C'était en l'an 2012, et votre servante avait écrit ceci :
Redoubler, s'il le faut, d'accord, mais autrement ! Quand on analyse le redoublement scolaire, on découvre vite que cet adverbe y est parfaitement absent. Même la proposition, pourtant simplette, de faire redoubler, au moins, dans une classe parallèle pour que ça change un peu, vient rarement à l'esprit de ceux qui le décident. En fait, l'enfant repart pour un tour, rigoureusement le même. Et qui plus est, sans pouvoir bénéficier du seul avantage que lui apporterait ce second tour, celui d'être déjà au courant et de pouvoir enfin briller un peu en sachant répondre aux questions. Presque toujours, en effet, après avoir posé ses questions, l'enseignant se hâte d'ajouter en direction des "redoublants" : "Vous, vous vous taisez ! Vous laissez parler les autres !". On pourrait appeler cela appliquer la "double peine".

Même si l'on peut me répondre qu'aujourd'hui, une telle scène est moins probable qu'à l'époque — bien que douze années soient un délai bien trop court pour faire changer l'école ! — elle n'en reste pas moins plausible : je suis sûre que certains lecteurs vont la reconnaître, pour l'avoir vécue, ou y avoir assisté.
Et puis, on sait bien que, même encore maintenant, certains collègues ressortent chaque année, les préparations de l'année précédente, certains poussant même jusqu'à refaire les mêmes plaisanteries, aux mêmes endroits, chaque fois ! C'est là chose que j'admire, étant personnellement incapable de refaire de la même manière ce que j'ai déjà fait, notamment d'utiliser le canevas d'une précédente intervention, pour préparer la prochaine : les élèves, même redoublants, ont un regard très percutant sur leur enseignant, et reconnaissent, non sans un soupçon de moquerie, ces redites, qui décrédibilisent gravement l'enseignant à leurs yeux.

Enfin, nombreux sont ceux qui, dans leurs souvenirs, ont, comme moi, un "A refaire", inscrit d'une plume plus ou moins rageuse, dans la marge de quelques-unes de leurs copies-souvenirs.
Comment l'enseignant pouvait-il ne pas se rendre compte que cet ordre est quasi impossible à satisfaire ?
A refaire ? D'accord, mais comment ? Quels sont les aspects qu'il faut retravailler, et dans quelles directions : si l'on ne précise pas tous ces points, l'élève ne peut rien faire.
J'espère qu'aujourd'hui le progrès, sur ce point, est réel, mais c'est à vérifier !
Cette remarque nous renvoie également aux "informations", placées par l'enseignant, dans la marge des copies : les "discutable", "faible", "à préciser", cette dernière notation étant moins mauvaise que les précédentes, mais qui reste tout de même insuffisante pour l'élève : préciser en quoi ? Et pourquoi ? De façon générale, ces remarques ne sont qu'à peine lues — sauf si elles sont élogieuses — et, pour l'élève, ne font l'objet d'aucun travail personnel.
C'est pourquoi, j'ai toujours conseillé à mes collègues de prévoir, un temps important de débat autour des copies rendues, sur ce que les élèves en lisent et en comprennent. Réunis en petits groupes, ils en discutent et préparent un questionnaire pour la mise en commun qui va suivre.
A ceux qui vont rétorquer que "tout ça consomme beaucoup de temps, et qu'on n'en a pas..." je réponds sans vergogne, que, loin d'être inutilement perdu, ce sont des moments indispensables : tout ce qui explicite les choses pour les élèves est absolument nécessaire.

C'est là chose bien connue : un enfant sur trois (et je suis optimiste !) n'a pas entendu ce que vient de dire l'enseignant. C'est ici que le travail de groupe est précieux. Je suis de plus en plus convaincue que le travail individuel en classe est inutile et même contreproductif. Tout a intérêt, en classe, à se faire en groupes : l'ambiance de travail est là et, en plus, ils savent qu'ils sont là pour ça. C'est à la maison qu'ils travaillent seuls.
Outre tous les avantages d'une telle forme de travail, celle-ci va permettre d'éviter la question du "refaire" : on ne "refait" pas un travail effectué en groupe, on oublie cette notion finalement assez bête. On va retravailler, discuter sur le texte produit, rectifier certains points de désaccord, mais on ne "refait" rien.
On le sait donc : à l'école, comme à la maison, tout travail d'écriture et de production ne saurait se borner à un premier jet. Quel que soit l'âge de celui ou celle qui souhaite produire un écrit, lon ne garde jamais ce qu'on a écrit en premier : écrire, c'est réécrire — souvent un nombre de fois considérable. Et l'école a eu longtemps le grand tort de faire croire aux élèves qu'il fallait écrire "bien" du premier coup.
Oui, dira-t-on, mais il ne faut pas oublier que l'école a inventé la fameuse théorie du "brouillon", qui ouvre la porte aux réécritures... En fait, c'est une erreur : presque toujours, on recopie le brouillon. Du reste, celui-ci n'a ouvert aucune porte, car on n'écrit jamais pour produire un "brouillon". Ce qu'on produit, c'est un écrit, qui sera sûrement le point de départ de réécritures plurielles, c'est notablement différent. Mais on est — on doit être — d'emblée dans le projet d'un écrit définitif, dont les réécritures font partie intégrante. Il est donc essentiel que les enfants le vivent ainsi. C'est une posture d'écriture adulte, que les enfants doivent acquérir très vite.

On le voit, redoubler est chose constante, dans la vie, comme en classe : sans cesse on a à recommencer, refaire — mais toujours autrement. Loin d'être la trace d'une faiblesse et d'une erreur, c'est le symbole même de notre vie. Sisyphe : nous sommes, tous, celui qui remonte inlassablement sa pierre en haut de la montagne, mais en cherchant toujours d'autres moyens plus efficaces. C'est normal et c'est bien.
Comme me l'a murmuré, en mourant, quelqu'un qui m'était plus que cher : "continue la vie", je sais maintenant que vivre, c'est ne pas céder à la facilité du renoncement, c'est poursuivre et refaire, mais autrement, pour que les suivants prennent d'autres relais, sur de meilleures bases.
Non les redoublants ne sont pas inférieurs : ils ont le courage de continuer, si nous avons l'intelligence de les aider à ne pas faire pareil. C'est en ce sens qu'il faut les aider : redoubler est un mauvais verbe : rien ne doit être repris tel quel.
Quand je recommence, je deviens autre, sinon je bégaie.