Un débat, qui me touche personnellement donc, et que de récents événements ont remis en lumière, avec des conflits, que j'ai connus, enfant, dans le village tourangeau, où j'étais, "à l'abri des bombes" pendant la guerre (affirmation devenue discutable par la suite)...
A l'abri des bombes, mais pas à l'abri d'autres types de conflits : dans ce village, l'institutrice, qui tenait l'école, avait intérêt à être accompagnée d'un homme chaque fois qu'elle sortait de son école, car ceux de l'école privée catholique du village, ignorant la charité chrétienne, ne se privaient pas du plaisir de l'agresser sous diverses formes, agressions auxquelles elle résistait avec un calme admirable... Elle se nommait "Madame Besnault" et j'avais pour elle une grande admiration.
Du reste, il fallait du courage, pour aller à l'école publique, dans ce village : et du haut de mon jeune âge — en 1940, j'avais huit ans — j'en étais parfaitement consciente, et elle était pour moi un modèle.

Quand on a vécu cela, la question de la liberté pour l'école, se pose autrement. On découvre que l'idée de liberté est souvent triturée et déformée pour satisfaire des intérêts peu républicains, notamment sur l'école, et ceux qui y enseignent. Personnellement, je n'ai jamais pu imaginer la liberté de l'école, comme étant, dans le village, celle de l'école catholique de cette époque, qui trônait en maître...

Très vite, j'ai eu la conviction que l'école la plus libre, c'est l'école publique, celle qui rend libres les enfants qu'elle "nourrit", l'école de la république, de la laïcité, qui fait de la religion un choix personnel, extérieur à l'école, et qui doit surtout le rester, comme les choix politiciens qui n'ont rien à voir avec elle.
Qu'elle ne soit actuellement pas parfaite, c'est une évidence : d'abord, elle se trouve soumise aux bons vouloirs de ceux qui dirigent le pays, et dont les églises ne sont pas toujours celles de la République...
Mais je suis sûre que lui offrir des rivales, payante par dessus le marché, reste une très mauvaise idée. Loin de renforcer les apports de l'école aux enfants, en les rendant différents et pluriels, elle les fragilise. Et puis, c'est une caricature de liberté : jamais la liberté n'a consisté à faire "bande à part", à considérer certains enfants, comme plus méritant que les autres, ce qui est, du reste, une bien mauvaise manière de les élever.
Enfin, il est évident que les écoles "libres" ne peuvent pas être considérées comme démocratiques, elles n'ont pas leur place dans le système, dont elles constituent une sorte de défaut, avec des relents d'anciens privilèges, incompatibles avec ce que doit être l'école. Leur existence, loin d'être une preuve de liberté, n'est qu'un vieux débris d'une époque révolue, mais coriace.
Alors, même si mes propos vont susciter des accusations de partialité inexcusable (que j'assume !), je maintiens que la seule école possible dans une société démocratique, c'est l'école publique, l'école pour tous les enfants, quels qu'ils soient, l'école de la réalité, où peuvent s'oublier les différences de fortune des parents, l'école de la république, une et indivisible, gratuite et obligatoire, la même pour tous.
Dans la devise de la république, le mot "liberté" est suivi de deux mots magnifiques : égalité et fraternité, incompatibles l'un et l'autre, avec toute notion de supériorité, notamment de richesse.
Si l'on a des reproches à faire à l'école de la république, — et c'est le cas ! — nous pouvons agir pour y remédier, et nous le devons, car c'est possible, si l'on utilise les vrais moyens : obtenir du ministre qui la dirige, avec ceux qui l'accompagnent, la défendent bec et ongles, contre les attaques, qu'ils lui donnent les moyens d'agir, de profiter des travaux des chercheurs, qu'ils la libèrent, au maximum, des routines et des contraintes institutionnelles, et qu'ils fournissent aux enseignants, une formation solide et ambitieuse, avec un équipement théorique, psychologique et pédagogique costaud... On aimerait aussi qu'ils soutiennent des recherches intéressantes (comme celles de Freinet, entre autres, ou celles de l'INRP jadis), qu'ils leur facilitent l'accès à des expérimentations.
Mais surtout, surtout, que ce ministre évite de donner le mauvais exemple : il est assez fâcheux que lui qui dirige le fonctionnement de l'école publique ait été formé à l'Ecole Alsacienne, qu'une autre ministre mette ses enfants à l'école Stanislas, et en soit fière. Ces contradictions font vraiment désordre dans l'école de la République. Quand on est au pouvoir, l'usage veut qu'on soit en accord avec la loi, mais aussi avec les valeurs du pays.
On aimerait donc que ces dirigeants "contrevenants", s'en excusent, en admettant ouvertement que, si le besoin de liberté rend possible qu'existe d'autres types d'école, l'école publique soit toujours considérée, y compris à leurs yeux, et dans leurs choix, comme la seule légitime dans une démocratie, et qu'elle dispose toujours des moyens nécessaires pour rivaliser avec ces écoles "autres", puisqu'elles existent...
Si cela paraît difficile, voire impossible, c'est que nos dirigeants ne sont pas démocratiques dans un pays qui a vocation à l'être... Alors, il faudra rappeler Condorcet, Jaurès, Jean Zay, au secours : on aura grand besoin d'eux... Comme d'habitude !