Oui, ça énerve vraiment.
Enfin comment peut-on encore penser que l'efficacité de l'apprentissage de la lecture, repose sur les manuels d'apprentissage choisis ?
Un manuel pour apprendre à lire !
Mais enfin ! On n'en a aucun besoin : de l'écrit, il y en a partout autour de nous, et autour de l'école : impossible de se promener en ville, sans avoir à lire des tas de choses autour de soi.
Et puis, chacun sait qu'en pédagogie, il est nécessaire de s'appuyer sur ce que les élèves connaissent. Or, même s'ils ne savent pas les lire, ils connaissent toutes sortes d'écrits, ils savent ce que sont les affiches dans la rue, et à quoi elles servent ; comment on trouve le noms des rues sur les plaques collées sur le mur. ; ils reconnaissent les enseignes des magasins, les écrits qui se trouvent sur les murs de l'école, et sur les portes des classes, etc.
Et, chose étonnante, on se rend compte que, d'emblée, les enfants trouvent naturellement que ces écrits-là ont une fonction, apporter des informations qui servent à ceux qui les lisent. C'est, tout simplement, parce qu'ils sont dans du vrai et pas dans du scolaire...
En leur permettant de commencer leur apprentissage de la lecture par de tels écrits bien connus d'eux, on leur permet d'y entrer en douceur, d'aborder plus facilement les écrits textuels, en évitant les petites histoires, plus ou moins mièvres, qu'on se sent obligé de choisir au début, et qui faussent d'emblée la signification du lire.

C'est donc avec les écrits de la rue, et ceux de la vie quotidienne, ceux de la maison, que les enfants vont pouvoir intégrer tout naturellement l'idée que les écrits servent à aider la plupart des activités de la vie, sans oublier le courrier, qui arrive dans les boîtes aux lettres de la maison.

Cela permet aussi une entrée dans la lecture par son utilité et non par le prétendu plaisir qu'elle est censée apporter, comme le croient trop de personnes pleines de bonnes intentions, qui oublient que le plaisir d'une activité ne dépend pas de l'activité elle-même, mais du degré de maîtrise qu'on en a.
C'est pourquoi, il ne peut pas être question de vouloir provoquer le plaisir de lire tout de suite. Mais on peut prendre appui sur son intérêt, et son utilité, qu'on perçoit facilement. C'est, en tout cas, une erreur monumentale, de vouloir commencer par des lectures de plaisir.
Surtout si l'on pense que la lecture du manuel peut en être une !

Et c'est pour moi le moment d'enfourcher un "dada" qui m'est cher, et qui me permet de creuser un peu la question : ce n'est pas avec du prétendu plaisir que l'on motive les enfants à apprendre. Il faut avoir une image bien plate d'eux, pour imaginer une telle explication.
Trop longtemps on a assimilé les enfants, aux ânes qu'on attire avec une carotte : ça ne marche plus — et heureusement ! On leur doit du vrai et du sérieux. Il faut qu'ils sentent qu'on les prend au sérieux, pour qu'ils soient convaincus de nous suivre et de nous écouter dans ce que nous proposons.

Du vrai et du sérieux, c'est incompatible avec un manuel de lecture, faux livre, qui ne sert à rien et qui n'enseigne rien. La fameuse politique des manuels d'apprentissage, qu'elle soit véritable ou non, est une ânerie de plus de notre ministre.
C'est dans les écrits effectifs, les livres, la presse, les BD, les courriers reçus, les règles de jeu et les lettres d'amour qu'on apprend à lire, et non dans ces machins sans intérêt et sans âme !

Problème : oublierais-je que ces manuels sont la source la plus riche de profits pour les libraires ?
Surtout, il est une autre raison qui justifie leur succès : un public, qui sait tout lire, est bien gênant pour les dirigeants et les nantis. Pas besoin de longues réflexions pour découvrir qu'en fait, ces manuels, qui enseignent un faux savoir lire, sont là aussi pour empêcher que tous les élèves ne deviennent lecteurs : seuls le deviennent vraiment ceux qui l'étaient déjà avant d'arriver à l'école.
Et cela me rappelle un petit texte, ancien, datant de 1876, que l'on doit à un vénérable personnage, le Père Art, que voici :

L'instruction rend l'ouvrier orgueilleux ; elle lui permet de fausser ses idées dans des livres pervers et de dépraver son cœur dans la lecture des romans. Elle le dégoûte du métier, elle lui inspire la haine des supériorités et le pousse dans toutes les aventures.

C'était en 1876,
Ça date.
Tant que ça, vous êtes sûrs ?