Ce n'est pas d'hier, qu'on se désole, en découvrant que, jour après jour, et quoi qu'on fasse, les enfants n'apprennent pas tous, ce que nous leur enseignons.
Pourtant, Philipe Meirieu affirme, et depuis longtemps, qu'il faut être convaincu de "l'éducabilité" de chaque élève.
Encore faut-il que le travail d'enseignement ait été convenablement dirigé sur elle.

Comment faire pour que notre enseignement atteigne l'éducabilité des élèves ?

Il faudrait change beaucoup de choses. Mais les propositions officielles nous laissent sur la faim : elles proposent de créer des groupes dits "de niveaux", mettant ensemble ceux qui ont un "niveau de réussite et d'échec" proche.
Proposition que rien ne justifie :

1- comment définir ce fameux "niveaux", autrement que de façon pifométrique ? S'ils sont définis à partir des résultats obtenus, on reste dans le "pif", comme l'ont prouvé les innombrables travaux de docimologie, et de recherches en pédagogie et en didactique.

2- De toute façon, et quelle que soit la manière de les organiser, ils ne peuvent être définis qu'à partir d'un jugement sur les possibilités de chaque élève, donc ils ont pour effet de poser sur chacun d'eux une étiquette, qui ne peut être que catastrophique pour eux.

3- La seule réponse intéressante consisterait à poser la question aux élèves eux-mêmes, justifiée par un constat solide qui est que, même très jeune, un enfant sait très bien où il en est de ses apprentissages, et de ses progrès et il sait aussi avec qui il a envie de travailler.

Problème : il faudrait une classe particulière, donc une école différente, où les élèves ont droit à la parole et sont écoutés, et où existent des instances de régulation, collectives et régulières.
Or, justement, on en voit peu dans le monde de l'école actuelle.
C'est que, pour cela, il faudrait modifier beaucoup de choses :

Première erreur à bannir : précisément cette notion de "niveaux", réellement scandaleuse quand il s'agit d'humain : une non-notion, un terme inadéquat, renvoyant à l'idée que le savoir serait une couche de connaissances, dont on pourrait mesurer la hauteur. On devrait avoir honte de l'utiliser.

Donc, mettons les niveaux à la poubelle, et cessons de vouloir "grouper les élèves" : laissons-les se grouper eux-mêmes !
Dans un fonctionnement démocratique, cela peut se faire aisément : lors des réunions de régulation, trimestrielles, du travail, où le groupe classe, intégrant évidemment l'enseignant, organise, programme officiel en main, le travail des trois mois à venir.

Permettre aux élèves d'apprendre, cela signifie précisément leur donner la main sur leur travail, organisé avec eux, en cessant surtout de les infantiliser et de tout faire à leur place.
C'est aussi leur permettre de se situer par rapport aux injonctions officielles, car une injonction, même ministérielle, ne peut jamais être un ordre : la démocratie propose, c'est tout ce qu'elle a à faire. Et c'est sur cette (ou ces) proposition(s), que les instances existantes (syndicats, associations, groupements divers, responsables de l'exécutif du métier) ont à débattre.
Il faut le rappeler, car cela me semble bien oublié souvent.

Quant à savoir où l'on en est, pour éviter les évaluations, toujours bancales et blessantes, des régulations régulières sont infiniment préférables. Elles peuvent se faire tous les trois mois : une réunion de toute la classe, enseignant compris, où, ensemble, on réfléchit sur le travail accompli, pour préparer celui qui reste à faire.

C'est cela qu'on peut nommer une "école de la confiance", et non celle qu'un ministre passé avait affublée de ce nom.
Composante fondamentale de la démocratie, la confiance ne saurait apparaître ailleurs que dans une telle école : sur quoi se reposerait-elle ?
Où l'on voit que les mots sont souvent utilisés à vide, dans leurs usages officiels, y compris par des ministres...
Celui de "démocratie", en tête, dont le sens, édulcoré à loisir, est oublié si totalement, qu'il est nécessaire de le rappeler:

Rappelons ce qu'en dit Montesquieu, celui qui en a donné la meilleure définition : une organisation démocratique est celle où :
1- celui qui dirige (le ministre) propose, sans jamais donner d'ordres, et ne fait rien d'autre : prière de le rappeler à Gabriel Attal ou à sa remplaçante...
2- ceux qui exécutent, les enseignants, réunis en associations et syndicats, débattent de ce qu'on leur propose, et de ce qu'ils observent, et, à l'aune de leur expérience, construisent des pratiques à partir de ces propositions,
3- tandis que ceux qui peuvent juger (les élèves et le public), parce qu'ils l'utilisent, peuvent analyser les projets, et proposer des améliorations, propositions que les politiques se doivent d'étudier et d'utiliser.

C'est ce qu'un grand monsieur de l'histoire de l'école, Louis Legrand, le directeur des recherches à l'Institut Pédagogique de Paris, dans les années 70, appelait : "Une École pour la justice et la démocratie".

Alors, quand on voit les ministres actuels n'avoir d'autres projets que celui d'instaurer des groupes de niveau dans les classes, il importe de s'en indigner et de tout faire pour les en empêcher.
Et comme nos responsables de l'Education Nationale ignorent tout de l'histoire de l'école française, il est nécessaire de leur faire connaître ce que certains ont su mettre en place jadis : peut-être sauront-ils y puiser des idées pour faire disparaître cette école triste et morne, ignorante de son propre passé, qui émerge des propos de nos ministres actuels.

"Une école de la justice et de la démocratie". Voilà ce qu'il faut installer et défendre, pour éviter que notre école ne s'embourbe dans cette gadoue de banalité, plate, froide et sans âme, qu'on nous promet aujourd'hui.