écrits inventés dans les manuels, mais des lectures immédiatement nécessaires et libératrices, celles de la vie sociale, absolument indispensables, car sans elles, chacun est livré, pieds et poings liés, à toutes les manipulations sociales possibles.
Il faut aussi qu'une continuité existe entre l'école et la maison, et qu'ils retrouvent en classe des lectures vécues chez eux.

Encourager la lecture, c'est une formule vide : ou bien ils sont à l'aise dans cette activité, ou bien, il faut les aider à l'être, en éclairant au maximum ce qui la facilite.
Mais, surtout, commençons par éviter de les en détourner, avec un enseignement mal conçu, autoritaire, et des activités sans intérêt pour eux, syllabes et autres bricoles inutiles, si loin de leurs goûts, dans cet objet sans âme, qu'est un manuel de lecture.

C'est, au contraire, par une belle plongée dans de vrais écrits, appartenant à l'univers des enfants : chansons, entendues à la radio ou la télé, écrits de presse, contes et nouvelles qui leur parlent, infos de toutes sortes, qu'ils entendent chez eux, et dont ils parlent en classe.
Un large et précoce bain d'écrits divers, voilà ce qu'il leur faut, pour qu'ils puissent se heurter à des difficultés, s'entraider pour les résoudre, patauger dedans, et s'en imprégner, et découvrir comment c'est fait et comment ça fonctionne.
Rien à voir avec un "encouragement", qui ne saurait convaincre celui qui, n'ayant que peu de contacts, n'en éprouve nullement le besoin.
Quand on a laissé un enfant vivre sans vraie lecture, seul un miracle peut la lui faire découvrir.
Et il vaut mieux ne pas trop compter sur les miracles...